Ping pong

10 novembre 2013 à 22:02

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Notre deuxième escale à l’occasion du « Focus sur les séries israéliennes » nous emmène dans le Sud d’Israël, plus précisément à  Aravah, à la frontière de la Jordanie. C’est dans cette zone désertique que se déroule Pilpelim Zehubim, dont nous allons parler ce soir.

Pilpelim Zehubim est l’un de ces projets sur lesquels personne ne prendrait de pari, en tous cas sur le papier. C’est le nom de sa créatrice, scénariste, et co-réalisatrice, Keren Margalit, qui a pesé dans la balance : celle-ci a en effet écrit plusieurs épisodes à la fois de BeTipul (dont nous parlions hier) et de sa version américaine, In Treatment. Sans cette carte de visite, il aurait en effet été quasiment impossible de vendre un drama au thème si peu attrayant (j’y reviens, bien-sûr, dans un instant).
Il me faut qui plus est ajouter que contrairement à la plupart des séries israéliennes modernes, Pilpelim Zehubim n’a pas pour contexte la vie urbaine d’une grande ville comme Tel Aviv, mais un coin peu peuplé où seules subsistent quelques communautés reculées. Hormis des séries plus exotiques comme Kathmandu ou Ananda, je n’ai en réalité vu qu’une seule autre série prenant ce pari, et c’était Yehefim, une série dont le principe-même est qu’elle se déroule dans un kibbutz isolé, dont les membres vivent en autarcie pendant 3 générations.

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Pilpelim Zehubim commence alors qu’une petite famille vivant donc dans une communauté d’Aravah se trouve réunie pour la première fois depuis des années. Alors qu’Ayelet, son mari Yaniv et leurs deux enfants, vivent à deux pas du grand-père Meir, voilà que son frère Avishay vient s’installer au village avec son épouse Yael. Le problème c’est que Yael n’est pas en odeur de sainteté dans la famille : alors que les affaires d’Avishay périclitaient (il a perdu son investissement dans une start-up), elle l’a trompé avec un de ses collègues, un médecin. Afin de prendre un nouveau départ, le couple a donc décidé de quitter la ville et de se rapprocher de la famille ; Avishay va, qui plus est, reprendre l’exploitation de poivrons familiale, qui jusque là était tenue par Yaniv. Ce dernier peut ainsi se consacrer à l’ouverture du restaurant qu’il rêve de faire construire sur la falaise, avec une vue imprenable sur le désert jordanien…
C’est sur ce retour parmi les siens que commence Pilpelim Zehubim, donc, mais en choisissant de suivre des points de vue inattendus. Ainsi, il ne sera pas question de se mettre dans la peau d’Avishay, par exemple, et très peu à la place de Yael. Tout ceci va au contraire nous être essentiellement montré à travers les yeux d’Ayelet, ravie de retrouver son frère, moins ravie de devoir faire bonne figure devant sa belle-sœur (elle ne se forcera d’ailleurs pas trop). L’épisode est par-dessus le marché ponctué par des discussions d’ouvriers employés dans les champs de poivrons, des immigrés dont le regard extérieur est forcément moins investi dans les dynamiques familiales, et où les potins vont bon train au sujet des patrons.

