Qu’il est rare qu’une série historique me plaise ! Il y a probablement des cas dans lesquels c’est moi qui me braque, un peu par principe : je n’aime pas avoir l’impression qu’on me fasse la leçon ; les cours d’Histoire comptent, ils faut le dire, parmi quelques uns de mes plus désagréables souvenirs du collège et du lycée (les autres étant généralement ceux des cours de maths, mais… il existe très très peu de séries sur les maths). Rien ne m’exaspère autant qu’une série qui veut absolument prouver qu’elle a des super décors et des costumes parfaitement fidèles, et qui au final brade totalement l’émotion dans son soucis de « faire vrai ». Trop souvent, les séries historiques semblent vouloir prendre le prétexte de parler de l’Histoire grâce aux petites histoires, mais ce faisant, elles négligent leurs petites histoires parce qu’elles ont trop l’oeil sur la vue d’ensemble. Celles qui ne donnent pas dans ce désagréable travers, ironiquement, échouent tout de même à mes yeux en étant justement trop soapesque. C’est un peu une situation sans issue, et très peu de fictions de ce type finissent par trouver grâce à mes yeux, même s’il y en a.
Le contexte joue aussi, évidemment ; par exemple, je me sais un peu plus ouverte d’esprit sur tout ce qui porte sur l’Histoire de ces 50 dernières années environ (on n’est pas à une décennie près, évidemment), je commence à faire une véritable overdose de tout ce qui est Guerre Mondiale, et ensuite, plus on remonte le temps plus le sujet me pose un problème de principe.
Tout ça fait que les exceptions passant entre les mailles du filet répondent généralement à des critères assez précis (même s’il arrive qu’il y ait des exceptions un peu partout, évidemment), et il faut le dire, Moeder, Ik Wil Bij de Revue, une série apparue cet automne à la télévision néerlandaise, avec plusieurs atouts dans sa poche : elle avait choisi un sujet qui n’était pas tout-à-fait historique, et qui se déroulait dans l’après-Guerre. Et je dis banco.
Ce sujet, c’est celui des van Woerkom, une famille qui a survécu tant bien que mal à la guerre, et qui désormais peut se consacrer à la boutique familiale, qui s’est reconvertie en magasin d’électro-ménager. Signe des temps. Les van Woerkom et leur fille font leur chemin dans une économie en pleine renaissance, Trente Glorieuses obligent.
A côté de ça, un autre personnage, Bob, revient de la Guerre ; il était soldat, le voilà désormais voué à reprendre l’exploitation de charbon de son père, mais il n’a envie de rien de moins au monde. Alors qu’il obtient des places pour assister au spectacle de music-hall d’une troupe qui s’installe, Bob va découvrir les joies que procurent le show business aux spectateurs ; ému par le spectacle, et ces chansons dans lesquelles il se retrouve tant, il décide de rester en ville, de laisser tomber le charbon, et de devenir homme de main au sein de la revue : n’importe quoi, pourvu de participer à sa façon au spectacle ! Même si, en toute sincérité, il préfèrerait pouvoir chanter…
Moeder, Ik Wil Bij de Revue est bien décidé à visiter des personnages très différents en l’espace d’un seul épisode : outre la famille van Woerkom et Bob, on suit aussi le chanteur de la revue, John, et sa soeur Riet, des personnages du monde du spectacle qui vivent un peu en marge de la société, avec des goûts de luxe. A travers ces différentes couches de la société, la série peut ainsi se permettre de voir le progrès économique de plusieurs façons ; ici il n’est pas question de montrer des différences entre les classes : désormais tout le monde a accès aux dernières radios ou tourne-disques dernier cri, par exemple. Ces points de vue différents permettent simplement d’aborder différents thèmes.
A la façon d’American Dreams, le pilote de Moeder, Ik Wil Bij de Revue met en parallèle la façon dont le pays recommence à rêver et songer à l’avenir, et la façon dont les personnages le veulent eux aussi. Le magasin était d’ailleurs un outil utilisé dans American Dreams, tout comme l’était le divertissement (grâce à American Bandstand), pour décrire la période de transition vécue par les personnages.
La scène la plus touchante, après quelques longues d’exposition passagères, est certainement celle qui clot le pilote. Bob assiste en effet à la Revue, et il est difficile de ne pas partager son émotion.
Elle m’a rappelé, eh bien, par une intéressante mise en abime, celle que nous ressentons tous, je crois, de temps à autres, en tous cas c’est à espérer, en tant que téléphages : une fenêtre sur un monde à mille lieues de ce que nous connaissons, capable à la fois de nous transporter et de nous ramener à ce qu’il y a de plus intime en nous.
Comment ne pas songer à ces chansons mélancoliques qui parlent (si je comprends bien ma VOSTM) de souffrances passées et de deuil, et ne pas songer aux séries qui nous disent la même chose. Elles nous bouleversent et nous donnent envie, nous aussi, de participer, peu importe comment ; avec une news, un review, ou pourquoi pas en soumettant le pitch à un producteur qui nous consulte. Je veux dire, on est là pour ça, non, pour être à la fois ému sur le moment et transcendés dans la minute qui suit ? Cette séquence finale du pilote de Moeder, Ik Wil Bij de Revue nous renvoie là, à ce quelque chose de très positif, quand tout est à construire.
Moeder, Ik Wil Bij de Revue est l’histoire de personnages qui veulent aller de l’avant, qu’il s’agisse de ceux qui veulent simplement asseoir leur confort matériel, trouver l’amour, ou, comme Bob, s’exprimer grâce à quelque chose qui leur semble fondamentalement beau même si c’est un peu superficiel à la fois. En cela, ces 43 premières minutes sont délicieusement désuettes et en même temps terriblement actuelles. Après tout, nous aussi, nous allons vouloir vivre nos Trente Glorieuses, quand on arrêtera d’annoncer que c’est La Crise tous les matins…
Voilà, ça y est, j’ai trouvé. Les séries historiques qui me plaisent vraiment, ce sont celles qui sont tellement universelles qu’en réalité elles pourraient se passer n’importe quand. Mais qui sont quand même drôlement plus élégantes quand elles utilisent le passé pour nous le dire.