Puisque nous parlons de Little Bird à l’occasion de sa diffusion en France aujourd’hui, c’est l’occasion parfaite d’évoquer aussi Pour toi Flora, une série dont Céline m’avait rappelé l’existence, et je l’en remercie. Pour toi Flora, produite par la télévision canadienne francophone, prédate Little Bird d’une année ; c’est aussi le tout premier projet autochtone produit au Québec. En effet, il n’existe pas d’équivalent francophone au Canada pour les nombreuses productions d’APTN on a pu mentionner par le passé des séries comme Hard Rock Medical (que j’ai a-do-rée), le drama Blackstone, ou encore la série policière et fantastique Rabbit Fall, et ce sont toutes des séries anglophones. APTN est, cependant, partenaire de la production de Pour toi Flora ; peut-être le début de quelque chose.
Contrairement à Little Bird qui est une série historique, Pour toi Flora se déroule principalement de nos jours, et a pour protagonistes centrales deux adultes qui ont subi une scolarité dans un pensionnat autochtone.
Il ne faut en effet pas oublier que le dernier de ces pensionnats a fermé ses portes en 1996 ; c’est-à-dire que des personnes de ma génération y ont fait tout ou partie de leur scolarité. Il s’en trouvera toujours pour dire que « c’était il y a longtemps maintenant », mais il n’empêche que pour ces enfants aujourd’hui adultes, la réalité de ces pensionnats est un traumatisme encore d’actualité. C’est précisément ce qu’ambitionne d’explorer Pour toi Flora, et le visionnage du premier épisode est un peu rude pour cette raison. Il n’y a pas vraiment de données inconnues, de souvenirs oubliés, de passé perdu ici, au contraire de Little Bird à qui cela permettait d’euphémiser certaines choses, d’évoquer certains sujets plus implicitement.
Pour toi Flora s’est choisi un cadre narratif un peu original : un frère et une soeur anishinaabe ont été retirées à leurs parents dans les années 60 ; envoyées dans une aile séparée du pensionnat religieux qui devait les « civiliser », elles ont vraisemblablement perdu tout contact. Or, à l’âge adulte, Rémi Dumont/Kiwedin choisit d’écrire un livre sur son expérience. Comme le suggère le titre de la série, il l’adresse à sa soeur Flora/Wabikoni. Rémi espère ainsi panser les plaies du passé en les exposant. Les souvenirs du pensionnats sont donc ponctués de commentaires en voix-off, délivrés par Rémi dans son manuscrit pour revenir sur ses émotions d’alors, et ses émotions d’aujourd’hui, comme une main tendue à sa soeur. Mais aussi comme un avertissement, adressé à d’autres lectrices : « Plus personne ne peut nier ce qui s’est passé ».
Aujourd’hui, avec leurs propres enfants voire des petits-enfants, les deux adelphes semblent avoir continué leur vie. Mais séparément. Dans quelles conditions cette séparation a-t-elle eu lieu ? Le premier épisode de Pour toi Flora ne l’explicite pas encore ; il est possible que ce soit tout simplement à leur arrivée au pensionnat, lorsque les religieuses ont séparé filles et garçons, mais peut-être que la cassure réelle a eu lieu ultérieurement… Je vous avoue que ce premier épisode ayant été dur à voir, je ne me suis pas encore trouvée dans la disposition d’esprit me permettant d’aborder les suivants.
Pendant que Rémi/Kiwedin travaille à son manuscrit, et reçoit un appel d’une éditrice qui semble intéressée pour le publier, l’intrigue nous montre aussi Flora Turcotte/Wabikoni.
Celle-ci est, malgré son âge avancé, encore en proie à des crises de panique, et souffre d’une anxiété invalidante qui pendant un temps l’a forcée à prendre du repos. Elle a récemment repris ses activités au sein de sa paroisse, où elle aide pour des projets caritatifs, mais elle n’est clairement pas totalement remise. L’un des déclencheurs de ses crises, c’est bien-sûr la mention des pensionnats indigènes ; or, ceux-ci font régulièrement l’actualité, et sont largement débattus dans la société, ce qui ne laisse qu’assez peu de place au calme pour Flora. Quand la série commence, c’est son anniversaire, que sa fille organise un peu à reculons. Les proches de Flora ne semblent pas savoir les origines anishinaabe de Flora lorsque le sujet des First Nations émerge dans les conversations… ce qui ne fait qu’ajouter au stress de la vieille femme devant les microaggressions racistes qu’elle se prend en pleine face.
Toutefois, pendant ce repas de fête qu’elle ne goûte pas vraiment, Flora va apprendre que sa fille, éditrice, envisage de publier le manuscrit d’un certain Rémi Dumont sur son expérience en pensionnat… et réalise que sa fille est sur le point de publier le livre de son frère.
Pour toi Flora a choisi de parler du traumatisme de personnes adultes (Rémi et Flora ont la cinquantaine bien sonnée, voire le début de la soixantaine), ce qui est rarissime à la télévision. Ce choix s’explique probablement, au moins en partie, par le fait que le grand-père de la réalisatrice Sonia Bonspille Boileau était lui-même un survivant de l’un de ces pensionnats. Les souvenirs du pensionnat, bien-sûr, sont difficiles à regarder et ce n’est, très certainement, que le début ; mais comme je le dis toujours, si des enfants ont dû subir ces choses, alors que des adultes les regardent en fiction n’est vraiment rien que le strict minimum. D’ailleurs, la réalisatrice a poussé plus loin encore l’expérience d’empathie avec William, un projet de fiction en réalité virtuelle, filmé à 360°.
Alors que l’on retrouve encore des sépultures dans le sol canadien (et qu’il s’en trouve malgré tout pour nier ces faits !) il y a encore beaucoup à dire sur le sujet de ces pensionnats ; Pour toi Flora fait figure d’introduction à ce sujet difficile. Rien de ce qui s’y dit, ni dans la façon dont c’est dit, ne relève de la fulgurance ou de l’originalité, mais ce n’est pas le genre de série où cela a la moindre importance.
Le pire dans un génocide, ce n’est pas d’en parler de façon prévisible, mais bel et bien de ne pas en parler du tout.