L’arrivée d’un nouveau livre dans une bibliothèque téléphagique est un peu comme l’arrivée d’un nouveau né dans une famille : cela signifie à la fois la joie… et la frustration. Surtout si vous tentez de donner le sein à votre livre et de tourner les pages de votre bébé, la frustration devient alors sentiment d’échec et signalement aux services sociaux.
Il est rare que je parle des livres que je lis sur la télévision, principalement parce que j’ai déjà du mal à trouver le temps de parler de tous les épisodes et/ou toutes les séries que je regarde, alors si en plus je me mets à ouvrir une rubrique consacrée au format papier, je crois qu’il faut que je quitte mon travail et que je me consacre intégralement à ce blog. Attendez, j’ai perdu le fil : c’était quoi le problème avec cette suggestion ? Ah oui, ne plus avoir le budget pour acheter les DVD de la moitié des dites séries. Phew, on est passés à ça de la catastrophe !
Mais ce soir je voulais vous parler de mon livre de cette semaine, The Practice: la justice à la barre, paru aux Presses Universitaires de la Cité ya trois siècles et demi, mais vu que je balance mon budget bouquin une fois que j’ai acheté mes DVD, il est rare que je lise un livre sur les séries dés sa publication (à l’exception du dernier Martin Winckler, et du livre co-signé par Clity Swood, hasard ou coïncidence).
La lecture de ce bouquin m’a fait réfléchir, justement, à mon rapport aux ouvrages à vocation téléphagique, et plus que du contenu lui-même du livre (vous n’avez qu’à le lire vous-mêmes, et toc !), c’est de cela dont il va être question ce soir.
En 5 points, parce que j’aime les listes et je suis sûre que vous aussi.
5 raisons pour lesquelles je ne suis que frustration
après la lecture d’un ouvrage d’analyse sur The Practice
N’appelez pas les services sociaux…
1 – Le manque de références
La plupart des livres que j’avais achetés ces dernières années traitaient de plusieurs séries en même temps, ou de télévision dans son ensemble. Il faut remonter à, disons, une bonne et copieuse décennie en arrière pour retrouver dans mes achats des livres portant sur une série, et une seule. Je crois que ce n’était pas innocent, à défaut d’être volontaire ; c’était la suite logique de l’évolution de mon comportement téléphagique, puisque ma consommation elle-même tend à élargir au maximum le champ des séries que je regarde ou auxquelles plus généralement je m’intéresse. Je soupçonne d’ailleurs que beaucoup de téléphages passent du stade où une seule série, ou à la rigueur, une poignée de séries, attire(nt) leur attention, avant de finalement s’intéresser à des thèmes plus larges et dépassant le simple domaine de l’affectif. Mais dans mon cas, on ne peut pas dire que les ouvrages sur SPACE 2063 ou Invasion Planète Terre aient été légion sous nos latitudes (j’ai un roman de Peter Telep sur SPACE 2063, reprenant l’intrigue du pilote je crois, dans les faits je n’ai jamais dépassés les 10 pages, pourquoi opter pour la méthadone quand on a la coke à portée de main ?), et j’avais donc effectué des achats de pis-aller, genre un bouquin sur Ally McBeal et sur Friends, faute de mieux accessible dans le commerce au centre commercial du coin.
Mais quelle que soit la raison de mon évolution vers des ouvrages sans doute plus théoriques, mais surtout plus généralistes, le fait de me retrouver, pendant ce livre, à n’entendre parler que de The Practice (au début, la carrière de David E. Kelley est mentionnée, donc la plupart de ses succès aussi ; curieusement des séries de sa création qui n’ont pas fonctionné sont mises de côté, à l’instar de Snoops, girls club ou The Brotherhood of Poland, ce serait pourtant intéressant de les inclure, ses échecs ayant sûrement aussi quelque chose à dire sur les techniques d’un scénariste) était trop limité. Bon, j’exagère car une rapide référence à Oz, par exemple, est faite vers la fin. Mais globalement ce n’était pas assez transversal à mon goût.
2 – L’impression de déjà vu
Plusieurs fois au cours de ma lecture, et plusieurs fois en 5 jours c’est beaucoup, j’ai pensé : « ouais, euh, et sinon, on apprend quoi ? ». Cette impression est biaisée, bien-sûr. Oui, il se dit des choses très intéressantes dans ce livre sur le propos de The Practice, ses thèmes récurrents les plus forts et la façon dont la néo-série (on reconnait un sujet sérieux au fait que l’auteur sort des néologismes que lui seul utilise) les exploite, etc. Mais ces choses ne vous rivent pas à votre siège, les épaules pliées sous le poids des révélations. Cette impression est même injuste : si c’était si évident pour moi, moi-même j’aurais sans doute écrit l’équivalent à l’occasion d’un post sur la série (je me suis refait l’intégrale des deux premières saisons il y a quelques temps, après tout, j’aurais pu). Mais ce n’est pas le cas et ça prouve un peu quand même que, si ça va sans dire, ça va quand même mieux en le disant.
