Nailed it

2 juin 2019 à 18:24

Peut-être vous souvenez-vous qu’il y a très, très longtemps, je vous ai parlé de la première saison de Claws et vous ai annoncé qu’il était possible que je regarde la deuxième prochainement.
Donc ça c’était il y a un peu plus de 48h, et j’ai fini la saison 2 ce matin. On ne juge pas.

Écoutez, je ne sais pas quoi vous dire. Comme on pu en attester ceux qui me suivent sur Twitter, j’étais juste trop enthousiaste à propos de cette nouvelle saison pour m’arrêter. Les problèmes les plus saillants de la première saison ont été corrigés : les personnages ont connu de nouvelles, fascinantes évolutions ; les amitiés féminines ont été explorées plus loin encore ; les thèmes abordés sont allés plus loin ; Claws a même adressé plusieurs de mes questions sur la sexualisation des femmes de sa série.
A ce stade je vais avoir quelques bémols quand même à vous citer, c’est sûr, mais franchement on n’est pas loin de la perfection… Surtout pour une série dont je disais il y a encore deux jours qu’elle me donnait parfois l’impression de baisser un peu mes standards. N’écoutez pas la moi d’il y a deux jours, elle avait tort. Claws est une très, très bonne série. Pas parfaite, mais bien plus solide que ce que j’ai pu laisser penser à tout le monde… y compris moi-même.

Trigger warning : psychophobie, viol.

La deuxième saison de Claws est la preuve qu’on peut construire sur l’existant et en même temps totalement rebattre les cartes. L’intrigue commence peu après la fin de la première saison, mais avec un changement de dynamique majeur : désormais le trafic de médicaments de Palmetto est dirigé par Riva, la matriarche de la mafia russe en Floride. Uncle Daddy, lui, a perdu tout ce qu’il possédait, de la clinique jusqu’au club de strip tease, chose qu’évidemment il n’apprécie guère. Désormais les Husser n’ont plus aucun poids dans le trafic ; pire encore, Desna, qui n’a pas été destituée et qui a plutôt l’estime de Riva (toutes proportions gardées) a conservé son rôle, ce qui techniquement la place plus haut dans la hiérarchie qu’Uncle Daddy, Roller ou Bryce.
A partir de là, les choses ne vont faire qu’évoluer dans ce sens, surtout après que Riva soit exécutée par sa propre sœur, Zlata, cette dernière prenant la tête de l’organisation avec l’intention ferme d’imprimer sa propre marque. Méprisant les hommes au plus haut point, Zlata n’a que faire des Husser, par contre elle entreprend de promouvoir Desna, de lui donner plus de responsabilités mais aussi plus d’assurance, de crédit et d’argent, la transformant en un bras droit fiable et loyal.

Ce qui se trame avec l’arrivée de Zlata est très impressionnant parce que, là où le girl power de Claws s’était montré plutôt relatif jusque là, il va vraiment être interrogé par ce nouveau personnage. Au juste je ne suis pas totalement certaine qu’on n’aurait pas pu faire ça avec Riva, que j’aimais bien (et j’aimais aussi l’idée d’avoir une femme plus âgée dans la série), mais l’effort n’en est pas moins évident.
Zlata n’est à la base pas exactement coutumière du trafic d’opiacée ou de quelque activité illégale que ce soit ; en fait, lorsqu’elle débarque, elle explique être en pleine promotion de son livre Kremlin Konnection, qu’elle présente comme étant l’équivalent russe de Lean In de Sheryl Sandberg. Zlata prône, en permanence et très explicitement, une sororité de pouvoir : elle est une girlboss et veut transformer Desna en une femme aussi puissante qu’elle. Au fur et à mesure de la saison, on va ainsi avoir droit à plusieurs déclarations plus ou moins outrancières (…c’est Claws) sur le fait qu’il faille se lancer dans une prise de risque comme sur une bite, et autres perles de sagesse équivalentes. Derrière le vocabulaire excessif, on trouve en tous cas l’idée d’un refus de la faiblesse, un éloge de l’ambition, et l’idée qu’être une femme vient avec des atouts qu’il faut utiliser dans le business.
Au passage, Zlata transforme aussi le She-She’s (le strip club d’Uncle Daddy, où Virginia avait fait ses débuts avant de rejoindre le salon de Desna) en un club désormais appelé le Hammer & Pickle, où l’on trouve désormais des danseurs masculins comme son nom le suggère.

