Pour notre deuxième article sur la thématique des flics en uniforme, on va changer totalement d’ambiance par rapport à TJ Hooker. Pourtant, on ne va pas totalement changer d’époque : CHiPs, dont il va être question ici, est née seulement 5 ans plus tôt. Pour cette journée de lancement de notre semaine thématique, je vous vends donc beaucoup de rêve !
Figurez-vous que c’est mon intention, justement. Car là où TJ Hooker est sombre, et quasiment déprimante, CHiPs prouve qu’on peut parler du travail quotidien de policiers sans nécessairement tout voir en négatif. Mais malgré la légèreté de la série, vous allez voir que nos deux motocyclistes préférés incarnent quelques uns des piliers de la fiction policière en uniforme…
D’abord, pour ceux qui ne le savaient pas, CHiPs c’est en fait une version prononçable de « CHP », c’est-à-dire California Highway Patrol, la patrouille des autoroutes de Californie. Normalement, les policiers en moto de ce département circulent plutôt en solo, alors pour justifier que deux flics passent leurs journées côte à côte, CHiPs tord un peu les faits en nous présentant Frank Poncharelli (dit Ponch), un policier qui n’est entré dans les services que deux ans auparavant et qui a déjà trouvé le moyen de faire suffisamment de bêtises pour être mis en période d’essai pendant 6 mois. Durant cette période, il n’est pas autorisé à travailler seul et est donc supervisé par Jon Baker, qui devient donc par la force des choses sont coéquipier.
Lorsque le pilote de CHiPs démarre, Ponch est sur le point de finir cette période de probation : encore deux jours, et si rien ne se passe dans l’intervalle, il devrait retrouver son autonomie. Le problème c’est que Ponch est un aimant à calamités et que ces deux jours vont être jonchés d’embrouilles menaçant son autonomie.
Dans ce premier épisode, l’accent est donc amplement mis sur l’un des protagonistes. Ponch a droit à toutes sortes de scènes pour détailler aussi bien sa poisse légendaire, que sa grande gueule ou encore son tempérament impulsif. Baker suit gentillement l’intrigue à ses côtés, le recadrant calmement quand il sent que son partenaire chien fou va déraper (…ce qui généralement n’empêche pas grand’chose) et servant de sparring partner à Ponch lorsqu’il veut l’asticoter et/ou plaisanter. Sur Ponch, on va apprendre plein de choses : depuis combien de temps il travaille au CHP, qu’il est un homme à femmes, qu’il a des ennuis réguliers avec la hiérarchie (son dossier administratif est plus fourni que la liste des séries abordées sur ce site !). De Baker on va apprendre qu’il est… euh… sympa ? Enfin, essentiellement parce qu’il ne fait pas la tronche devant les frasques de Ponch.
ChiPs commence donc avec un sérieux déséquilibre entre les deux héros qu’elle cherche pourtant à présenter comme des partenaires. Même en-dehors des questions de période d’essai et de soucis administratifs, le scénario n’en a que pour Ponch. Ponch aide une jeune femme qui attend les secours bloquée dans sa voiture après un accident. Ponch s’engueule avec le capitaine au sujet d’une affaire en cours. Ponch s’énerve d’avoir laissé s’échapper un véhicule pendant une course-poursuite.
Et parlons-en, justement. La course-poursuite, c’est une des choses qui a ancré CHiPs dans l’imaginaire collectif… ça, et les carambolages bien-sûr. Mais la série va bien plus loin. Choisissant de ne pas se limiter à être une série d’action, CHiPs s’abime aussi plusieurs fois dans des séquences purement contemplatives, pendant lesquelles Baker et Ponch roulent sans but précis sur une belle route de Californie. Amoureusement, la camera suit la courbe d’une bretelle d’autoroute, embrasse du regard les voitures qui circulent autour des motos, s’attarde sur la symétrie des véhicules du CMP lorsque la patrouille débute, et se passionne même à plusieurs reprises pour le ballet langoureux des véhicules sur le parking du CHP. Ne me lancez même pas sur les génériques (de début ET de fin) qui s’arrêtent sur les détails de la carrosserie des motos… et des acteurs principaux, dont les costumes moulants sont entrés dans l’imaginaire des spectateurs des années 70 et 80. Ceux et celles qui l’ont vécu vous en parleront.
