Quelque part l’an dernier, il semble qu’une loi soit passée pour nous obliger toutes à adorer Amy Schumer. On a eu droit à quelques think pieces à base de termes comme « télévision féministe », « male gaze » et autres termes engagés, et de fait on était bien obligées d’y jeter un oeil. Et d’ailleurs comment ne pas ? Plein de sketches tirés d’Inside Amy Schumer ont régulièrement fait le tour des réseaux sociaux, bien aidés par des guests en pagaille ou des chansons bien senties. Aucun réseau social ne peut résister à ça. On en était là dans le hypstérisme télévisuel quand les Emmy Awards sont arrivés, et ont décidé de nous gâcher notre plaisir en distribuant des nominations à Schumer comme si c’étaient des préservatifs. Logiquement, on est depuis entrées dans la phase 2 de la Schumerisation des médias : celle où désormais, elle est trop connue pour être aimée universellement ; c’est là que tout un bataillon d’articles ont attiré notre attention sur les propos problématiques de Schumer sur un plan racial, ou sur d’autres points similaires. Comme le veut le cycle médiatique, évidemment.
Dans tout ça on s’est toutes trouvées un peu emmerdées : entre celles qui n’avaient jamais énormément accroché à Amy Schumer mais n’avaient pas osé le dire (et qui, en l’ouvrant maintenant, risquaient d’enfoncer des portes ouvertes), celles qui l’aimaient avant qu’elle ne soit trop mainstream (et qui, désormais, avec horreur, se rendaient compte qu’elles partageaient l’avis de l’Academy of Television Arts & Sciences), et celles qui l’avaient adorée sincèrement avant de se rendre compte que les « icônes féministes » ne sont pas plus parfaites que les autres (et qui, en faisant part de leur admiration actuelle, risquaient de passer pour des apologistes)… il ne restait plus beaucoup de place pour dire du bien d’Amy Schumer, d’Inside Amy Schumer, du Amy Schumer Live at the Apollo, et toute cette sorte de choses. Que faire, que faire ?
Eh bien, fort heureusement j’ai la solution pour vous et votre réputation de hipster : je vous parle ce matin de Funny Girls, la prochaine comédie à sketches féministe dont il sera bon ton de parler alors que personne ne la connaît. Et pour cause : elle est néo-zélandaise. JACKPOT !
Le concept de Funny Girls est à la base plutôt simple : c’est donc une comédie à sketches mettant en scène des femmes, et des femmes qui savent qu’elles sont des femmes dans l’univers de la comédie. La série a débarqué à la fin du mois dernier là-bas en bas, mais pas sur le câble : sur la chaîne généraliste publique TVNZ. Ne vous en faites pas, personne parmi vos connaissances ne soupçonne même l’existence de chaînes de télévision en Nouvelle-Zélande (c’était pas dans The Hobbit), vous pouvez garder vos lunettes à monture plastique épaisse et votre réputation.
Dans le premier épisode, dont il est question aujourd’hui dans ces colonnes, on trouve des sketches généralement très rapides : un cours de yoga qui se transforme en évènement sportif à grands enjeux, trois filles se plaignant de leur copain respectif autour d’un café, Romeo essayant de convaincre Juliette de se suicider ensemble, ou encore une fausse pub pour un jeu de société pour filles (« Career Girl », le jeu qui dit aux filles qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent ! …Pour un court moment). Il y a également un sketch en plusieurs parties, où l’on découvre crescendo la vraie raison pour laquelle les femmes vont ensemble aux WC.
Le ton n’est pas exactement révolutionnaire, mais la plupart des gags se regardent avec plaisir (Romeo et Juliette sont un peu faiblards, mais qu’importe). L’avantage c’est que, comme dans toute comédie à sketches, le niveau fluctue et que tout le monde finit par y trouver son compte. La suite de la série promet autant de se moquer de plein d’autres expressions du sexisme, mais aussi de détourner des clichés de la féminité, comme l’indique le tutorial de maquillage ci-dessous :
Tout cela est finalement assez classique, pour autant qu’une comédie féministe puisse être considérée comme « classique ». Mais il y a autre chose. Quelque chose qu’Amy Schumer, puisque c’était mon produit d’appel aujourd’hui, ne fait d’ailleurs pas souvent, même si elle a quand même produit quelques sketches sur sujet.
La vocation de Funny Girls est en effet non seulement de proposer tous ces sketches, mais aussi de parler de la fabrication de ces sketches : la série s’ouvre ainsi sur une séance de brainstorming au cours de laquelle Rose Matafeo, l’actrice principale de la série et l’une des co-scénaristes (Funny Girls est avant tout un travail de collaboration), tente de discuter avec les exécutifs de TVNZ. Le sujet : quel titre pour la série ? Les idées abondent mais hélas, tous les exécutifs sont des hommes… et aucun ne pense que les femmes peuvent être drôles. Au cours de l’épisode, on aura droit à toutes sortes de passages autour de cette idée : Funny Girls n’est pas facile à faire. Parce qu’il n’y a pas d’argent, parce que tout le monde à part les comédiennes s’en contrefout, parce que la productrice (oui, quand même, une femme !) est incompétente, et ainsi de suite. Se dessine aussi, lentement, la personnalité de Matafeo, un peu grande gueule et un peu gaffeuse (j’ai adoré le sketch de la tartine), qui m’a un peu rappelé Ilana Glazer de Broad City.
C’est en tous cas cette démarche de créer une mise en abime, de fictionnaliser sa fabrication, et de garder un regard acerbe sur sa propre existence, qui permet à Funny Girl de ne pas se prendre totalement au sérieux tout en s’assurant que les rires ne sont pas gratuits. C’est aussi ce qui lui vaut de figurer sur ce site, car comme vous le savez, je n’écris pas de reviews sur les émissions de divertissement (… genre Inside Amy Schumer, au hasard).
A défaut d’être un sans-faute, le résultat est rythmé, et plutôt incisif, ce qui est tout ce qu’on demande à une série de ce type. De toute façon, personne ne vous oblige à l’aimer, cette comédie. L’essentiel est de pouvoir dire que vous la connaissez.