Ces derniers temps, la télévision anglophone s’était tenue à une respectable distance des pirates, laissant tout le loisir au cinéma de profiter de la franchise Pirates des Caraïbes. Alors que le genre avait permis à certaines fictions locales de démarrer (c’est le cas de l’Australie avec The Adventures of Long John Silver, en 1954), il avait ensuite disparu.
Les dernières productions à se risquer en mer se trouvaient bien ailleurs. De tête, je peux vous citer les deux tentatives en Espagne Piratas et El Corazón del Océano, couronnées d’un succès qu’on va pudiquement qualifier de décent pour la première, et de très honnête pour la seconde plus tôt cette année. Un peu de recherche me fait également découvrir l’existence de la série sud-coréenne Hae Shin. Il y a peut-être encore quelques séries ayant échappé à mes fouilles (peut-être ailleurs en Asie ; ça m’étonnerait qu’aucun pirate ne se soit frotté aux êtres mystiques des mers philippines), mais on ne peut pas dire qu’il y ait eu foule. Restent quelques séries pour la jeunesse (genre Alma Pirata), tournées à moindre frais mais bourrées d’aventures rythmées, et évidemment après on peut taper dans l’animation (ce qui comme vous le savez n’est pas mon sujet dans ces colonnes), mais pas grand’chose d’ambitieux à l’horizon en règle générale.
Trop onéreux ? Sûrement. Une série de pirates aurait bien du mal à ne pas tourner on location, par exemple, et plus de mal encore à ne pas inclure de scènes d’action, avec explosions de canons à volonté. Cette année, deux séries US nous emmènent tout de même à la chasse au trésor, bravant la difficulté, et n’importe qui peut constater que les productions respectives de Black Sails et maintenant Crossbones n’ont pas lésiné sur les moyens. Mais avec quels résultats ?
Douloureuse réalisation : ah, tiens. En fait j’aime pas les séries de pirates.
Ce n’est pas la faute de Crossbones, ni celle de Black Sails, c’est simplement que c’est le genre de série qui ne répond pas à mes besoins téléphagiques.
Je reconnais cependant les efforts que fait Crossbones pour essayer d’apporter quelque chose d’un peu différent ; des efforts qui n’avaient pas été consentis par Black Sails, au pilote extrêmement conventionnel. L’essentiel de l’intrigue dans Crossbones est dédié aux mers, mais ne se déroule pas sur les flots ; le bateau a été troqué contre une île, ce qui permet d’introduire de menues variables, dont le concept de prison parmi les pirates (êtres libres s’il en est).
Ce premier épisode fonctionne comme un divertissement relativement convenable, avec son lot de scènes d’action, surtout en première partie, un peu de torture, et un peu de mystère dont on écarte bien vite toute cause surnaturelle ; en outre, John Malkovitch possède un don certain pour déclamer des phrases complexes avec un air placide, un ton courtois, une diction parfaite, mais une voix légèrement menaçante. Il incarne tout ce qu’on attend d’un pirate aujourd’hui : un minimum d’intelligence et ne pas dire « arr ! » toutes les quatre secondes.
Mais hélas, les dynamiques entre les personnages sont sensiblement les mêmes au final : un capitaine craint, une bande de pirates malodorants et violents, quelques jolies filles pour faire bonne mesure, et un personnage plus finaud que les autres qui va progressivement se rapprocher de la place de pouvoir. La mutinerie dans Crossbones a de fortes chance de se faire par la parole plus que par les sabres, mais dans le fond, ça revient au même.
L’intention est appréciable d’essayer de ne pas faire dans la série d’aventure pure, telle que Black Sails le fait. Je crois néanmoins que cela fasse beaucoup de déçus, en particulier en été, lorsque les spectateurs espèrent sûrement quelque chose de pas trop prise de tête sur NBC. En fait, Crossbones, en voulant éviter certains poncifs narratifs et en s’épargnant la mise en scène coûteuse de séquences impressionnantes, en devient passablement bavarde, remplaçant le budget abordage par une intrigue assez peu piquante entre deux personnages qui se méfient l’un de l’autre, veulent peu de bien l’un à l’autre, mais sont forcés de coopérer, et s’observent avec méfiance pendant un épisode, ou peut-être deux, voire toute une saison. Fascinant ! Dramatiquement, il n’y a rien à tirer de Crossbones sur le long terme.
Au bout du compte, je ne suis pas intéressée ; il manque une vraie idée, soit d’écriture soit de réalisation, pour faire de Crossbones quelque chose qui donne envie de revenir. Ce premier épisode ne parvient ni à dépayser vraiment, ni à transcender le genre. On est en droit légitime d’attendre l’un comme l’autre, après tout… mais toute troisième option est la promesse d’un ennui profond.
Cela explique probablement pourquoi, au final, les pirates sont plus à l’aise au cinéma qu’à la télévision. Arr !