L’union fait la force

18 février 2022 à 9:31

Il y a quelques jours, notre voisine la RTBF informait de la mise en chantier de Trentenaires, une adaptation de la série flamande Dertigers (déjà dotée d’une version dans les Pays-Bas) qu’elle devrait diffuser l’an prochain. Cette annonce a été pour moi un déclic : j’ai plein de séries belges francophones en attente… et elles n’en finissent pas d’arriver ! Tiens, encore ce mois-ci : Pandore a démarré juste ce dimanche !
Alors, certes, je ne crois pas au concept de « retard » en télévision : une série n’a pas de date de péremption. C’est juste que ces derniers temps, le groupe public francophone n’a vraiment pas tari d’efforts (certains soutenus sur des années) dans le domaine de la fiction, et j’ai souvent manqué de le faire savoir, au moins à mon niveau. Pour une Coyotes dont je parle, combien d’Invisible que je repousse à la Saint-Glinglin !

Ah, c’est comme ça, hein ?! Vous savez quoi ? Aujourd’hui je tente de me faire pardonner en me lançant dans un article multi-reviews : on va parler du premier épisode de plusieurs séries de la RTBF de ces dernières années, diffusées par La Une, par Tip!k (anciennement La Deux), et/ou par la plateforme Auvio. Cela nous donnera, certes, des reviews un peu moins détaillées pour chacune, je vous l’accorde. Mais au moins on va pouvoir braquer les projecteurs sur la variété de formats, de tons et de genres des séries qui nous ont été proposées, et continuent de l’être.

1 semaine sur 2
(Comédie – 3mn)
Pour la mise en jambes, on commence avec une shortcom « familiale » dans laquelle un couple s’est séparé. Rien de plus banal, me direz-vous… et c’est sûrement ce sur quoi compte 1 semaine sur 2 ! Jean-Jacques et Olivia essaient maintenant de composer avec la vie de famille recomposée. Sur les 3 minutes de ce premier épisode, une moitié est consacrée à l’exposé des faits, délivrés par la nouvelle compagne de Jean-Jacques, Carole ; l’originalité essentielle de la série est en effet qu’elle est essentiellement écrite du point de vue de la belle-mère (apparemment c’est son spectacle de stand-up, One Belle-Mère Show, qui a donné à la comédienne Carole Matagne l’idée d’une série). Cette scène d’ouverture pose les choses à la fois de façon très scolaire, puisque Carole y raconte, certes en mimant l’action avec des marionnettes, très littéralement ce qui s’est passé pour en arriver à cette situation… mais aussi de façon un peu plus fine, en montrant que Carole est follement amoureuse de Jean-Jacques, beaucoup moins amoureuse de l’idée d’avoir des enfants à la maison, et carrément hostile à Olivia.
Le reste de l’épisode comporte deux sketches additionnels, l’un totalement oubliable tourné du point de vue d’un des enfants sur quelque chose sans aucune relation avec le titre ou le concept de la série (mais qui, je suppose, est plus universel pour un public « familial »), et l’autre, soulignant un peu plus à quel point Carole (encore dans sa phase lune de miel avec Jean-Jacques) n’est pas prête à être belle-mère. Et d’ailleurs si je m’acharne à mettre « familial » entre guillemets, c’est que, sans rien montrer de super explicite, 1 semaine sur 2 n’est pas exactement à mettre sous les yeux des jeunes enfants, puisque la série comme son héroïne est légèrement portée sur le sexe. Rien de choquant pour un public adulte qui s’y retrouvera parfaitement avant le journal du soir, cependant.
En-dehors de cet aspect et de l’angle choisi par la série, qui est certes original (ça change des autres séries sur le divorce du point de vue du couple central), ce premier épisode de 1 semaine sur 2 n’a pas pour vocation de se donner beaucoup de mal. Mais pour seulement 3 minutes d’investissement, franchement, on ne lui en tient pas rigueur.

