LOS ANGELES, DECEMBRE 2012
« Messieurs, messieurs je vous en prie du calme ! Et vous aussi, madame la Vice-Présidente de la Diversité. Je sais que nous vivons des temps de crise, mais nous pouvons trouver une solution.
– Mais enfin, Lorre, vous savez bien que cela devient urgent !
– Je le sais, je le sais bien, monsieur Moonves, et nous allons y parvenir. J’ai préparé à cet effet une présentation qui, j’en suis sûr, nous permettra d’avancer. Sur ce PowerPoint, vous verrez…
– Un PowerPoint ?!
– …Si vous voulez bien me laisser un instant, monsieur Moonves, votre patience sera récompensée je vous le promets. Sur ce PowerPoint donc, j’ai réuni toutes les données recoupées par nos sondeurs, et sur des focus groups. Qu’apparait-il ? Que vraisemblablement, le public trouve que nos sitcoms sont trop masculins.
– C’est absurde !
– Une hérésie !
– Il n’y en a que deux et demi !
– Messieurs s’il vous plait ! Bien que je ne m’explique pas ces chiffres, je ne peux qu’en constater l’importance : 71,2% des sondés trouvent que, quand bien même il est agréable de regarder un sitcom créé par votre serviteur, la plupart manquent de personnages féminins de premier plan. Le prochain sitcom que je vais donc vous pitcher aura non pas un héros, mais une héroïne.
– C’est la révolution !
– Comment imaginer cela ?
– Mais vous n’allez pas employer des scénaristes-femmes, j’espère ?!
– Un peu de silence, messieurs ! En fait, c’est même pire que ça : j’essaye de vous expliquer que pour Mom, mon prochain projet, je vais en fait mettre deux héroïnes au centre de la série. Et je sais, je sais que ça peut sembler effrayant… Je veux dire : la dernière fois que j’ai accepté d’associer mon nom à une série dont personnage féminin était dans l’un des rôles principaux, je me suis arrangé pour qu’elle soit obèse, et je comprend à quel point l’idée d’avoir des femmes drôles pour elles-mêmes et non pour leur apparence est révoltant. Mais permettez-moi de continuer. Toujours d’après nos chiffres, comme vous pouvez le voir sur cette slide PowerPoint, il semblerait que les focus groups ET les personnes sondées soient d’accord : une héroïne de comédie idéale serait Sally Field. La plasticité de son visage provoque l’hilarité chez la majorité des personnes interrogées, généralement en moins de 10 secondes, et cela, j’insiste, quels que soient les dialogues.
– Lorre, je vous préviens, si vous faites d’une actrice de 66 ans l’héroïne de votre nouveau sitcom, il faudra le vendre à un autre network.
– Tout-à-fait conscient de cela, monsieur Moonves, je me suis permis d’inviter à ce briefing le Doktor Herbert Gegenberg, un célèbre savant spécialisé en génétique hollywoodienne.
– Messieurs, nous safons la technologuieuh ! Déssormais, il ette possibleuh deuh cloner Sally Fieldt, ette deuh lui donner l’apparenceuh d’uneuh blondeuh deuh moins deuh quaranteuh ans. »
Silence assourdissant dans la salle de réunion.
« Alors monsieur Moonves, qu’en dites-vous ?
– D’accord Lorre, je vous commande Mom. Mais promettez-moi qu’elle peut vraiment faire toutes les grimaces de Sally Field.
– C’est promis monsieur Moonves, vous ne le regretterez pas.
– Je le sais, Lorre. C’est pour ça que je commande toujours vos séries. Maintenant sortez, il faut qu’on discute des spin-offs de NCIS. »
J’ai bien compris que Mom était l’arbre qui cachait la forêt niveau diversité sur CBS, mais j’ai l’impression que ce billet d’humeur pourrait s’appliquer autant à la mise à l’antenne de We Are Men qu’à la commande de Mom. Je veux dire, je m’attendais à un crash test en sitcom tout public crasse, finalement Anna Faris s’en sortait finalement pas si mal que ça. C’est uniquement lorsque Alison Janney rentre en scène qu’on assiste à un empilement de clichés sur l’alcoolisme, la promiscuité etc.
Donc j’ai dû passer à côté de ce billet d’humeur. Ce sont des choses qui arrivent.