La relation va évidemment évoluer au fil de la saison, mais ce partenariat qui se met en place est très intéressant parce que là où Zlata est explicitement intéressée par des discours d’émancipation par le pouvoir, d’affirmation de soi et de progression professionnelle pour sa seconde… eh bien, Desna, en revanche, peine à être convaincue. En dépit du fait qu’elle a plus que prouvé ses compétences managériales en saison 1 (pour dire les choses pudiquement), Desna a l’impression que ce succès, et ses recettes, tombent un peu du ciel et ne lui correspondent pas. Elle a du mal à penser qu’elle les mérite. Elle est sans cesse mal à l’aise devant les démonstrations de confiance et d’estime de Zlata. Elle tombe des nues quand sa cheffe lui offre des opportunités ou des cadeaux.
Cette opportunité étonnante se produit, en plus, à un moment où Desna a rencontré le prince charmant : il est docteur, il est riche, il est éduqué, et il n’a rien des petites frappes comme Roller que notre héroïne a connu avant. Les choses avancent vite et bientôt le petit ami devient un fiancé… ce qui est génial, mais aussi un peu surréaliste pour Desna. Mérite-t-elle un homme comme lui ?
En somme, Desna a du mal à accepter cette progression sociale qui semble soudain si facile d’accès. Et en même temps, elle suit Zlata à peu près dans n’importe quel plan, travaillant par exemple à l’ouverture d’une nouvelle clinique, et accepte sans ciller la demande en mariage de son Roméo.

Ce, au grand dam de la « crew » de Desna, qui a l’impression d’assister à un glissement perpétuel dans une vie de crime dont leur patronne, depuis le tout premier épisode de la première saison, n’a pourtant pas eu de cesse d’affirmer qu’elle voulait se dégager. Claws interroge cet attrait de la réussite de façon très fine, montrant à la fois comment Desna se sent inspirée à vouloir mieux pour elle-même par un discours féministe simpliste mais efficace, et comment ses amies de longue date assistent, désespérées, à une évolution qui leur échappe totalement, et dont d’ailleurs elles sont exclues. Bien que toutes gagnent mieux leur vie sous le règne de Zlata, elles sont en effet traitées par celle-ci comme de négligeables subalternes, et on comprend leur crainte que Desna finisse par les considérer ainsi également.
Là où très franchement je pensais que Claws suivrait Desna dans toutes ses décisions, justement au nom d’une certaine forme d’empowerment, celle-ci est remise en question à mesure que l’intrigue se développe. Jenn, bien-sûr, continue d’être la principale opposante aux projets criminels les plus délirants de Desna. Cela n’aide pas vraiment que Jenn soit dans une phase très difficile de son mariage avec Bryce, lequel, depuis le début de la série, est le moteur d’une discorde profonde entre Jenn et Desna. Quand bien même Jenn se décrit comme la « ride or die girl » de l’héroïne de la série, elle reste celle qui en conteste le plus les décisions, parce qu’elle est touchée directement par les conséquences… mais il n’y a pas qu’elle. Dans le 4e épisode de la saison (probablement l’un des meilleurs d’ailleurs), on explore entre autres l’amertume de Quiet Ann qui a ruiné sa relation amoureuse avec Arlene et continue d’être traitée comme un coursier par Desna, laquelle n’a absolument aucune considération pour les conséquences du sabotage qui s’est déroulé en saison 1. Une dispute en résulte, certainement l’une des scènes les plus fortes de la saison. Polly, qui bien que suivant Desna à peu près partout, a aussi beaucoup plus à perdre cette saison (elle est en couple avec le Dr Ken et a adopté officieusement Marnie en fin de saison précédente), montre des signes réguliers d’anxiété qui n’arrangent pas son état psychologique déjà fragile. Et puis au bout du compte, c’est même Dean qui va confronter sa sœur, lui rappelant ses promesses répétées de se sortir du trafic, de changer les choses, d’améliorer leur sort… qui continuent de ne pas être tenues.