Invisible
(Thriller, Drama, Fantastique – 45mn)
C’est bien mais c’est dur. C’est dur mais c’est bien. Le premier épisode d’Invisible met en place un équilibre intéressant entre thriller fantastique si improbable qu’on y croît tout de suite, et série dramatique teintée de critique sociale. Ce qui connecte ces deux orientations ? Une antenne 5G, qui semble provoquer des effets secondaires auprès d’une partie de la population alentours, dont la chirurgienne ophtalmologiste Laurence Decombe, qui est très sensible aux ondes électromagnétiques. Entre les maux de crâne, les acouphènes et autres désagréments récurrents, elle milite activement pour lutter contre la tour, pour l’instant sans effet. La série démarre alors qu’elle est sur le point de pratiquer une opération de routine sur son propre père, avec une machine à laser qu’il a inventée. Sauf que pendant l’opération, la machine échappe au contrôle de Laurence et rend son père aveugle… alors qu’elle avait été débranchée (si vous habitez dans l’appartement à côté du mien, ça vous donne l’explication à mon cri ; surtout que sur le moment j’ai cru qu’il avait carrément été trépané). Bouleversée, bien-sûr, mais aussi désireuse de comprendre ce qui a pu se passer, Laurence va progressivement découvrir les premiers indices de quelque chose d’autre qu’un simple dysfonctionnement informatique…
Comme d’habitude, je n’avais pas de raison particulière de ne pas me mettre devant la série plus tôt. C’est juste que, bon, vous savez ce que c’est, tout le monde ne peut pas être au sommet de la liste. Et la liste est longue. Mais maintenant que j’ai commencé, je suis bien décidée à faire de la place à Invisible. L’épisode inaugural mélange beaucoup de choses, mais a en tout cas le mérite de le faire avec intelligence. L’intrigue secondaire qui tourne autour de Lily, par exemple (la fille de Laurence), pose les bases d’un harcèlement au lycée s’installant insidieusement, même si pour le moment il n’a pas l’air connecté directement avec le problème central. Mais bon, j’ai vu la photo de promo de la série ET l’épisode Out of Mind, Out of Sight de Buffy, je sens qu’il y a de multiples façons dont ça peut évoluer.
Invisible se permet de toucher à plein de choses, et bien-sûr la gageure sera que le résultat final ait un minimum de cohérence plutôt qu’un patchwork de thèmes, mais l’expérimentation a du bon pour le moment.

Baraki
(Comédie, Crime drama – 30mn)
Je ne connaissais pas le terme de « baraki » (uniquement en usage chez nos amies belges), mais fort heureusement, le premier épisode de la série nous l’explique plutôt bien en ouverture de la série. « Au départ, les Barakis, c’est des gitans, des forains, des gens du voyage ; puis quant y sont arrivés ici, on leur a piqué leur roulotte, on les a placés dans des gourbis, des barraques, et c’est comme ça que ces immigrés sont devenus des Barakis. Alors les Barakis sont devenus des mineurs de fond, des métallos, des ouvriers, des ptites gens, des exploités. Puis bah, les charbonnages ont fermé, les hauts fourneaux se sont cassé la gueule… Plus d’boulot ! Et Baraki, c’est devenu une insulte ». Je suis comme vous, je suis là pour apprendre. C’est intéressant parce qu’en 2021 j’ai relevé plusieurs séries s’intéressant de plus ou moins près à cette communauté et ses variations locales : Luna Park en Italie, Üç Kuruş en Turquie, et donc, potentiellement, Baraki. C’est un mouvement quasiment imperceptible, mais intéressant. En l’occurrence Baraki semble ne pas tellement s’intéresser à la communauté au-delà de cette explication, et ses protagonistes sont dans leur immense majorité surtout décrites comme un équivalent belge de white trash. Tout le défi étant justement de savoir si ses protagonistes se conforment, ou non, au stéréotype de Baraki.
Cet épisode d’exposition met du temps à trouver son équilibre. On y perd du temps dans l’introduction de personnages qui ne reparaîtront plus du reste de l’épisode, on s’absorbe longuement dans les preuves, maintes fois répétées, du côté « bête sale et méchant » de cette famille, et on en profite pour faire une démonstration qu’on a eu le droit de montrer des culs et des scènes de sexe (ce que, il est vrai, je ne vois pas souvent dans les séries belges qui me passent sous les yeux). Ce n’est que dans le dernier quart de l’épisode que Baraki se révèle avoir une âme tendre, lorsque son véritable personnage principal trouve une raison d’essayer d’améliorer sa vie. Même si je n’ai pas été entièrement conquise, il faut reconnaître que si la série continue de se bonifier comme cet épisode le fait, ça doit valoir la peine de poursuivre.

