Il faudrait un sacré revirement pour que je change d’avis sur Showmax, ma plateforme de SVOD préférée de toute la planète, et dont je n’en finis pas de chanter les louanges. Au fil des ans, j’ai eu l’occasion de vous proposer un tour d’horizon de douze de ses séries (effectué pendant une période d’essai), de publier des reviews de pilotes, comme Adulting ici ou Outlaws là, et même, m’exatasier sur la première saison de The Republic (qui n’est effectivement pas un Showmax Original, mais quand même accessible en Europe, à l’époque, uniquement via la plateforme). Et si je n’aime pas toutes les séries proposées par Showmax, je suis quand même très, très rarement déçue.
Généralement, mon enthousiasme a porté sur des séries sud-africaines, qui constituent la majorité de son catalogue. A l’occasion, j’ai pu mentionner d’autres productions du continent, à l’instar de la série ghanéenne ENO par exemple.
Ce mois-ci, Showmax a lancé une série kényane qui me faisait très envie. Par chance, en ce même mois de mai, j’ai aussi trouvé de nouveaux moyens de mettre la main sur plus de séries africaines, et me voilà donc à vous parler de Big Girl Small World.
Ciku Wamai est une animatrice de radio dont la carrière est en train de décoller : elle est à la tête d’une matinale plutôt populaire, ce qui lui permet d’être contactée par le magazine Pinnacle pour figurer parmi les 25 profils des personnalités les plus en vue de la capitale. A sa grande surprise, pendant l’interview, elle apprend même qu’elle sera sur la couverture ! Dans sa vie privée, les choses vont plutôt bien aussi. Elle est en couple avec Cassim, un comédien de stand-up avec lequel elle partage sa vie.
Toutefois, Ciku se débat avec un manque de confiance en elle. D’abord parce que son succès est inespéré pour elle qui a grandi dans une toute petite ville de province dans une famille conservatrice, et qui n’a pas fini le lycée. Mais surtout parce qu’en tant que femme grosse (la série nous précise lors de l’incontournable scène de pesée qu’elle fait 110kg), elle ne se sent pas toujours à sa place dans sa propre vie.
Vous vous souvenez quand je me plaignais du traitement des questions de poids par la comédie nigériane Awkward Things About Losing Weight ? Bon, c’est facile, c’était la semaine dernière. Eh bien Big Girl Small World est l’antidote idéale.
Bien que ne négligeant pas des moments un peu plus légers, la série prend très au sérieux le rapport de Ciku à son poids, en particulier parce que l’image qui lui en est renvoyée est banalement violente. Par exemple, une fan la reconnaît en public et l’approche pour une photo, ce qui devrait être source d’un peu de joie… jusqu’à ce que la mère de la fan en questions glisse : « je ne vous imaginais pas aussi grosse ». La réaction de Ciku sur le moment, quand elle se prend ces micro-aggressions qui la ramènent à son complexe d’infériorité, est à plusieurs reprises de s’imaginer réagir avec colère, voire violence ; mais bien-sûr, ça ne se fait pas. Consciente qu’il est attendu d’elle qu’elle se prenne ces remarques avec le sourire, voire même sans faire mine de les remarquer, elle se reporte donc sur d’autres choses… et notamment, la série semble suggérer qu’elle a peut-être un rapport faussé à la nourriture, dans laquelle elle cherche le réconfort. Le premier épisode ne le traite pour l’instant pas comme quelque chose de pathologique, et montre juste Ciku mangeant une barre de chocolat après une rude journée, donc je ne mets pas ça dans les trigger warnings ; mais si je trouve les épisodes suivants j’éditerai peut-être cette review en conséquence, vu que j’aime bien vous dire dans quoi vous mettez les pieds.