Yael, bien qu’elle porte la culpabilité d’avoir failli endommager son mariage à jamais, n’est pas exactement un paillasson ; elle est prête à être humble, mais pas à mettre totalement son ressenti de côté. Et dés son arrivée, c’est le petit Omri qui attire son attention.
Omri, 5 ans, est un petit garçon adorable ; il est aussi grand amateur de musique et ne sort jamais sans ses écouteurs, ou, s’il est à la maison, n’est jamais loin d’un lecteur CD. Les habitants de la communauté s’adressent d’ailleurs à lui en chansons, sachant combien la musique le passionne. D’ailleurs il est absolument incollable sur le sujet : pour chaque chanson qu’il entend, il est capable de dire qui en est le chanteur, de quel album elle est issue, en quelle année elle est sortie, et même d’en chanter l’intégralité des paroles. A ce titre, ses parents le considèrent comme un petit génie, et l’imaginent déjà devenir une sommité dans le milieu de la musique, peut-être même une star.
Yael, qui est pédiatre, ne partage pas cet enthousiasme. Elle s’enquiert quant à elle de l’avancement d’Omri, et de sa difficulté à répondre à un échange simple s’il ne concerne pas la musique. Au fil du pilote, nous comprenons qu’elle a déjà tenté à une reprise, il y a deux ans, de tirer la sonnette d’alarme ; qu’Ayelet et Yaniv ont emmené Omri voir un médecin qui n’a rien trouvé d’anormal chez l’enfant, et qui a préconisé une sorte de « wait & see » que les parents ont interprété comme un « R.A.S. ». Mais à son arrivée au village, Yael insiste à nouveau sur le fait qu’Omri semble accuser un certain retard dans le développement de sa sociabilisation, ou plutôt, avance l’idée que « ça serait peut-être pas plus mal de le faire examiner ». Outre le fait que ce diagnostic (pourtant prudent) est en lui-même difficile à entendre, le fait que Yael soit la mauvaise épouse qui a trompé son mari ne l’aide pas à être écoutée.
C’est le grand-père Meir, un homme débonnaire, mais avec une volonté de fer et beaucoup d’autorité (ainsi que l’habitude de corriger les anglicismes de son entourage), qui finit par attraper la perche tendue par Yael. Il prend sur lui de venir récupérer Omri à la sortie de sa classe de maternelle et de l’emmener voir un spécialiste recommandé par Yael, en ville. Que dit le spécialiste ? Qu’effectivement il y a quelque chose.

Le mot « autisme » est alors lâché. Et passée la colère (légitime) ressentie à l’idée que l’examen d’Omri par un nouveau spécialiste a été fait dans son dos, Ayelet est bien obligée de reconnaître que ce petit, tout doué qu’il soit lorsqu’il est question de musique, il est un peu difficile de communiquer avec lui. C’est très dur à admettre, et plus encore devant Yael, mais enfin, les faits sont là. Et lentement, Ayelet va admettre l’idée qu’il faut faire examiner Omri, et peut-être envisager qu’il n’est pas un génie, mais au contraire un petit qui va avoir besoin d’un coup de pouce pour s’épanouir.

Le pilote de Pilpelim Zehubim s’arrête là, il a dit l’essentiel. Il a dit combien cet enfant qui ne communique que s’il est question de musique, il y a toute une famille qui ne communique pas super bien non plus. Cet épisode nous dit qu’en essayant de régler les problèmes de communication d’Omri, c’est toute la famille qui va devoir travailler à sa propre communication en interne.

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Le pilote s’arrête là, mais la projection, elle, s’est poursuivie. Et j’espère que vous me pardonnerez d’évoquer brièvement le 5e épisode de la série (puisque c’est l’autre épisode qui nous a été montré) dans cette review de pilote ; c’est que, voyez-vous, une fois qu’on surmonte la surprise de sauter 3 épisodes lors d’une projection introductive, il s’avère que le choix est hautement judicieux. Libre à vous cependant de passer directement au paragraphe final de cet article si vous préférez éviter les spoilers, mais je crois que dans le cas de Pilpelim Zehubim et compte tenu de ses probabilités de diffusion, vous ne risquez hélas pas grand’chose à être spoilés sur l’intrigue. Je ne souhaite que de me tromper.
Dans ce 5e épisode, intitulé « Ping pong », le diagnostic a avancé et Ayelet s’est relativement bien faite à l’idée. Désormais toute la famille est d’accord pour essayer de concerter ses efforts de façon à aider Omri au mieux ; on peut d’ailleurs voir qu’en quelques épisodes, Yael est passée du statut « d’ennemie » à celui de personne de confiance. Elle aide ainsi Ayelet à faire venir (en secret, pour que la communauté n’en parle pas) une spécialiste de l’autisme qui pourra établir avec la famille un plan de bataille. Sauf que cette spécialiste qui leur a été recommandée, c’est Rachael, une ancienne camarade de classe d’Ayelet à l’école primaire, que celle-ci tenait en piètre estime car elle était « bizarre ». En dépit de la réticence d’Ayelet à parler des problèmes d’Omri devant cette vieille connaissance, Rachael a tôt fait d’établir le contact avec Omri, et de poser les premières bases de son plan.

