Nous voyons souvent dans les séries historiques l’intelligence de la Cour, l’intelligence des manigances et des intrigues ; l’intelligence d’échapper à elles, aussi. Nous y observons si peu la forme d’intelligence personnelle, aiguë, d’un homme simplement instruit pour lui-même.
L’intelligence de Cromwell dans Wolf Hall serait celle d’un Josiah Bartlet, et non d’un Frank Underwood. Il s’agit de l’intelligence d’un homme arrivé en politique parce qu’il le faut et non parce qu’il le voulait ; l’intelligence d’un homme qui comprend la subtilité et la nuance, qui conserve du recul sur les gens et non seulement les actes. L’intelligence d’un homme qui a ses principes, aussi, et bien qu’ils ne ressente aucune nécessité de les rappeler à quiconque, s’applique à les respecter, à se respecter, en permanence. Wolf Hall est l’une des rares séries historiques à s’intéresser à cela avant tout.
En 1529, Thomas Cromwell est le fils d’un maréchal-ferrant alcoolique et violent. Parti de rien, avec les années, les voyages et l’expérience, il est devenu un homme instruit, puis a été introduit auprès du Cardinal Wolsey dont il devient l’avocat, le conseiller, voire même l’ami. Mais Wolsey est tombé en disgrâce auprès du roi Henri VIII pour n’avoir pas réussi à lui obtenir l’annulation de son mariage… et c’est ainsi que le sort de Thomas Cromwell dépend des puissants.
Ces évènements nous les connaissons, au moins pour les avoir vus se dérouler, côté Cour, dans les Tudors (je ne cesse de me dire depuis plusieurs mois qu’il faudrait que je la reprenne, cette série, mais passons). Wolf Hall ne s’embarrasse que très peu des détails de cette intrigue politique, s’autorisant même des ellipses parfois très subtiles, comme sous le coup d’une évidence. Ne doutons pas que pour quiconque a des lettres en histoire britannique, ce doit effectivement relever de la plus grande clarté. Il faut un peu suivre mais dans le fond, ce n’est même pas nécessaire pour apprécier Wolf Hall.
L’idée motrice de la série est de s’en tenir au portrait de Cromwell, un portrait tout en finesse et en nuances dans lequel l’homme ne fait pas de grande démonstration de caractère, de conviction ou même simplement d’émotion. C’est ce qui explique l’aspect contemplatif, voire trivial, de beaucoup de scènes qui le montrent à l’œuvre auprès du Cardinal, dispensant ses conseils avec une intelligence toute en retenue, s’intéressant à la lecture de la textes religieux en latin (et pas seulement…), ou vaquant à sa vie de famille auprès de son épouse Liz et leurs deux filles. Wolf Hall nous fait pénétrer l’intimité d’un homme qui vit dans une certaine humilité, tout en ne s’excusant jamais de ce qu’il est, de ce qu’il pense et de ce qu’il estime juste ; ce premier épisode prend son temps pour nous faire découvrir ces ingrédients, tranquillement, sans le forcer à se lancer dans des coups d’éclats, verbaux ou autre, pour nous le transmettre.
Cela donne à Wolf Hall un rythme très lent, mais non moins appréciable. De la même façon que la série vit dans une opulence de détails, de la garde-robe aux cartes à jouer, sur l’époque telle qu’elle se vit par les contemporains de Cromwell, dans toute sa rudesse, ce premier épisode se régale de nous fournir mille petites choses à observer dans le tempérament de son modeste héros. Un héros qui en est si peu un, que tout le monde ou presque le traite comme une quantité négligeable. Mais notre personnage central est d’une intelligence loin d’être aussi quelconque que sa condition.
Pas de jeu d’esprit, pas de jeu de chaises musicales ; Wolf Hall est occupée à décrire l’âme d’un homme déployant son intelligence sans en avoir trop l’air, à une époque bien dure et dans un milieu autrement plus pervers que lui. La série nous invite à voir en lui ce que la Cour n’a pas encore perçu, à comprendre ce qui fait de Thomas Cromwell un grand homme, et pas seulement une grande figure historique. Ce sera un privilège de suivre cet homme pendant les 5 épisodes suivants.