Sans papiers et en plastique

18 avril 2016 à 21:00

Chose promise, chose due : je continue de vous parler de séries visibles uniquement par une poignée d’élus lors de Séries Mania. C’est ma façon à moi de vous embarquer à mes côtés pendant certaines découvertes inattendues… ou, au contraire, espérées de longue date.
Mar de Plástico avait piqué ma curiosité il y a un an et demi de cela ; je trouvais son sujet à la fois classique et original, puisque la série espagnole se déroule dans la « mer de plastique » (c’est donc vrai que l’espagnol est une langue accessible !), une immense étendue de serres qui abritent des cultures extensives de fruits et légumes, dans la province d’Almería. L’intérêt essentiel de ce décor, c’est que les serres sont le lieu de travail de nombreux clandestins, engagés afin de travailler au noir et à bas prix. Et ça, ce n’est pas un sujet qu’on voit tous les jours dans la fiction !

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Mar de Plástico a besoin d’une raison pour aller explorer cet endroit. Et cette raison, vous n’allez jamais le deviner… est le meurtre d’une jeune fille. Oooh, dear. Rebelote. Enfin, au moins elle n’a pas disparu mystérieusement.
La première scène de la série nous montre ainsi comment Ainhoa, une charmante personne visiblement de bonne humeur, attend quelqu’un aux pieds des serres. Sauf qu’au lieu de l’être aimé, c’est la mort qu’elle rencontre. La scène est d’autant plus terrible que la police, avertie par un pochtron local qu’une jeune fille est poursuivie par quelqu’un, intervient sur place et ne voit pas le crime ; à quelques mètres des policiers qui embarquent l’ivrogne local Amancio, Ainhoa perd la vie. Ce n’est que le lendemain, quand les premiers employés clandestins ouvrent l’arrosage d’une serre, que les faits sont découverts : l’eau a été remplacée par du sang. La police trouve plus tard la tête d’Ainhoa flottant dans une cuve d’eau…
Ouais non l’ambiance est assez sympa dans Mar de Plástico, il faut le dire.

Bon, ceci étant posé, je vais être claire : outre son point de départ assez classique (même s’il prend une expression un peu à part avec son ruissellement de sang dans une serre), Mar de Plástico ne brille pas par son originalité. La série met en place un personnage de flic austère, bagarreur et intuitif, Héctor Aguirre, qui colle à tous les stéréotypes de héros de série ; on y trouve un quota de scènes d’action (pas mal de bagarres, notamment), un peu de romance naissante (une inspectrice en pince pour Aguirre, par exemple), et ainsi de suite. Je vais parler franchement : ça ne me dérange pas, peut-être parce que je considère que l’Espagne est l’une des fictions d’Europe de l’Ouest les plus qualifiées lorsqu’il s’agit de faire de la fiction grand public et de sacrifier à quelques poncifs pour rester dans le domaine du divertissement, même quand il s’agit d’aborder des thèmes compliqués en primetime pendant 70 minutes. Je veux dire, bon, il y a sûrement un équilibre à trouver entre « parler de choses qui fâchent » d’une part, et « faire de l’audience » d’autre part, et souvent les chaînes espagnoles le trouvent, cet équilibre. C’est ce qui fait que Mar de Plástico semble sacrifier une bonne partie de sa faculté d’innovation.
Mais en réalité cela ne veut pas dire que Mar de Plástico échoue à intéresser le spectateur. La série a une vraie ambition, simplement elle sait que sa diffusion sur une chaîne mainstream comme Antena3, à une heure de grande écoute, implique de s’adresser au plus grand nombre avant de faire des démonstrations de finesse.

Mar de Plástico va ainsi mêler à l’intrigue une histoire personnelle (Héctor arrive dans la ville où vit la veuve de son camarade de l’armée, mort en Afghanistan), une affaire politique (Ainhoa est la fille de la maire), un angle quasiment mafieux (le propriétaire de la plus grande serre de la région, Juan Rueda, a des pratiques peu claires), une radiographie d’une société multiculturelle (quand Héctor arrive, la première chose qu’on lui explique c’est que le patelin a « un petit peu de tout » : des Espagnols, des Russes, des Gitans, des Marocains, des Africains ; ces derniers sont au bas de l’échelle sociale), et ainsi de suite. Il se dit plein de petites choses dans ce premier épisode, pourvu de tendre l’oreille.
Et surtout, celui-ci se conclut sur une scène assez insoutenable de ratonnade dans le quartier noir de la ville. Et franchement, rien que pour cette scène dure mais nécessaire où explosent les haines à peine contenues dans le reste de l’épisode, ça valait le coup de regarder Mar de Plástico.

Je reconnais être légèrement déçue ; la place occupée par Héctor dans cette exposition éclipse un peu le reste, par exemple, et les démonstrations de racisme sont vraiment basiques, sans aucune finesse. D’ailleurs les dialogues mériteraient certainement un peu plus d’attention.
Mais dans l’ensemble je persiste à croire que Mar de Plástico est le genre de séries espagnoles qu’on pourrait, voire qu’on devrait importer. El Principe en est une autre ; j’ai d’ailleurs la sensation que Mar de Plástico s’est un peu inspirée de son succès (mais il est vrai que je n’ai jeté un oeil à El Principe que sans sous-titres). Ce que fait Mar de Plástico est peut-être même plus louable qu’une série plus subtile, à bien y réfléchir, de par le public différent qu’elle touche en employant quelques raccourcis et tropes confortables.

En tous cas je ne regrette pas d’avoir enfin vu Mar de Plástico. Une fiction, même dans la moyenne, se penchant sur le sort réservé aux personnes racisées, a fortiori sans papiers, a forcément du mérite en soi.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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