Le bénéfice du doute

5 juin 2012 à 22:50

Chaque année, WOWOW nous gratifie d’excellentes séries, et pourtant à chaque fois, peut-être de par leur brièveté, je fais l’impasse sur des posts de bilan sur ces dorama d’exception. Eh bien pas cette fois !
Certes, Suitei Yuuzai me tentait moins, cette saison, que Tsumi to Batsu (pour laquelle apparemment les sous-titres ne sont pas à espérer dans un avenir immédiat). Mais après tout, certaines des séries que j’attendais se sont révélées décevantes, à l’instar de Kaeru no Oujosama puis, au bout de quelques épisodes, Cleopatra na Onnatachi (on y reviendra, soyez-en sûrs), alors pourquoi s’arrêter à des idées préconçues ?

D’autant qu’en plus de sa diffusion sur WOWOW (un gage de qualité s’il en est), Suitei Yuuzai est un drame dense, doté de nombreuses qualités, et exploitant son sujet sous tous les angles possibles, égratignant au passage les mondes médiatique, politique, et judiciaire. Tout le monde en prend pour son grade dans cette affaire, et la série s’attache à ne rien oublier.

Tout commence voilà 12 ans, lorsqu’une petite fille est assassinée. Le principal suspect de l’époque, Yoshio Shinozuka, est rapidement arrêté, puis poursuivi et enfin condamné à une sentence à vie. Mais voilà qu’après 12 années d’emprisonnement, il est libéré après que des tests ADN l’innocentent. Shinozuka, qui a maintes fois répété son innocence avant de finir par avouer ce crime pendant son long interrogatoire, est ainsi réhabilité aux yeux du monde.
Une nouvelle qui choque le journaliste Seiji Kayama, aujourd’hui reporter de guerre mais qui à l’époque avait couvert l’affaire en détails ; en particulier, lorsqu’il avait appris que la police suspectait Shinozuka, il avait enquêté sur lui et publié un article l’incriminant, qui détaillait son profil et ses motifs ; peu de temps après la publication de cet article, la police avait procédé à l’arrestation de Shinozuka, et Kayama a longtemps pensé qu’il avait joué un rôle dans le bon déroulement de la Justice. Avec la libération de Shinozuka, notre journaliste estime donc qu’il a une part de responsabilité dans son incarcération injustifiée.

Toutefois Suitei Yuuzai fait bien plus qu’aborder uniquement ces deux points de vue, puisque comme je le disais, plusieurs sphères vont être impliquées dans cette affaire.
Ainsi, la libération de Shinozuka prouvant qu’il y a eu erreur de la part des services de police, les responsables de la police métropolitaine sont  contraints d’aller faire des excuses publiques à l’ex-prisonnier, devant un parterre de journalistes. Ecarté de ces excuses par son supérieur, l’inspecteur Asada, qui avait mené l’enquête 12 ans plus tôt, est un peu mis sur la touche, mais reste déterminé à reprendre l’enquête pour trouver le véritable coupable. Il va vite découvrir que sa hiérarchie, plus que le couvrir lui, couvre plutôt toute une partie de la vérité, et l’empêche autant que faire se peut de pousser ses investigations.
Par-dessus le marché, la libération de Shinozuka se produit alors que les élections pour la chambre des représentants n’est plus très loin, et la récupération politique ne se fait pas attendre. Un politicien du parti démocrate, en particulier, nommé Kuribashi, se dépêche non seulement de s’afficher publiquement avec le héros du moment, mais s’immisce aussi dans son retour à la vie civile. Notamment, Kuribashi tente de s’afficher également avec la fille de Shinozuka, encore jeune au moment des faits mais qui a refait sa vie, et même changé de nom, et voulait pourtant mettre tout ça derrière elle.
Cette implication du monde politique et médiatique, une femme l’a voulue : il s’agit de Youko Ishihara, l’avocate qui a mené et gagné l’appel de Shinozuka. Car ce n’est pas tant l’innocence de son client qui l’a convaincue de mener cette affaire, que la perspective de devenir l’avocate la plus en vue du pays. Manipulant les médias (elle les convoque à de multiples conférences de presse mais les musèle avec des menaces de poursuites si le moindre mot lui déplait) avec brio, elle tente de tirer partie de la situation au mieux pour elle-même, avant de prendre en compte le bien-être de son client qui ne représente à ses yeux qu’un moyen.