Jacky & Lindsay
(Comédie – 10mn)
Depuis qu’elles sont petites, Jacky et Lindsay s’aiment d’un amour parfait, dont elles pensaient qu’il allait les aider à sortir de la pauvreté, et peut-être un jour, rêve ultime, les faire voyager au Royaume-Uni. Hélas, ça n’a jamais été le cas, et elles attendent maintenant un bébé, « Courgette », dans des conditions à peine meilleures que celles dans lesquelles elles ont vécu leur propre enfance. Lorsque Jacky dépense les seules économies du couple (laborieusement mises de côté) dans un providentiel voyage à Londres, le dernier avant que leur vie ne change, Lindsay est abattue. Elle comptait tellement sur cet argent pour donner à Courgette un meilleur départ que le leur ! Mais très vite, les choses s’emballent, pour des raisons qu’il vous faudra découvrir vous-même ; dans l’urgence, le couple décide (un peu forcé par les circonstances) de prendre la route et quand même rallier les côtes anglaises.
Ce premier épisode est d’une efficacité endiablée, et rend immédiatement les deux protagonistes centrales très attachantes. Je m’attendais à une comédie, peut-être même à une énième comédie sur une famille un peu vulgaire (dans le genre de Baraki, en fait). Mais dés les premières scènes, Jacky & Lindsey prend au contraire pas mal de précautions pour montrer que ses deux héroïnes méritent d’être prises en affection et au sérieux. Leur amour n’est peut-être pas celui d’un conte de fées, mais il n’en est pas moins pur. Le rêve du couple, qui voit le Royaume-Uni comme une terre de riches, nous apparaît comme un peu « petit », mais la série recadre bien les choses en montrant que justement, voir l’Angleterre, ça paraît inaccessible, et qu’à leur échelle, Jacky et Lindsay s’apprêtent à vivre l’aventure de toute une vie. C’est une entrée en matière émouvante, rythmée, et nuancée qu’on nous sert ici en une dizaine de minutes à peine, et croyez-moi, le reste de la saison de Jacky & Lindsey a gagné 712 points de karma sur ma to-watch list.

FRANGINE$
(Dramédie – 13mn)
Ostensiblement inspirée par les westerns modernes, cette petite série a un gros défaut : je n’adhère pas à son format. Cet épisode m’a semblé trop bref pour ce qui était mis en place ; idéalement c’est à prendre comme un compliment, même si ça n’y ressemble pas forcément. Les deux héroïnes, Billie et Rose, sont des sœurs que tout sépare, y compris les 10 dernières années qu’elles ont passées dans deux familles d’accueil différentes, après l’incarcération de leur père pour braquage. Sauf que celui-ci s’apprête à sortir ! Billie, décidée à s’extirper de la vie misérable qui lui a échu après avoir été placée (…au passage, troisième série de ce tour d’horizon à parler des couches les plus pauvres de la société belge), décide de le kidnapper pour savoir où il a enterré son butin une décennie plus tôt.
J’aurais été un peu plus emballée par FRANGINE$ si ce premier épisode avait plus détaillé le personnage de Rose (genre 3 ou 4 minutes de plus, je demande pas la lune), qui ressemble ici à un personnage secondaire. Cela dit, dans l’ensemble, l’épisode parvient à trouver un ton un peu acide qui sied bien à certaines dramédies. Il n’est pas tant question d’humour que d’une situation ubuesque, qui, d’après ce que je lis, devrait tourner en road movie, enfin, road series. Ça promet.

Trigger warning : viol en réunion.

Pandore
(Politique – 45mn)
J’en ai vu quelques unes, des séries politiques, mais comme celle-là assez rarement. Pandore est violente… et pas uniquement parce que le point de départ de son intrigue est le viol en réunion d’une militante féministe. En fait, je m’avancerais presque jusqu’à dire que ce que la série ambitionne de décrire, c’est une violence politique au moins équivalente à ce viol, mais insidieuse parce qu’invisible. C’est la juge d’instruction qui doit se dessaisir d’une affaire de corruption lorsqu’elle découvre que son père, chef de file d’un des partis politiques principaux du pays, est associé à un compte off-shore. C’est le politicien dont les dents rayent le parquet et qui ne rêve que de devenir tête de liste pour les prochaines élections, dont la couardise n’égale que l’opportunisme… surtout quand il découvre qu’il peut utiliser ce viol comme tremplin populiste. Ce sont les médias qui donnent la parole à tout le monde en quête du scoop, sans égards pour les conséquences. C’est Bruxelles qui semble frémir toute entière du bruissement de ces gens qui ne pensent qu’à leur gueule, ou au mieux qu’à leur cause.
Je doute très franchement que Pandore dresse, au fil des épisodes (également visibles sur Salto à partir d’aujourd’hui), un portrait plus optimiste de la façon dont le monde politico-judiciaire peut trahir les citoyennes et les institutions de son pays. L’épisode introductif de Pandore ne passe même pas par un bref instant de désillusion : on ne peut pas perdre l’espoir qu’on n’a jamais eu. Lentement, alors que s’ouvre le couvercle de la boîte dont elle a remprunté le nom, la série nous montre tout ce qui a toujours été là, et qu’il ne faut plus taire. Certainement pas alors que les menacent se précisent. Et elle le fait d’une façon très différente des méthodes adoptées par d’autres séries politiques, même corrosives (genre De 16 dont je parlais il y a peu), parce qu’elle semble vouloir étudier les conséquences hors du monde politique. C’est là qu’elle se loge, la violence, et Pandore rappelle que la corruption financière ou morale n’est pas un crime sans victime. Ca fait mal et ça met en colère, mais Pandore s’annonce comme une série d’utilité publique pour parler de ces démocraties européennes modernes qui, à l’instar des chantiers jalonnant la ville, n’ont en réalité jamais cessé d’être en travaux.