Il y a donc quelque chose d’un tantinet voyeuriste dans CHiPs, mais comme on est sur ABC à une heure de très grande écoute, ce qu’il y a à voir est évidemment très sage. Juste beaucoup de tôle chromée et des costumes beiges serrés. D’ailleurs CHiPs est l’une des rares séries policières (hors comédies, et encore, ça dépend lesquelles) pendant lesquelles aucun de ses personnages principaux ne va jamais utiliser une arme à feu ; dans ce premier épisode, l’action la plus violente à laquelle nous sommes invités à assister dure quelques secondes à peine, lorsqu’un brutor sort un cran d’arrêt que Jon lui retire des mains en quelques mouvements élaborés. Quant aux fameuses courses-poursuites, elles montrent juste des motos, voitures et/ou camions roulant à toute allure, rien de fondamentalement choquant, surtout pas.
Tout est fait pour que jamais au grand jamais le spectateur de CHiPs ne perçoive de véritable danger ; l’exact opposé de TJ Hooker, donc.
Pourtant, ce à quoi on assiste derrière les blagues, le soleil californien et les diverses aventures autoroutières est assez fondamental dans l’identité des séries policières. CHiPs cristallise beaucoup de choses qu’elle n’a pas inventées, mais qu’en réalité, par ses procédés légers et contemplatifs, elle sublime.
Ainsi, si CHiPs a modifié la fonction même d’officier du CHP, c’est parce qu’elle voulait éviter la figure du personnage solitaire et placer l’emphase sur les relations entre partenaires de patrouille. Dés ce premier épisode, ça marche très bien ; les deux personnages rient avec et/ou de l’autre, partagent leurs impressions sur une journée, se racontent un truc relativement personnel (rien de trop dramatique naturellement), devisent de tout et de rien. De façon plus large, quelques scènes rappellent que le CHP est un ensemble de flics appartenant à une même entité : la supervision par l’omniprésent et paternel Sergent Getraer (qui attend Ponch sur le perron du CHP quand il est furieux), l’incontournable scène de briefing au début de la première journée (dans une bonne ambiance bien virile où la moindre présence féminine fait hurler à la lune les officiers assemblés…), les arrivées et départs sur le parking (parfaitement chorégraphiées et où soudain la camera prend de l’altitude).
Ce que CHiPs établit aussi c’est que, même si l’épisode a une intrigue directrice, ici le vol répété de voitures de luxe qui disparaissent comme par enchantement, les motocyclistes du CHP sont aussi mis face à des situations bien plus diverses. Leur banalité varie, mais Ponch et Baker se trouvent des situations profondément humanisantes dans ces cas-là : un camion de glue qui se répand sur une voie rapide, un enfant qui fait du vélo sur la route, une femme qu’il faut rassurer en attendant l’arrivée des secouristes, une vieille dame qui ne conduit pas droit, ainsi de suite. Cela met bien-sûr les deux flics centraux dans une position idéalisée d’agent des forces de l’ordre plein de gentillesse, mais cela rappelle aussi que leur fonction est avant tout de jouer la proximité. Ces séquences, souvent l’occasion pour un character actor de characteractorer, sont chaleureuses et sans conséquence. Mais elles renvoient aussi à la réalité du métier : interagir avec les gens dans leur quotidien, lors des hauts et des bas. Établir, en somme, un contact ; quand bien même c’est à un moment pénible parfois. Oui, c’est résolument de la triche de faire intervenir un petit nenfant pour prouver que les flics sont des gens comme les autres ; mais cela donne aussi l’impression que le maintien de l’ordre peut se faire d’égal à égal (Ponch et sa poisse indécrottable maintenant peut-être un peu moins l’ordre, mais donnant facilement le sourire).
On est là au cœur de ce que les séries mettant en scène des policiers en uniforme peuvent offrir. Il ne fait aucun doute que cette image idyllique est une distorsion (parmi d’autres) de la réalité du métier, destinée à donner une image positive d’un service qui est crédité dans le générique de fin. Mais même ainsi, cela reste plus réaliste sur le métier de flic que les experts en tous genres dont on parlait ce matin, qui ne fréquentent que des morts ou des coupables, et ne s’intéressent qu’à poursuivre un idéal de « vérité ». Les flics de CHiPs ne se creusent pas tant la tête, c’est certain ; ils en choperaient des maux de crâne plus sûrement qu’en roulant en plein soleil toute la journée ! Toutefois ils laissent entrevoir que les poulets sont des humains comme vous et moi, de passage bref dans nos vies, ici d’un sourire embarrassé après une chute dans une flaque de glue ; là pour les illuminer d’un éclat de carrosserie rutilante.
De flics comme ça, on va beaucoup parler cette semaine. Mais il était préférable qu’on le fasse d’abord avec le sourire, comme ici avec CHiPs, car cette proximité n’est pas toujours faite que plaisanteries légères et d’uniformes moulants… Je vous accorde que c’est un plus indéniable, cependant la réalité est plus nuancée que cela. On reprend rendez-vous demain à midi pour le prochain volet de notre semaine thématique…