Le problème, c’est qu’en fait, ce ressenti découle de l’impression qu’on a acheté un livre d’analyse, mais que l’analyse ne va pas très loin, au sens où quiconque a regardé la série a senti, faute de mettre les mots dessus, ce qui est explicité au long des pages.
Clairement, c’est à ce stade que j’aurais dû comprendre que je n’étais pas venue à cet ouvrage avec la bonne démarche, surtout au regard de mon premier point. Certainement que j’aurais aimé qu’on me parle un peu plus du fonctionnement de David E. Kelley, par exemple, de la façon dont il use sa rhétorique ou comment il lui arrive d’utiliser des gadgets narratifs pour parvenir à ses fins ; en cela, il aurait été intéressant de croiser beaucoup plus (on y revient) les comparaisons avec d’autres séries. Ce qui est fascinant aussi, dans The Practice, ce n’est pas simplement le propos, c’est aussi que Kelley bossait sur deux séries en parallèle pendant plusieurs années, et que cette autre série était Ally McBeal. L’exercice de style mérite qu’on s’y attarde, non ? Comparer la face cachée de la lune avec sa face ensoleillée aurait eu une valeur immense pour décrypter certains propos, certaines scènes. En fait, je l’ai compris en progressant dans ce livre, il me faudrait une étude de l’œuvre de Kelley : pas de l’une de ses oeuvres, nuance. Surtout que Kelley pour moi est comme Whedon pour beaucoup. Donc clairement, j’étais là pour les mauvaises raisons, d’où mon ennui à plusieurs reprises.
3 – Les chapitres qui tournent en rond
Corollaire du point précédent. Tout un chapitre pour parler de la position de The Practice vis-à-vis des dérives sécuritaires, par exemple, c’est long, et je me suis demandé si c’était forcément justifié. On a l’impression que l’auteur a énuméré tous les exemples qui viennent soutenir son analyse, et c’est tant mieux, cela souligne le sérieux avec lequel l’ouvrage a été pensé et écrit. De toute évidence, Perreur connaît son sujet, possède une vue d’ensemble sur la série (qui entre parenthèses me manque, full disclosure). Rien de pire qu’une analyse tirée d’un chapeau, la partialité accomplissant ponctuellement son oeuvre (et je le sais pour en pondre moi-même quelques unes de temps à autres, on ne va pas se leurrer). Ici on a affaire à quelqu’un qui très clairement aime la série, mais qui est décidée à expliquer par le menu pourquoi celle-ci est intéressante. Ce que je ne nie pas. En fait, les axes retenus sont justement si clairvoyants qu’ils en deviennent évidents. Car une fois que la démonstration est faite, il importe finalement assez peu qu’une demi-douzaine d’autres occurrences pendant la série viennent soutenir la thèse de l’auteur, on aimerait que le chapitre aille plus loin. C’est le cas sur la peine de mort (le chapitre à mon sens le plus satisfaisant), qui vient se compléter de nombreuses informations statistiques et historiques sur la peine de mort, permettant de comprendre dans quel contexte The Practice tient son propos si clair d’abolitionniste. Et ça, ça m’a fascinée, cette remise en contexte de la série dans la société américaine, où, faut-il le préciser, est pleinement sa place, plus que pour 80% des séries ! Même au sein du genre des legal dramas, la position et l’argumentation de The Practice, sans être totalement uniques, sont marginales (j’adore The Good Wife mais les procès n’y revêtent pas du tout la même fonction, par exemple), et c’étaient certainement les passages du livre les plus proches de ce que j’attends d’une analyse sur une seule série.
Hélas, trop souvent, la plupart des chapitres se content de citations (parfois longues, même) et de très brefs rappels au contexte dans lequel l’épisode, l’arc, ou le thème récurrent, font leur apparition.
4 – Les limites de l’analyse de fond
Il est des genres et/ou des auteurs dont on peut dire avec certitude que, s’il n’y avait pas de fond, il n’y aurait rien, la forme étant laborieuse ou épouvantablement générique. Même par curiosité, je n’irais pas acheter un livre sur Desperate Housewives, mais voilà un bel exemple de série dans laquelle il semble difficile de disserter en longueur sur la forme que revêt la série, tant ses dialogues sont, je ne vais pas dire pauvres, mais à tout le moins, pas riches. Il aurait été fantastique d’aller plus loin que la thèse de The Practice sur les sujets sélectionnés (effectivement les plus importants, c’est incontestable) et de s’aventurer sur le chemin des outils narratifs eux-mêmes, peut-être : on a ici un scénariste qui est un ancien avocat, et dont le talent pour retourner les idées et jouer sur les mots est encore moins anodin qu’ailleurs. Ne pas parler, ou presque pas, de la façon dont sont construits les dialogues et plus particulièrement les interventions devant le tribunal est quasi-criminel, et laisse de côté une énorme partie de la richesse de la série. De la même façon, s’intéresser si peu (mais un peu quand même je vous rassure : en passant) au fait que le créateur et showrunner de la série soit un ex-avocat, avec ce que cela dit sur le système juridique avant même que les personnages eux-mêmes n’ouvrent la bouche, est dommage. Pas dramatique, mais dommage. Combien d’autres ouvrages Perreur pense-t-elle pouvoir écrire sur The Practice ?
