La cour d’un petit immeuble en cours de désaffection. Une poignée de flics d’une unité anti-émeutes, protégés par plusieurs couches de métal et de kevlar. Une évacuation pour loyers impayés qui s’envenime. Aucun renfort.
Un mort.
La mini-série espagnole Antidisturbios commence d’une façon qui, hélas, nous est familière. C’est l’une des rares séries policières (et c’est indubitablement une série policière) dont vous allez me voir parler ici. J’ai fait le choix de ne plus traiter ces séries, même quand je les vois, et c’est devenu rare. Proposée il y a quelques mois sur Polar+ et désormais par Canal+, la mini-série est pourtant terriblement d’actualité. Alors faisons une exception, juste aujourd’hui, parce qu’Antidisturbios essaie, au moins, de dire les choses différemment.
Je le disais, Antidisturbios est une série qu’on ne peut qualifier autrement que de série policière : non seulement le point de vue adopté est strictement celui de flics (bien qu’occupant différents postes), mais on y trouve également une enquête policière, qui va devenir le fil rouge de cette courte saison de 6 épisodes. Les habitudes ont la vie dure, on ne sait pas encore parler de la police sans la police.
Le premier épisode est le plus difficile à digérer. Le point de vue principal est celui des membres de l’unité Puma 93, qui intervient sur les situations à haut risque à travers tout Madrid. Nous faisons leur connaissance alors qu’ils (c’est une unité purement masculine quand la série démarre) sont envoyés sur une situation dangereuse, une de plus : l’évacuation d’un appartement pour impayés, avec la présence d’un huissier de justice, et sur décision d’un juge. La situation ne pourrait pas être plus quelconque, à un détail près : Puma 93 est envoyée seule, là où d’ordinaire une mission de cette ampleur nécessiterait au moins le triple de policiers. Malgré les tentatives multiples du chef Salvador Osorio, les ordres sont maintenus, et Puma 93 doit vider les lieux coûte que coûte.
Dans le chaos qui s’en suit, Yemi Adichie, un jeune homme d’origine sénégalaise, voisin du couple expulsé, se retrouve pris dans le chaos, et chute depuis le premier étage. Il est prononcé mort peu de temps après, ce qui, et c’est heureux, n’est pas sans conséquence.
Parce qu’Antidisturbios adopte un style aussi proche que possible du documentaire, et que sa camera est gluée aux policiers de Puma 93, nous allons vivre la confusion de ces quelques minutes. La panique, la colère, la fatigue du moment, défilent sous nos yeux à toute vitesse ; nous n’avons pas le temps (malgré les tentatives de certaines militantes venues soutenir les expulsées) de prêter oreille au pourquoi du comment, si l’intervention est légale, ou juste. Personne ici n’a le pouvoir de prendre des décisions, semble-t-il ; tout est déjà décidé en haut lieu. Les policiers exécutent leurs ordres, et la violence du moment semble une conséquence logique.
Bien-sûr, une fois qu’un jeune immigré noir meurt, c’est différent. Là on cherche à savoir si les choses ont été bien faites, si les ordres ont été respectés, et pourquoi les ordres étaient d’agir en sous-effectif. Une fois que la politique s’en mêle, là on pose des questions. Une fois que c’est trop tard.
C’est donc là qu’intervient Laia Urquijo, une enquêtrice qui travaille pour la police des polices. Son bureau a été chargé de faire la lumière sur les circonstances de la mort de Yemi Adichie, et la tâche devient vite d’autant plus ardue que les flics se concertent et se protègent. Nous avons assisté aux événements, et nous avons une opinion sur ce que nous avons vu (je pense d’ailleurs que des spectatrices aux positions très différentes percevraient ces mêmes scènes d’une façon très différente), mais Laia et ses collègues vont, avec une précision clinique, éplucher tous les détails de l’affaire.
Pendant un moment, j’ai sincèrement cru qu’Antidisturbios allait parler des sujets qui fâchent : de la violence des policiers (qu’elle soit celle des hommes ou celle du corps de métier), de ce qui s’est joué ce jour-là dans la cour d’un petit immeuble madrilène, du fait que (comme par hasaaaard) la victime est un jeune homme noir, et de ce que l’on attend, à tort ou à raison, des enquêtes internes sur cette violence.