Son plan, c’est le ping pong, justement. Et notre épisode va passer une bonne dizaine de minutes, peut-être même une quinzaine (j’avoue que je n’avais pas du tout envie de regarder ma montre !) à nous expliquer cette histoire de ping pong.
La communication, c’est du ping pong. Quelqu’un envoie une balle, que la personne en face renvoie, et ainsi de suite. Mais outre la communication verbale, il y a tout ce qui est communication non-verbale : le ton de la voix, l’expression du visage, et même les silences, qui font partie de la communication sans en avoir l’air. Le problème c’est qu’Omri ne perçoit pas l’essentiel de la partie de ping pong, que ces signaux lui échappent ; alors il s’emmure dans la musique parce que c’est plus simple comme communication.
Pour illustrer son explication, Rachael saisit au vol un échange entre Avishay et Yael ; elle décode chacun de leurs échanges, puis la façon dont les autres membres de la famille réagissent, et finit par décoder l’intégralité de ce qui se passe autour de la table, et les dynamiques en présence.
Pilpelim Zehubim atteint à cet instant un niveau de génie incroyable en faisant le choix, à travers le personnage de Rachael, d’expliciter les dynamiques de la famille, et ce, sans jamais parler des intrigues en cours (la trahison de Yael, les problèmes que connaît Yaniv avec le restaurant et qui ont des répercussions financières). Simplement en décodant les paroles en apparence anodines des uns et des autres, leurs silences, leurs regards, Pilpelim Zehubim fait ce que peu de séries osent faire : livrer elle-même la clé des interactions de ses personnages. Le procédé prend par surprise (beaucoup de séries préférant au contraire utiliser les points de suspension pour que nous nous amusions à déchiffrer les silences et les non-dits), et surtout, il rend la plongée dans cette famille encore plus immersive, encore plus incroyable.
Car finalement, il n’y a pas qu’Omri qui a du mal à communiquer, et lui a l’excuse de l’autisme.

Cette grande leçon de communication se conclut par une dernière démonstration, qui cette fois concerne Ayelet. Présentée dés le départ comme une forte tête, et une mère aimante bien qu’un peu enfermée dans l’image de perfection qu’elle a créée pour Omri, il va nous être dévoilé à quel point cette image est fausse. Sourde aux désirs de son propre enfant, sur lesquels elle plaque les siens, elle va s’avérer être également aveugle au ressenti d’adultes qui, eux, sont pourtant très clairs sur ce qu’ils veulent et pensent. Lorsque Rachael, un peu malgré elle, explique à Ayelet qu’elle la martyrisait quand elles étaient enfants, Ayelet ne l’entend pas. Elle continue d’insister sur le fait que rien ne s’est jamais passé ; elle n’embêtait jamais les « freaks » de l’école, répète-t-elle, au contraire elle les adorait et était proche d’eux. Mais Rachael continue d’essayer de lui faire comprendre qu’elle a vécu, pendant deux ans à ses côtés à l’école, un véritable calvaire qui l’a profondément marquée.

Et soudain Pilpelim Zehubim n’est plus du tout l’histoire d’Omri, ou de sa famille faisant face à son autisme. La série s’attaque au coeur de tous les problèmes de communication dans leur ensemble, et à leurs causes ; elle interroge la façon dont nous nous percevons, et le fossé qui nous sépare de la façon dont les autres nous perçoivent. Elle demande aussi si, quelque part, entendre ce que les autres ressentent, accepter d’écouter les choses qu’ils ont à nous dire, y compris sur nous, n’est pas une richesse immense, alors que nous le voyons comme un danger.
Pilpelim Zehubim est autant l’histoire d’Omri que celle d’Ayelet qui va devenir une meilleure personne, qui va s’ouvrir : à sa belle-soeur Yael, qu’elle avait prématurément condamnée ; à Rachael, qu’elle avait persécutée sans même s’en rendre compte et qui aujourd’hui devient un élément fondamental de sa vie avec Omri ; et même d’une des employées de la plantation de poivrons, une immigrée qu’au départ elle n’aimait pas, et qui à la fin du 5e épisode va devenir soudain très, très précieuse.

La richesse du drame humain qu’est Pilpelim Zehubim est incroyablement prometteuse. Mais il faut admettre de se plonger dans le désert, de prendre le temps d’écouter les silences, et ce n’est pas forcément du goût de tout le monde, je peux le comprendre. Pourtant, elle est incroyablement enrichissante, cette série qui se fixe pour but non seulement d’ouvrir le cœur et l’esprit de ses personnages, mais aussi des spectateurs.
Je l’ajoute donc immédiatement à la longue liste des séries qui me donnent d’amers regrets de ne pas parler toutes les langues du monde. Rendez-vous dans ma prochaine review israélienne pour en aborder une autre : Nevelot.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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