Souvent, quand je me promène dans la rue, les gens m’interpellent et me disent : « ô lady, toi qui connais taaaant de séries, que me conseillerais-tu pour un dimanche pluvieux/pour éduquer mes nièces/pour changer mes horizons/pour les mariages, baptêmes et enterrements ? ». Embarrassée, et les invitant à se relever, je réponds alors que c’est difficile à dire, qu’une recommandation peut fonctionner sur une personne et pas forcément sur une autre, et qu’une série, ça ne se recommande pas comme ça, sans réfléchir !!! Diantre, il faut tout leur dire…
Mais je comprends bien qu’en désespoir de cause, quand l’inspiration manque, eh bien, on se tourne vers ceux qui détiennent le savoir, et c’est là ma lourde responsabilité. Ou c’est là la différence entre quelqu’un qui a une vie et un téléphage, au choix ; mais j’aime mieux la première hypothèse, question d’ego…
C’est vrai : qui suis-je pour vous conseiller une série plutôt qu’une autre, au final ?
D’accord, je boulotte de la série télé depuis près de deux décennies, mais ce n’est rien comparé à d’autres qui sont là depuis plus longtemps que moi, franchement. Cela dit, pour ma défense, mes parents n’ont pas eu l’idée de me concevoir avant 1982, j’ai fait avec ce qu’on m’a donné, après tout. Mais quand je vois Jérôme, avec sa mémoire incroyable d’une époque télévisuelle pour laquelle je n’ai que des souvenirs épars et/ou flous, je me dis que je n’ai sincèrement rien de plus qu’un autre à offrir en la matière.
C’est vrai aussi qu’en tant que pilotovore, j’ai vu, d’un point de vue strictement quantitatif, plus de séries que beaucoup de gens. Mais je ne les ai certainement pas toutes regardées en intégralité, ce qui invalide d’autant cet argument. Car recommander une série, c’est plus que recommander son pilote. La personne s’attend à ce qu’on l’engage sur un chemin à long terme, quand elle vous pose la question.
Et puis j’admets qu’effectivement, je fais plus que regarder la télé. Rien que le nombre de posts de ces derniers jours prouve que je suis une passionnée (les mauvaises langues iront jusqu’à me qualifier d’acharnée). J’aime me documenter, j’aime découvrir, j’aime expérimenter, bref j’ai passé depuis longtemps la phase passive où on attend de voir ce qui passe le soir à la télé pour se faire une opinion, et ma consommation télévisuelle peut, effectivement, laisser penser que j’ai un certain savoir (qu’il y a pas deux jours, l’un de mes amis qualifiait pompeusement d’encyclopédique). Mais il faut garder à l’esprit que je ne déguste jamais de série dans une autre optique que celle de mon plaisir, et que je ne peux donc recommander une série que d’après ce critère.
Mais est-ce que pour autant mon expérience (certes touffue) de télespectatrice m’autorise à recommander des séries ?
J’ai un infini respect pour des gens comme Martin Winckler, Christophe Petit, et quelques autres. Mais ce que j’apprécie chez eux, c’est leur recul, leur sens de l’analyse, leur regard différent du spectateur classique. Le fait qu’ils considèrent les séries non pas comme un simple divertissement, mais bien comme un art à part entière, différent du cinéma, avec ses propres règles et ses propres exceptions, ses propres repères et ses propres particularités. Parallèlement à ce que j’apprécie chez eux, je sais qu’on n’a qu’assez rarement de goûts en commun ; quand l’un ou l’autre recommande une série, il est très rare que j’en pense la même chose qu’eux. C’est assez logique, si on y pense (je ne suis pas de leur génération, je ne suis pas du même sexe qu’eux, je n’ai pas la même expérience de la vie qu’eux, etc…).
Alors comment, moi, petite ladyteruki, pourrais-je faire ce que des sommités comme eux ne parviennent pas à accomplir ?
En plus, il n’y a rien de plus énervant que quelqu’un qui vous recommande une série.
Vous le savez bien, d’ailleurs, parce que, parfois, j’insiste pour vous faire découvrir des pilotes, et quand il n’y a pas de réaction je m’impatiente, et vous ne vous privez pas pour me le faire remarquer.