Mais là encore, la faute me revient de façon pleine et entière. Ce n’est pas l’intention qui a présidé à l’écriture de cette analyse, et on ne saurait tenir l’auteur responsable des attentes du lecteur…
5 – L’envie de revoir la série
Ne riez pas, c’est un problème très sérieux. On parle d’une série dont la sortie en DVD est des plus piètres ; c’est d’ailleurs pourquoi l’ouvrage fait figure d’exeption dans la mini-collection de PUF, avec à côté des séries intégralement éditées et/ou facilement accessibles : Les Experts, Desperate Housewives, Six Feet Under. Mais c’est aussi, à dire vrai, ce qui fait l’intérêt de ce livre, pour une fois que sort une analyse sur une série légèrement plus obscure que la moyenne, ça fait quand même bien plaisir que les spécialistes soient autorisés à changer de disque.
Mais à force de mentionner des lignes de dialogue entières, à force de parler très précisément d’un épisode (L’Esprit de l’Amérique faisant en plus partie de mes absolus préférés) décrit par le menu, et à force, bah, de bien parler d’une bonne série, tout simplement, j’avais finalement plutôt le sentiment que, surtout les 5 points étant cumulés, j’aurais plutôt dû mettre mon temps de lecture au profit d’une intégrale. Chose que mon emploi du temps téléphagique ne peut pas me permettre, pas DU TOUT !
Ces cinq points, j’espère avoir su le dire, ne sont donc pas vraiment des reproches que j’adresse à The Practice: la justice à la barre, que d’ailleurs je vous recommande, surtout si vous faites partie de ceux qui ne connaissent pas la série.
C’est, à vrai dire, à mon avis, la véritable cible de cet ouvrage : les téléphages qui ont loupé le coche de la série ; vous aimez les fictions [américaines], mais vous savez que vous n’aurez jamais les DVD ni assez de place sur votre disque dur pour rattraper le temps perdu ? Vous allez trouver dans ce livre un parfait kit de secours vous permettant de posséder les bases pour élargir votre culture téléphagique sur The Practice ; les grands thèmes sont parfaitement présentés, les diverses problématiques des personnages sont toutes mentionnées au moins une fois, et en gros, Perreur a vu la série pour vous parce qu’elle sait que c’est compliqué (et probablement parce que The Practice compte parmi ses séries préférées, et c’est facile de parler longuement de ce qu’on aime, vous le savez pour lire ce blog !). C’est formidable si vous avez besoin d’un livre pour vous parler d’une série que vous ne pourrez sans doute jamais voir par vos propres moyens… ou que vous n’auriez pas nécessairement eu l’idée de rattraper sans y être fortement incité par un livre qui attire votre attention sur les qualités et le propos de cette série.
En somme, le complet néophyte sera perdu à la lecture, le téléphage qui connait déjà bien la série (à défaut de forcément l’avoir vue en intégralité) se retrouvera avec un ou plusieurs des points que je viens d’évoquer, qui lui diminueront son plaisir, donc le public qui appréciera pleinement cet ouvrage se situe quelque part entre les deux.
Je ne suis donc que frustration parce que, en somme, j’ai lu un livre qui ne m’était pas forcément destiné, que j’en attendais autre chose, et que grosso-modo, il faut sans doute que j’arrête totalement de lire des ouvrages s’intéressant à une seule série, parce que ce n’est pas/plus ma came.
La semaine prochaine, j’entame Créatures!. Normalement, d’après mes prévisions, la frustration devrait laisser place à l’insomnie.
Toujours se méfier des souhaits.
Tiens, c’est marrant pour moi que tu parles précisément de ce livre aujourd’hui car j’ai failli le commander hier soir, avant de me raviser, justement parce que j’avais peur qu’il ne fasse qu’exacerber ma profonde frustration concernant l’édition de la série en DVD.
Et l’envie de me le procurer était justement venue du fait que j’avais feuilleté brièvement les volumes consacrés à 24 et Six Feet Under dans l’après-midi, alors que je repartais bredouille d’une librairie où j’étais venu à la base pour acheter Créatures!
Si je me fie à tes propos, et je ne vois aucune raison de ne pas le faire, ce n’est visiblement pas non plus un ouvrage pour moi, même si l’idée d’un livre consacré à une série uniquement ne m’est pas rédhibitoire.
Il n’en reste pas moins bon à savoir qu’on peut tout de même le conseiller à ceux qui n’ont pas la chance de connaître cette superbe série, pour moi le véritable joyau de l’œuvre de Kelley. Merci du tuyau !