Si c’est la série que vous espérez trouver, manque de chance, ce n’est pas la série qu’a décidé de devenir Antidisturbios. Malgré sa brièveté, elle va au contraire se permettre d’orienter son enquête et donc son propos dans une toute autre direction, et chercher ses explications du côté d’une sombre affaire de corruption, ramenant la plus grande partie de ses problématiques à une simple affaire de morale individuelle. Nous savons depuis la toute première scène de la série que Laia est une femme profondément droite et morale (dans ce qui est probablement l’une des meilleures scènes d’introduction pour un personnage de ces 10 dernières années), et nous comprenons vite qu’elle a une véritable obsession pour la vérité, quoi qu’il lui en coûte personnellement. Ce portrait, pour bien écrit et bien incarné qu’il puisse être, n’a rien de très original dans une série policière. Elle devient en outre rapidement le point focal de la série, si bien que même lorsqu’il s’agit de nous interroger sur la police, cela se fait à travers les yeux d’un personnage parfaitement rectiligne et admirable. Dans son combat pour comprendre d’abord l’affaire de l’expulsion, puis les ramifications de celle-ci, Laia incarne une certaine idée de la police qui n’a rien de neuf. Et si sur la fin, son évolution devient légèrement plus ambiguë, il faut quand même avouer qu’il y a un aspect réhabilitatif qui est irritant, surtout si on y ajoute le fait qu’en réalité, Antidisturbios n’a pas envie de parler des problèmes dans la police.
Elle veut parler des pommes pourries.
Est-ce à dire qu’il s’agit d’une mauvaise série ? Non. Mais ce n’est pas la série courageuse que j’espérais voir, ça c’est certain. Sous couvert de montrer la complexité de la fonction de policier (et effectivement ce n’est pas un métier facile, en même temps, comme certains personnages l’illustreront, on a le droit de le quitter…), on tombe parfois dans un bothsiderism des plus tièdes.
Comme dans l’épisode au cours duquel Puma 93 est chargé du maintien de l’ordre pendant une rencontre entre le Real et l’OM, et que les ultras des deux pays trouvent le moyen de se foutre sur la tronche : pendant plusieurs minutes, on a droit à une séquence démente au cours de laquelle les flics tapent dans le tas, sans maintenir aucun ordre que ce soit, sans même se soucier de procéder à des arrestations ou quoi que ce soit. Antidisturbios veut-elle faire un commentaire sur la façon dont la violence est une évidence pour ces policiers ? Oui, mais surtout sans trop les juger sévèrement, d’ailleurs regardez, les flics s’inquiètent pour l’un des leurs qui a été roué de coup. Ils ne peuvent donc pas être si mauvais.
Dans les discussions sur la violence policière, personne ne nie que les policiers se soutiennent entre eux. Personne ne nie non plus l’humanité des policiers. Et sûrement qu’ils sont convaincus, comme les mecs de Puma 93, de ne faire que suivre les ordres, même quand ce sont des ordres de merde. Pour autant, j’attendais d’Antidisturbios qu’à un moment elle se sente pousser une colonne vertébrale, et qu’elle dise que cette violence n’est pas normale. Qu’elle n’est pas seulement le fait d’individus (les flics sur le terrain ou leurs supérieurs). Il faut interroger cela, et parce qu’elle veut faire mine de rester « objective », la série s’y refuse. Ce n’est pourtant même pas un service à rendre à ces hommes que de les envoyer au front (parce que c’est exactement ça, sauf que l’ennemi est un simple citoyen) comme ça, pour se briser et briser d’autres êtres humains. Le faire sans raison, juste parce que la violence est devenue normale aux abords des stades, ou juste parce que la police est le bras armé des banques… Ce n’est juste pour personne, mais Antidisturbios ne va même pas jusque là.
J’ai vu sur les visages des hommes de Puma 93 l’expression de mon père, un ancien flic. Ce regard noir qui en a trop vu et ne s’éclairera plus jamais complètement. Ils ont presque tous quelque chose en commun avec lui, que ce soit un dos en miettes, une tendance à la violence en cas de contrariété, ou une aptitude hors du commun à se sentir seul contre tous en toute circonstance. Je sais que ce n’est pas un métier facile, croyez-moi…
Mais est-ce qu’une série avec de tels ingrédients ne pouvait pas aller un peu plus loin que chercher à réhabiliter ces flics imparfaits ? On passe un temps fou avec ces hommes (et parfois, fugacement, ces femmes) de l’anti-émeutes, leurs familles, leurs amies, à essayer de les humaniser. Toujours avec la camera à leur niveau.
Réveillez-moi quand on en fait autant pour tous les Yemi Adichie.
Un article toujours aussi intéressant !