En parallèle de ce fil rouge, Claws poursuit aussi sa revue de détail de ses personnages, continuant d’en explorer la complexité et les vulnérabilités. Les difficultés psychologiques de Polly Pol, les espoirs brisés de Quiet Ann, les regrets de Jenn, et dans une moindre mesure les tentatives de Virginia pour vivre une relation heureuse avec Dean (ce qui inclut un très bel épisode sur l’avortement en début de saison, mais hélas moins de choses par la suite ; vu le cliffhanger ça devrait encore évoluer)… Autant d’intrigues secondaires continuent de discuter plus largement de ce que mentionne Zlata en permanence. Comment ces femmes, malgré leur condition sociale, malgré leur bagage, malgré leurs erreurs passées, malgré les mauvais choix qu’elles continuent de faire, peuvent-elles aspirer à mieux ? La réponse, comme précédemment dans Claws, est que le mieux s’obtient ensemble, pas séparément. Et c’est fabuleux de voir comment les chemins croisés de ces personnages les ramènent, encore et toujours, à considérer leur amitié, leur solidarité et leur loyauté, comme des pièces angulaires de leur vie. Cette nouvelle saison réinterprète ce thème initial avec brio, d’autant plus que maintenant Zlata est entrée dans l’équation et parle elle-même de sororité, mais uniquement avec Desna.
Par-dessus le marché, on trouve encore quelques étonnants morceaux de bravoure dans certains thèmes abordés de façon passagère, y compris au regard de la sexualité de Dean (qui rejoint la troupe de danseurs du Hammer & Pickle, par exemple), la conversion de Marnie à l’Islam (je crois pas avoir déjà vu de femme s’intéresser à l’Islam dans une série américaine, ever), la sobriété de Bryce et Jenn (vous n’avez JAMAIS vu une scène des AA comme celle-là), le parcours de Desna et Dean lorsqu’ils étaient en famille d’accueil (mais pas sous l’angle de la saison 1), le rapport de Roller à sa nouvelle paternité (…et son mariage, mais oui). Il y a des choses incroyables qui se disent, et qui restent parfaitement cohérentes tout en surprenant beaucoup, essentiellement parce que Claws ne se défait pas de son goût pour l’extrême, l’outrancier, voire le fantaisiste. Bien au contraire !
Ai-je pensé à mentionner que j’avais adoré cette saison ?!

Encore une fois, ça ne signifie pas que cette saison est parfaite. J’ai de gros, gros problèmes avec le traitement du viol de Bryce, qui n’est en fait absolument pas traité comme tel (les viols de Roller en saison 1 avaient au moins le mérite d’avoir été clairement décrits, et le traumatisme mentionné également). Je ne comprends pas comment une série qui peut être capable à plusieurs reprises de parler de violences sexuelles envers les femmes, peut tourner autant à la rigolade le viol d’un homme (sa violeuse étant même félicitée pour son « vagin magique », ce qui fait à peine plus sens dans le contexte, vraiment). Le parcours de Dean, personnage explicitement décrit comme autiste mais joué par un acteur neurotypique, est également parfois un peu malaisant, notamment dans le fait qu’il s’agisse du SEUL homme de la série exerçant le travail du sexe dans cette nouvelle saison. Quand aux derniers épisodes, qui mettent en scène les troubles de Polly, j’ai été un peu interloquée par leur approche caricaturale du sujet.
Je sais que l’excès fait partie intégrante du style de Claws (on parle d’une série qui met en scène un débat politique pour illustrer comment un couple se sépare, qui raffole des séquences où ses personnages se mettent à chanter ou danser, et qui adore mettre en scène des scènes imaginaires), mais il y a des sujets qui clairement font preuve de plus de réflexion que d’autres dans cette writers’ room. Donc, prudence. D’ailleurs je crois que c’est la première fois que je mentionne la psychophobie dans mes trigger warnings.

Claws a donc encore des défauts. Évidemment qu’elle en a. Mais la façon dont elle a bossé sur ses défauts de la saison 1 me donne aussi de l’espoir pour la suite. Car oui ! Il y a une saison 3, ou en tous cas il y en aura une qui démarrera dans quelques jours. Desna embrassera-t-elle les risques de sa vie criminelle comme une bite ? On en reparle dés que possible.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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