Dans tout cela, il serait un peu facile d’oublier la famille de la petite victime. Douze années n’ont pas suffi pour que les parents et la grande soeur de la petite Tomoko guérissent des souffrances d’alors. Ils ont dû faire leur deuil en dépit de la police, des médias, et désormais, alors que Shinozuka est érigé en victime par les médias, leur souffrance est totalement mise de côté. C’est pourquoi la soeur aînée, Hiroko, prend contact avec le journaliste Kayama, bien décidée à l’accompagner alors qu’il tente d’écrire un nouvel article.

Car Seiji Kayama, comme beaucoup dans cette affaire, est rongé par la culpabilité. Suitei Yuuzai permet de prendre du recul sur ce qui s’est passé voilà 12 ans, et s’attache longuement à explorer le sentiment de culpabilité de plusieurs des acteurs de ce « drame après le drame » ; dans un monde où tout le monde a oublié la présomption d’innocence (c’est d’ailleurs la traduction du titre : « présumé coupable »), le sentiment culpabilité règne. Ô ironie.

Et pourtant, cette culpabilité n’est pas forcément équitablement répartie.
Ainsi, simple journaliste, Kayama n’a fait que son travail, explorant le profil et les motifs d’un homme qui était déjà suspecté avant son article ; d’ailleurs rien n’indique que la police n’aurait pas arrêté Shinozuka de toute façon. A l’inverse, le juge qui a traité l’affaire ne ressent aucune forme de culpabilité : pour lui, il a fait son travail sur les bases des preuves à l’époque (les tests ADN n’étaient-ils pas moins fiables voilà 12 ans ? Comment savoir que celui qui avait été présenté devant sa cour était un faux-positif ?) et n’a rien à se reprocher… même s’il a pris 12 années de sa vie à un homme.

Si l’incarcération de Shinozuka était à l’époque l’objet d’un cirque médiatique, malheureusement, les médias ne semblent pas retenir la leçon. Suitei Yuuzai ne cache pas sa désapprobation de l’omniprésence des journalistes, des caméras et des micros ; ils sont partout, à la sortie des maisons, des lieux de travail, bousculant tout le monde, harcelant les gens de question. Les tabloids se remplissent d’images dés que l’occasion s’en présente, même si cela n’apporte rien à l’affaire, simplement parce que c’est le sujet du moment.
Pourtant on ne peut pas dire qu’ils manquent d’information : Ishihara les nourrit de conférences de presse dés la libération de son client, y compris en direct, mais ce n’est pas assez. Ce n’est jamais assez. Il faut entretenir l’histoire.
Même Kayama, tout honteux qu’il soit, plutôt que de faire profil bas décide d’écrire un autre article, espérant à la fois prouver l’innocence de Shinozaki comme il en avait prouvé la culpabilité (démarche dont le degré d’objectivité est ouvert au débat…), mais aussi découvrir la vérité dans son ensemble. Il faudra l’insistance de Hiroko, la soeur de la victime, pour qu’il prenne en compte les ressentis de personnes bien plus diverses.

Si vous attendez de Suitei Yuuzai qu’elle soit un palpitant thriller dans lequel l’enquête pour trouver le véritable meurtrier de Tomoko vous tient en haleine pendant 5 épisodes, vous vous êtes trompés de série. L’enquête n’est pas du tout au coeur de l’intrigue, et c’est bien la raison pour laquelle elle piétine autant, nous poussant à d’ailleurs fabriquer, dans un premier temps, nous-mêmes les fausses pistes auxquelles pourtant elle ne fait pas du tout allusion. Et si Shinozuka était réellement le criminel ? Qui est le mystérieux Katsuragi, un témoin ou un acteur de la tragédie ?
Mais ce n’est pas le but de la série. Les portraits se succèdent, bien au-delà de ces personnages déjà nombreux que je vous ai présentés. Car si la libération de Shinozuka est l’épicentre d’un nouveau séisme, de nombreux personnages en sont encore au point de ressentir les répliques du bouleversement qui a eu lieu 12 ans plus tôt. Le concept de Suitei Yuuzai est vraiment d’essayer d’explorer le plus de points de vue possible.