Quand je suis à votre place et qu’une autre personne me recommande une série trop prestement, moi aussi j’y vais à reculons (comme récemment pour Rome ou Into the West). Et mon interlocuteur s’impatiente de son côté, et le cercle vicieux continue… mais rien n’est pire que quelqu’un qui cherche à vous forcer la main, à plus forte raison quand vous savez que ce qui plaît à cette personne, d’ordinaire, ne vous plaît pas à vous, et qu’il y a assez peu de chances pour que cette nouvelle recommandation fasse exception.
Tenez, un exemple tout bête : quand je recommande à Jérôme une série après avoir tant parlé de mon bonheur devant Pushing Daisies, alors que lui n’aime pas du tout la série, quelle crédibilité ai-je auprès de lui ? Pas la moindre. Je sais même pas pourquoi il continue de me lire !
Je sais que j’ai lancé ce blog justement pour faire découvrir des séries, mais puisque c’était un blog, je me disais que je pourrais le faire spontanément et au feeling, quand l’envie me prendrait, et sur les séries qu’il me plairait de mettre en lumière. Et cela, bien avant la création des posts La preuve par trois. J’aime y voir des réponses, car j’aime l’idée de ne pas parler dans le vide, sans quoi ce blog, je ne l’écrirais que pour moi (et c’est évidemment aussi une question d’ego), mais je ne me sens pas à l’aise quand on me prend à partie en me disant : « tu es téléphage, alors dis-moi : que regarder ? ». Mise au pied du mur, je ne me sens plus le droit de recommander quoi que ce soit.
La problématique qui se pose à moi est alors la suivante : comment sortir de ma propre affection pour certaines séries, et pousser les gens dans la direction qui leur conviendra ? Je crois pouvoir faire la différence entre une série que j’aime parce qu’elle est d’une excellente qualité, et une série que j’aime parce que je m’y suis attachée, mais ce n’est pas forcément vrai, et lorsqu’on me pose la question « quelle(s) série(s) pourrais-je regarder ? », je me demande si mes préférences ne vont pas pervertir la recommandation que je vais donner, malgré tout. C’est le même problème que quand je tente de noter une série sur SeriesLive, d’ailleurs (un lien par post, c’est contractuel). Faut-il noter à l’affect ? Faut-il noter à la qualité ? Comment être sûre que je ne trouve pas la seconde à cause du premier ?
Et même dans ce cas, les qualités que je vois, les autres ne les voient peut-être même pas.
A titre d’exemple : cette semaine je parlais de Life avec une collègue qui regarde un peu de séries, mais qui n’est pas aussi passionnée que moi. Une spectatrice lambda, pourrait-on dire, mais le terme sonne souvent comme trop péjoratif et ce n’est pas le cas ici. Pour elle, ce n’est qu’une série policière comme les autres. Pour moi, c’est une révolution. Elle trouve Charlie Crews assez classique pour un enquêteur, je le trouve étourdissant de force vitale. Elle aime les séries policières, je ne les regarde que si elles sont hybrides et qu’elles m’offrent plus que de simples enquêtes.
Nous qui tenons des blogs, ou intervenons sur des forums, nous savons bien que les avis divergent. Aussi, est-ce que le fait de poster ici mon 555e message me donne-t-il le droit de recommander quoi que ce soit ? Ce sera la même question au 10 000 post (si ce blog vit aussi vieux), de toutes façons. Je n’ai aucun genre de légitimité. Je me contente de partager mes documentations, mes découvertes, mes expérimentations. C’est déjà pas mal, mais ça s’arrête là.
Alors si les gens pouvaient arrêter de me poser ce genre de questions, ça me simplifierait bien la vie, quand même. J’aurais moins de cas de conscience. Je n’essayerais pas de dresser des listes, ou de peser le pour et le contre. Si les gens pouvaient se contenter de me suivre dans mes aventures téléphagiques sans espérer que je les éclaire de quelque façon que ce soit sur ce que, eux, ils devraient regarder, ça m’arrangerait. Arrêtez de me demander que regarder ! D’une certaine façon, je vous donne déjà des orientations ici, à vous de piocher dedans… ou pas. Même si parfois, ça signifie que certains de mes posts resteront lettre morte définitivement (et que ça me blesse forcément un peu, encore une question d’ego), ça me rassure, quand même, de me dire que vous ne m’avez pas chargée d’une aussi grande responsabilité que celle de vous forcer la main à regarder quelque chose juste parce que, à moi, ça a plu.