Une bonne chose de faite ! Et qu’il faudra refaire, par exemple au printemps quand Fils de pointera son nez… comme je l’ai dit, les séries n’en finissent pas d’arriver, et clairement, tant mieux.
En espérant m’être faite (un peu) pardonner.


par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

6 commentaires

  1. Mila dit :

    Eh bien………….. je n’avais entendu parler d’aucune de ces séries……….. voilà voilà. Mais plusieurs ont l’air intéressantes. En particulier Jack & Lindsay, parce que ça a l’air bien, et que j’aime bien l’idée que le couple central soit un couple de femmes !. Après, les séries qui m’attirent le plus (c’est-à-dire celle-là et Invisible) sont (apparemment) pas les plus légères à regarder et je sais que j’ai toujours du mal à les lancer le moment venu…Mon cerveau se met en mode « certes, mais regarde cette énième romcom chinoise que tu n’as peut-être pas déjà vu ! ». Néanmoins, je n’avais aucune idée de ce qu’il se produisait en France, donc c’est cool d’avoir un aperçu ! Merci ♥

  2. Mila dit :

    Se produisait en Belgique*
    Pardon, mon corps est réveillé, mais mon cerveau pas encore, et j’ai fait un lapsus. Pourtant c’est pas faute que tu aies répété le mot « belge » plusieurs fois dans l’article, mais au moment de taper le commentaire, j’ai vrillé apparemment. Je vais aller me balancer de l’eau fraiche sur le visage !

  3. Mila dit :

    (Bon du coup, je suis allée voir pour Jacky & Lindsay, parce que je rajoutais le titre à ma liste, la fameuse, et je réalise que j’ai écrit une connerie… essayons d’oublier cette série de commentaires =_= retiens juste le remerciement à la fin, là-dessus je m’étais pas plantée !)

    • ladyteruki dit :

      Oui non mais c’est mon féminin pluriel qui parfois prend en traître si on n’est pas réveillée 🙂 (ce qui est amusant, parce que, évidemment, on lit un masculin pluriel par défaut et on ne pense jamais « oh, c’est un couple gay », mais je digresse)
      Franchement elle vaut le coup ; je suis en train de récupérer les épisodes suivants et je n’ai pas encore été plus loin mais c’est sûrement celle qui a l’air la plus douce, sans être totalement déconnectée de certaines réalités. D’ailleurs je ne l’ai pas mentionné mais Jacky est en fauteuil roulant et pour l’instant c’est intéressant la façon dont c’est traité (surtout qu’on le voit marcher étant enfant dans le flashback). Enfin, comparée à Invisible ou Pandore, ya pas photo, Jacky & Lindsay est la plus soyeuse !

  4. Tiadeets dit :

    Un bien beau tour d’horizon. Pandore me semble bien intéressante. Elle va rejoindre la longue liste de séries politiques où je me dis « ah oui, ça a l’air bien, il faut que je la regarde ».

    • ladyteruki dit :

      Le problème des séries politiques, c’est à la fois que j’en ai très envie et que je sature, si tu vois ce que je veux dire 😛 Pour l’instant je n’ai pas fini Pandore, mais officiellement je ne l’ai pas abandonnée, en tout cas. Comme elle fait partie d’une review « multi », je n’ai d’ailleurs pas totalement écarté l’idée d’une review de saison, à terme…

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