Et du coup Suitei Yuuzai a le défaut de ses qualités.
En voulant couvrir tant d’angles sur un même sujet, la série finit par se montrer trop froide. Etrangement, l’objectivité qui fait défaut au personnage du journaliste Kayama, le spectateur finit par la faire sienne de par la multiplicité des points de vue. Pour cette raison, les scènes supposées être émouvantes ne le sont plus, parce qu’on a pris l’habitude de se mettre dans la peau d’un peu tous les personnages. La série adopte de nombreux thèmes traités dans Aishiteru ~Kaiyou~, notamment, sur le deuil d’un enfant, et la question de la responsabilité, mais échoue à lui arriver à la cheville dans le registre affectif.
Pire encore, quand la série tente de corriger ce défaut, notamment dans l’ultime épisode, cela se fait de façon presque grotesque (le presque ayant son importance, mais de peu), confirmant que la vocation de la série était ailleurs, et qu’elle aurait été bien avisée de s’en tenir là.

La conséquence de cet inconvénient, c’est que la résolution de l’enquête, puisqu’il fallait bien lui en donner une (même alors qu’elle n’était pas au coeur de la plupart des épisodes), si elle fait sens, manque de panache. La série démontrait assez bien la façon dont fonctionnent et se croisent les sphères médiatique, politique, et judiciaire, mais finit par ramener les choses à une explication triviale. Evidemment je ne veux pas trop vous en dire, mais on peut trouver que cela manque de courage ; c’est également vrai pour l’avocate qui se débine un peu, narrativement et littéralement.

Un mot sur le cast, aussi. Je ne sais pas si c’est ma mémoire qui me fait défaut, mais Touru Nakamura, vu déjà dans Soratobu Tire sur la même chaîne, est très décevant dans le rôle du journaliste gonflé de culpabilité, ayant tendance à surjouer la « bravitude » (on ne saurait l’appeler autrement). Occasionnellement, Jinnai Takanori, pourtant bon acteur en général comme en particulier, cède à un défaut similaire dans ses habits d’inspecteur Asada. Jun Kunimura est quant à lui impeccable de bout en bout, ce qui est d’autant plus honorable que le rôle de Shinozuka est parfois légèrement ingrat. Les vraies bonnes surprises sont à chercher parmi les rôles féminins : un peu Hitomi Kuroki, mais surtout les jeunes actrices Mimura et Yuika Motokariya, qui apportent un véritable plus aux scènes qu’elles honorent de leur présence. Un peu comme la série elle-même, le cast est donc assez irrégulier, mais capable aussi du meilleur.

Alors, au final, Suitei Yuuzai est un dorama qui atteint son but avec brio dés qu’il exploite son thème initial de la culpabilité, et quand il se préoccupe de faire en sorte que des mondes différents réfléchissent leur image les uns sur les autres à la façon de miroires. Mais quand il s’agit de s’écarter de ces thèmes pour donner dans le pathos, ou simplement résoudre l’énigme qu’elle a posée, la série ne se montre pas plus convaincante que le premier dorama de network nippon venu. Ce qui n’est pas si mal, mais en-dessous de ce qu’on pouvait attendre d’une série avec un si bon pedigree, et surtout de bons ingrédients.

Sans être totalement décevante, Suitei Yuuzai n’atteint pas totalement le potentiel qui était le sien. Mais pour un « investissement » de 5 épisodes, ce n’est pas si grave, et mérite quand même le détour, car après tout, même si la série ne remplit pas toute sa part du contrat, elle pose suffisamment de questions sur le traitement des affaires hautement médiatiques pour piquer la curiosité du spectateur et lui donner des pistes de réflexion intéressantes.
Et si ça, c’est le pire qu’on puisse tirer d’une série, on s’en sort déjà franchement bien, non ?

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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