Comme il est difficile d’aborder une série qui a très bonne presse auprès de la communauté téléphage !
Vous connaissez ça par coeur alors je vous résume la problématique très vite : critiques dithyrambiques, hashtags et slogans en pagaille, et quand les fans commencent à se donner un surnom, n’en parlons même pas ; c’est là que l’enthousiasme général commence soit à vous agacer, soit à vous donner une idée démesurée de la qualité de la série. Voilà comment on se destine à l’échec téléphagique. Si seulement on en entendait un peu de mal, tiens ! Là ce serait bon signe !
Circonstances aggravantes pour Sherlock en ce qui me concerne : trois épisodes par saison, c’est juste pas possible. J’attends d’une série un minimum d’accoutumance, et trois épisodes, c’est en gros ce qu’il faut pour démarrer une addiction et vous laisser immédiatement ressentir les symptômes de manque pour toute une année. C’est un truc bien British, ça, tiens, les saisons super courtes espacées d’un an ou plus. Insupportable, je crois que je ne m’y ferai jamais.
Ce n’est donc qu’après avoir bien mesuré mon saut dans le vide que je me suis lancée ce weekend : six épisodes, c’est un peu plus raisonnable déjà, et très franchement, la pression téléphagique commençait à nécessiter une résolution dans un sens ou dans l’autre.
Soit la série m’avait été survendue et au terme de ce pilote, on n’en parlerait plus jamais, soit la série méritait son succès critique, et je m’apprêtais à signer pour 6 épisodes, avec une attente de seulement 7/8 mois d’ici la suite (si on part du principe d’une diffusion en janvier). Bon, on commence à être dans un rythme téléphagique dont je peux m’accomoder. Il n’y avait rien à perdre, donc. C’était le bon moment ; ne restait plus qu’à regarder l’épisode et en tirer les conclusions, dans un sens ou dans l’autre.
Bon bah je vais être honnête avec vous, Sherlock, ça déchire.
J’avoue que j’ai trouvé l’épisode un peu long, notamment certaines parties qui semblaient délayées interminablement au cours de l’enquête ; paradoxalement, le face-à-face de conclusion a duré longtemps mais ne m’a pas donné cette sensation d’étirement artificiel.
Après le saisissant portrait qui est fait du personnage, comment peut-on croire un seul instant que le spectateur puisse comprendre certaines choses avant Sherlock Holmes ?! It’s so out of character. Mais c’est à vrai dire le seul défaut de cet épisode inaugural.
Et puis, ces longueurs ne sont heureusement pas trop handicapantes, d’autant qu’elles sont en général meublées par des dialogues formidables. Pour la défense de cet épisode, il n’y a pas que ces scènes un peu longuettes qui sont pourvues de pareil atout : TOUTES les scènes ont des dialogues formidables. C’est pétillant, sarcastique, et constamment intelligent… et c’est véritablement ça, la force de la série, de toute évidence.
Mais il s’agit d’une intelligence qui n’a rien à avoir avec celle dont on peut se repaître dans la plupart des autres séries, vous savez, comme l’intelligence du Président Bartlet dont on se gorge comme de jus d’orange pulpé (non ? que moi ?), mettons, une intelligence saine et agréable, qui vous réchauffe le cerveau et vous donne l’impression de vous enrichir intérieurement.
Non mon Dieu mais quelle horreur.
Ici, au contraire, les personnages sont aussi dérangés l’un que l’autre (Holmes n’a juste pas envie de le cacher ; paradoxalement c’est probablement celui qui apparaît comme le moins malsain des deux), c’est précisément pour cela qu’on les aime, et surtout c’est ce qui les autorise à dire absolument tout ce qui leur passe par la tête sans s’offenser l’un l’autre, bien que cela énerve passablement les plus communs des mortels. En somme, les merveilleux dialogues peuvent exister parce que la personnalité des protagonistes les encourage à être prononcés, mais grâce à ces dialogues si fins, précisément, se construit une excellente dynamique entre les personnages qui entretient la fascination.
Une fascination qui n’a rien de positif ni d’enrichissant, et qui ne fait pas vraiment appel aux meilleures facettes de votre personnalité. Et quel bonheur, justement.
Regarder Sherlock, c’est avoir l’impression pendant 90 minutes d’être plongé dans le grand bain acide de l’intelligence aiguë de ses personnages, et se prendre au jeu. L’illusion fonctionne ; vous avez l’impression d’être leur égal, de partager un peu leur mépris pour les esprits lents qui peuplent l’arrière-plan, de posséder la même acuité, de célébrer morbidement avec ces héros pervers la joie de découvrir la clé d’un mystère macabre.
De fait, tout est un jeu, et rien n’est sérieux, avec Holmes et Watson. On prend un pied monstrueux, au sens propre du terme, en essayant de se mettre à la place de ceux qui commettent des monstruosités. On s’attend au pire et on s’en délecte ; et quelle déception, aussi, quand les gens ne sont pas aussi diaboliques qu’on se l’imaginait, preuve en sera faite à la fin de l’épisode.
En faisant appel à ce que notre cerveau a de meilleur (l’esprit de déduction) et de pire (chaque avancée est forcément doublée de Schadenfreude), Sherlock nous offre une parenthèse pendant laquelle nous pouvons nous permettre d’être tout ce que nous nous efforçons d’éviter de paraître le reste du temps.
Tout ça avec un sens de l’image et du montage irréprochables, et un cast au sommet de son art, histoire de vraiment se régaler à tous les niveaux.
Sherlock, c’est vraiment la série qui est méchamment intelligente, et qui ne vous en veut pas si vous avez l’impression pendant une heure et demie de l’être aussi.
Six épisodes ? Mouais. Ca va à peine me faire le weekend, ça.