48%.
QUARANTE HUIT POURCENT ! C’est d’après un récent sondage la proportion de Norvégiennes qui pensent que le roi Johan fait du bon boulot. Ce qui évidemment signifie que l’immense majorité du pays n’est pas satisfaite du roi. Vous savez ce qui arrive aux rois dont un pays n’est pas satisfait ? Personne n’est plus au courant de ce qui arrive qu’un roi, soyez-en sûre : la fin d’un roi de son vivant, c’est généralement la fin de la monarchie. Sacrée pression !
La dramédie norvégienne Kjære Landsmenn suit ce roi fictif, mais avec des angoisses bien réelles, suite à la réception de ce sondage. 48%, quand même, quoi…
Loin des nombreuses, très nombreuses séries sur des têtes couronnées existantes, qui tentent de retracer des faits réels, Kjære Landsmenn (dont le titre international est King Johan – The Last King of Norway, mais qui se traduirait plutôt par « chères compatriotes ») porte donc sur une famille royale imaginaire. L’équipe de la série insiste d’ailleurs beaucoup sur ce sujet dans les entretiens et articles sur la série, comme si elle craignait les conséquences des interrogations qu’elle émet pourtant elle-même à voix haute.
Johan est le fils de la défunte reine Amalie, une femme pour laquelle il a beaucoup de respect. Il a grandi dans la tradition royale et ne connaît rien d’autre que la vie au palais royal d’Oslo. Il a épousé Isabella, qui aujourd’hui représente une reine parfaite, mais qui autrefois était une jeune femme qu’Amalie désapprouvait, peut-être parce qu’elle était plutôt indépendante ; mais avec les années, Isabella s’est conformée au moule royal. Elle a même donné à la monarchie deux enfants : Henrik, l’aîné, aujourd’hui entré dans l’armée (même si quand commence la série il est parti faire un séjour de quelques mois en Allemagne pour y retrouver sa petite amie, Adele), et Ellinor, une adolescente qui fréquente un lycée privé. Tout se passe comme tout est supposé se passer.
C’est d’ailleurs bien là où le bât blesse : Johan a l’impression d’avoir toujours suivi les règles et fait ce qu’il est attendu d’un roi ! Il est à la fois ulcéré et blessé que la Norvège semble le trouver… ma foi, toutes sortes de choses. Après avoir reçu le sondage, il en fait commander un autre lui-même dans le deuxième épisode de la première saison, pour avoir plus d’informations sur ce qu’on lui reproche également ; l’occasion de découvrir que les termes librement suggérés par les sondées lui sont très peu favorables. En fait, même les gens qui n’ont rien contre le roi pensent quand même qu’il n’est pas très important. Inutile de dire que Johan et Isabella tombent de haut en découvrant que tout ce que le couple royal fait est, au mieux, jugé comme accessoire : les visites officielles partout dans le pays, les cérémonies guindées qui jalonnent leur emploi du temps, et la rigidité des us et coutumes qui dirigent chaque décision, même la plus personnelle.
Et naturellement il y a le fait qu’un nouveau Statsminister (« ministre d’État », l’équivalent d’un Premier ministre) vienne d’être élu, et que celui-ci soit ouvertement anti-monarchie.
Kjære Landsmenn essaye de dépeindre certaines choses comme ridicules ; le début de la saison n’est pas très différent de ce que proposait Hénaut Président sur la catastrophe que représentent les tentatives de plaire aux citoyennes à tout prix. Les tentatives de Johan, sa famille, ou son cabinet (Berit sa fidèle cheffe de cabinet psycho-rigide, Frode son attaché de presse, ou encore la stagiaire Mia), pour ne pas se ridiculiser devant tout le pays voire au-delà, sont tangibles, et vouées à l’échec. Pourtant la série conserve une certaine tendresse envers la famille royale. Elle semble se diriger vers la fin d’une ère, et Kjære Landsmenn a un peu de peine, comme si ces gens-là, personnellement, ne méritaient pas de perdre ce qui constitue leur identité.
Effectivement au fil des premiers épisodes de la première saison (qui en compte huit au total), les bourdes se succèdent. Plus Johan essaie de limiter la casse et de retrouver le respect de ses concitoyennes, plus il s’enfonce. Il faut dire que cette histoire de sondage, c’est avant tout une question de perception, et il réagit toujours sur l’angle du paraître : avoir l’air proche des citoyennes, sembler normal, utiliser les transports en commun, organiser une fête avec rien que des « petites gens »… Personne au palais royal ne semble réaliser que ce n’est pas qu’une question d’image, mais que la crise a des ramifications politiques ; n’en doutez pas, la chose n’a en revanche pas échappé au Statsminister (…que la série décrit de façon très superficielle comme un antagoniste guettant sa proie). Mais plus la saison avance, plus il apparaît que Johan et Isabella, et dans une certaine mesure Henrik et Ellinor également, traversent une véritable crise d’identité. Qui sont ces membres de la famille royale, et qui sont ces membres sans la royauté ? Puisque la période est au flottement, cela permet à chacune de se poser des questions sur son rapport à la royauté et notamment ses obligations : celles-ci entrent-elles en conflit avec leur véritable identité ? Si bien qu’en fin de saison, certains axes ont nettement pris une tournure dramatique, au point de conjurer quelques larmes dans le season finale.
Tout cela est bien gentil mais c’est, clairement, la marque d’une série qui prétend interroger la monarchie tout en humanisant ses représentantes. Toutes fictives soient-elles. Vu la conclusion de cette première saison (spoiler alert : la monarchie y existe toujours… au moins pour le moment, revenez en saison 2), Kjære Landsmenn a choisi son parti.
Il manque parfois un peu de mordant dans la façon dont cette famille royale évoque de ses propres privilèges, comme si cela suffisait à les relativiser. En outre, les tentatives de se réhabiliter aux yeux du grand public restent limitées aux apparences : à aucun moment Johan ne se dit, tiens, faisons des propositions concrètes pour changer l’opinion que les gens ont de l’inutilité de ma fonction. Le déclic n’a pas lieu (ce qui est d’autant plus surprenant que je lis qu’en Norvège, le roi a quelques pouvoirs exécutifs, simplement par tradition il ne les utilise pas) de se dire, très bien, je vais me rendre utile. A un moment, son majordome lui dit que plutôt que descendre de son piédestal, il devrait inviter le reste du pays à sa hauteur ; mais Johan ne le comprend que comme un exercice de relations publiques. Ce qui en soi est logique de la part d’un roi qui, comme Johan, a été élevé dans une certaines idée de sa fonction, mais la série, elle, ne l’interroge pas, et c’est ça ce qui me chagrine.
Au fond, ce sera peut-être le cas dans la prochaine saison. Peut-être que c’était la saison de la prise de conscience, nécessaire avant toute autre chose. Hélas, je ne l’ai pas sous la main pour vérifier, et je trouve donc cette saison inaugurale un peu limitée dans son propos.