Hélas pour Ciku, son poids peut aussi conduire à une perte de chance. C’est le cas dans ce premier épisode pendant le photoshoot de la couverture de Pinnacle. Il semblerait que le magazine n’ait pas prévu de tenues adaptées à sa morphologie, et voilà donc notre héroïne qui se glisse dans la seule robe disponible (un truc rose atroce, au passage, relevant plus du costume de meneuse de revue que de la robe classe digne d’une publication d’élite comme Pinnacle), dans laquelle la styliste la fait entrer à la force des bras. Ciku n’est pas à l’aise et ne peut pas respirer… aussi lorsqu’elle se penche pour ramasser son portable tombé à terre, la robe se déchire. Embarras. La styliste prétend alors que Ciku a menti sur ses mesures, et qu’au lieu de faire un régime elle a pris du poids, conduisant l’exécutive de Pinnacle qui supervisait la session à tout annuler. Ciku ne sera donc plus sur la couverture, un succès symbolique dont elle se réjouissait tant…
Big Girl Small World a tout l’air d’une nouvelle réussite pour Showmax. La série fait un vraiment bon travail lorsqu’il s’agit de suivre le rapport de Ciku à la fois à son corps et au reste. En fait, elle ne voudrait rien tant que ne pas être constamment renvoyée à son poids, mais rien à faire. Le reste du monde s’obstine à voir sa taille avant tout le reste.
Pendant qu’elle se débat avec ces problèmes (qui malheureusement pour elle n’ont rien de nouveau), Ciku ignore que Cassem aussi a une actualité chargée. Il a en effet été contacté par un maître-chanteur qui le menace de divulguer une sex tape du couple s’il ne reçoit pas une somme exorbitante. Cassem, qui ne parvient pas à rassembler l’argent, a vu une video d’un masculiniste qui l’inspire à penser qu’avoir la bague au doigt contraindra la jeune femme à ne pas se plaindre si la sex tape est publiée… J’avoue que je n’ai pas forcément tout compris de la logique (en même temps, tant mieux !), mais en tout cas, voilà Cassem décidé à demander sa main à Ciku pendant sa prochaine performance de stand-up. Oh, cool, une demande en public ; qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? Surtout après un set rempli de blagues grossophobes…
Même si Big Girl Small World n’est pas toujours une production parfaite (il y a, en particulier, quelques soucis de stabilité au niveau du son), ce premier épisode fourmille de bonnes idées et, pour le moment, d’une bonne mise en pratique de ces idées. Ça donne vraiment envie de voir la suite ! Sur le fond en tout cas, cette introduction pose des enjeux (ainsi que quelques questions : qui est Aisha, qui semble émerger du passé de Ciku ?) dramatiques solides.
Malgré les nombreuses déceptions (petites et grandes) qu’affronte Ciku dans ce premier épisode, j’ai été soulagée de voir que Big Girl Small World ne vire pas à l’humiliation. Peut-être, au moins en partie, parce que l’équipe de scénaristes est entièrement féminine ? Au lieu de souffrir, comme je le craignais un peu, d’embarras de seconde main, j’ai au contraire trouvé touchant le traitement des obstacles rencontrés par l’héroïne. Elle parvient en outre à le faire sans recours à la voix-off, ce qui est une autre forme de soulagement ! Big Girl Small World prend sa protagoniste centrale au sérieux, lui permet de se révéler dans toutes ses nuances, lui accorde le droit d’afficher de la colère, de l’ambition, de l’espoir, de l’abattement… sans jamais l’y résumer.
Il y a pas mal de choses que met en place ce premier épisode qui piqueront l’intérêt des téléphages les plus curieuses, à commencer par l’opportunité de parler de standards de beauté dans une culture africaine, pour changer. L’occasion d’un autre son de cloche, peut-être ? Mais plus encore, je trouve fascinant que Big Girl Small World réfléchisse au-delà de la seule idée du poids, puisque se profile aussi la question de la sexualité à travers la sex tape, faisant du rapport au corps une problématique plus large de la série. Il ne peut pas non plus être totalement un hasard qu’à la fois Ciku et Cassem soient des personnalités du show business ; dans ce premier épisode, Ciku est une gloire montante, mais Cassem a aussi l’opportunité d’être la tête d’affiche d’une soirée dans un club de comédie, suggérant que la célébrité, même relative, du couple, va également avoir une incidence sur ce qui se prépare. Enfin j’ai vraiment des questions sur ce que la série introduit au sujet de la masculinité toxique, et que je n’avais jamais vraiment vu une série aborder par le biais, pourtant réel et préoccupant, de l’impact des réseaux sociaux sur les mentalités individuelles des hommes.
Autant de thèmes qui, séparément, sont intéressants ; mais ensemble, forment vraiment une série au projet ambitieux. J’allais dire : qui voit les choses en grand !