En fait c’est même pour ça que, partout où je participe sur le net, j’encourage les gens à commenter et discuter : parce que mon avis ne vaut pas plus que le leur, et que si le leur est contradictoire (comme ces derniers temps les posts de freescully sur Parks & Recretations ou Harper’s Island), ça fait drôlement du bien, ça me soulage. Les avis divergent, se complètent, s’affrontent, et ça c’est vraiment bien. C’est le but d’internet, dans le fond. C’est le but de ce blog, aussi.
Mais pitié, arrêtez de me demander ce que vous devriez regarder ! Faites vos propres documentations, vos propres découvertes, vos propres expérimentations !
Et puisqu’on en parle, Scarlatiine, quand est-ce que tu ouvres ton blog ?
^^ Un jour, peut-être, un jour…
En fait, j’en avais créé un, qui doit maintenant traîné au fin fond de la blogosphère , mais je n’avais même pas écrit un article, parce que… eh bien, j’ai un peu le même problème que toi : après Martin Winkler, après Alain Carrazé, qui aura envie de lire mon insignifiante prose ?
Et puis, je me connais, je commence un truc et je suis incapable de continuer pour un tas de raisons. Et je ne veux pas être un énième blog abandonné au troisième post.
(Mais c’est gentil de demander ^^)
Ce qui est étonnant c’est que tout en pensant ça (aet lors que jusqu’à présent je n’ai jamais eu à me dire une seule fois que ta prose était insignifiante), tu viens quand même me lire… moi, avec ma prose insignifiante.
Oui mais si par exemple des gens t’arrêtaient dans la rue pour te demander ce qu’ils ne doivent absolument pas regarder, ça ne te dérangerais pas de répondre Surviving Suburbia ou n’importe quelle autre horreur télévisuelle ? Non parce que si le côté appréciable d’une série est subjectif, je pense que certaines séries sont objectivement à chier (pardon pour le langage) et que c’est le devoir de tout téléphage de le dire haut et fort, non ? (quoi, moi, un esprit de contradiction ? Naaaaaaaaan…)
Mais je me tue à vous dire que l’esprit de contradiction, c’est bien !!!
C’est vrai que maintenant que tu le dis, c’est plus facile dans l’autre sens. Mais sincèrement, reconnait qu’on pose rarement la question de ce qu’il faut éviter, plutôt que ce qu’il faut regarder.
Et pourtant c’est tout aussi instructif, si ce n’est plus
C’est vrai. Mais si les gens posaient la question dans le sens de « que dois-je éviter ? », je pense que ça signifierait qu’ils sont déjà dans une démarche de « dans ce cas je vais foncer dans le tas pour tout ce que tu ne citeras pas », et ça c’est déjà un comportement de téléphage bien atteint, quand même. Les téléphages profondément atteints posent en fait rarement cette question, parce qu’ils font leurs propres documentations, découvertes et expérimentations sans qu’on ait besoin de les aiguiller.
On t’arrête vraiment dans la rue ? (Roh, quoi, on sait jamais…)
Ce qui est intéressant est effectivement la confrontation des points de vue… C’est pour ça que j’aime beaucoup lire les magazines de série en général (bien qu’il y en ait peu avec de véritables critiques), c’est comme ça que j’ai commencé à faire un certain tri dans ce que j’allais regarder ou non, mais c’est en général très bien complété par l’avis de sériephiles et les blogs et forums permettent justement de s’orienter.
Surtout quand en plus, on commence à connaître un peu ce qui plaît à l’autre. Finalement, je pense que c’est ce qu’il y a d’intéressant dans les blogs, ils permettent un point de vue différent de celui du journaliste avec une connivence peut-être un peu plus proche parce que moins journalistique, plus régulière… En tout cas c’est un tout…