Est-ce que les podcasts true crime sont toujours aussi populaires ? Je n’en ai jamais vraiment écouté, donc j’en sais rien ; c’est juste que je commence à avoir l’impression qu’il y a plus de séries prétendant que c’est une industrie significative, que de véritables podcasts de ce genre trouvant un succès mainstream. Je peux me tromper, hein, mais des phénomènes de l’ampleur de The Case Against Adnan Syed, par exemple, il ne me semble plus y en avoir beaucoup.
En tout cas, c’est assez bon pour offrir un cadre narratif à une dramédie. Et si le côté new-yorkais d’Only Murders in the Building n’est pas pour vous, Netflix a trouvé la solution avec Bodkin, une série qui vient de démarrer et qui suit une journaliste, un podcasteur et leur assistante, se lançant sur la piste d’un mystère et surtout d’un sujet d’émission dans les vallées irlandaises.
La journaliste Dove est contrainte de quitter Londres dans l’urgence : son implication dans une affaire d’envergure qui a conduit au suicide d’un lanceur d’alerte (lequel lui servait de source, et c’est d’ailleurs elle qui a découvert le corps) embarrasse la rédaction de son journal. Lui est alors intimé l’ordre de partir pour l’Irlande avec Gilbert, un podcasteur américain, et Emmy, leur assistante de recherche anglaise, pour aller enquêter sur une disparition vieille de plus de deux décennies dans un petit village de la côte. Village qui s’appelle Bodkin, donc.
Officiellement, le rôle de Dove est d’assurer la caution journalistique du podcast, et d’enquêter de façon indépendante sur l’affaire. Officieusement, par contre, c’est autre chose.
Dove, qui est d’origine irlandaise, n’a aucune envie de retourner sur sa terre natale. Mais plus encore, elle méprise le genre du podcast, et se considère (pas franchement à tort !) mise au placard. Les conditions sont donc parfaitement réunies pour qu’elle accompagne cette aventure dans la joie et la bonne humeur…
Après la délicieuse mais morbide Obituary, l’actrice Siobhán Cullen revient à ce qu’elle maîtrise clairement : le journalisme, et l’antipathie. Toutefois, le premier épisode de Bodkin est aussi intéressé par sa connaissance de l’âme humaine, sa capacité d’observation, son don de recoupement ; autant de qualités qui séparent bien ce personnage du précédent. Dés le départ, Dove n’est pas du tout intéressée par l’enquête au coeur du podcast. D’ailleurs, elle a le sentiment de servir plus souvent de conseillère culturelle que de journaliste à ses deux collègues.
Sauf qu’à sa plus grande surprise, Dove est là contre sa volonté, mais sa curiosité va rapidement être piquée…
…Sauf que ce n’est pas du tout par le mystère qui concerne le podcast. En fait, Bodkin est particulièrement taquine : elle affiche un manque d’intérêt patent pour l’affaire au centre de son podcast fictif. Elle mettra même ces paroles dans la bouche d’une protagoniste : « Are you doing that thing where you say it’s about one thing, but it’s actually about something else ?« . Et il me semble très clair que c’est tout justement ce qu’amorce cette introduction.
De l’affaire sur laquelle porte le podcast de Gilbert, personne n’a rien à dire. Il y a vingt cinq ans, à l’occasion du festival de Samhain, une femme, un homme, et un enfant ont disparu. On sait très peu de choses sur la femme, quasiment rien sur l’homme, et moins que ça sur l’enfant ; tout ce qui est certain, c’est qu’il n’y avait pas de lien familial entre ces personnes. Le problème c’est que ces trois disparues ne semblent manquer à personne, surtout un quart de siècle plus tard. Et que les rares habitantes qui se souviennent de l’affaire soit ont chacune une théorie farfelue à son sujet, soit n’ont pas envie d’en parler. D’ailleurs, unanimement, chaque personne irlandaise à qui Gilbert parle du podcast a pour réaction initiale : « And people will listen to that, will they ?« . A prononcer avec un accent… ainsi qu’une forme d’incrédulité flirtant avec le sarcasme.
Il est très vite clair que l’enquête du podcast va pas mal piétiner, à plus forte raison parce que Dove a trouvé une piste pour une autre affaire, et qu’elle se met rapidement à enquêter sur celle-ci en se basant sur son intuition.
Bodkin traverse donc ce petit village de campagne, s’installe dans ses pubs, s’assied dans ses vieilles maisons, sans vraiment à nous tenir en haleine quant à ce mystère qui n’intéresse, en somme, que Gilbert, et dans une moindre mesure Emmy.
Gilbert est tout un poème. Il carbure à la positivité forcenée ; ce qui bien-sûr, ne signifie pas que sa vie est toute rose (ni qu’il ne connaît pas son boulot, d’ailleurs), mais si vous avez vu des gens le comparer au héros de Ted Lasso, ce n’est pas que parce que Sudeikis est un ancien collègue de Forte. Gilbert est émerveillé par tout, à condition que cela rentre dans ses idées préconçues de ce à quoi doit ressembler l’Irlande (il est par exemple surpris d’apprendre qu’il existe des fermes de serveurs dans la campagne irlandaise, comme si la présence d’internet était déplacée), se fait prendre à tous les pièges à touristes, insiste pour sympathiser avec tout le monde. Sa jovialité forcée est irritante et ne trompe personne : ce mec a forcément eu plusieurs ulcères avant ses 20 ans. En plus de ça, Gilbert se dit « irlandais » (par son arrière grand-père ou quelque chose comme ça), passe son temps à essayer de collectionner les souvenirs, veut se créer des liens avec quiconque porte le même nom de famille que lui (… »Power », pas exactement un nom rare). Ah, et le fait que la disparition sur laquelle il enquête se soit déroulée le soir d’un festival folklorique le galvanise ; il veut absolument en faire quelque chose de mythique et fantastique. Soit dit plus simplement : il est épuisant. Mais il a ses raisons. Au passage j’adore Will Forte dans ce type de rôles doux-amers, comme dans sa brève apparition dans Sweet Tooth ; je l’y trouve plus brillant que dans des MacGruber.
Emmy est quant à elle une novice. C’est la première fois qu’elle sort des bureaux de la rédaction du journal pour aller sur le terrain. Pour ce qui est de l’organisation et la préparation, elle est plutôt au taquet, mais elle est aussi d’une naïveté à faire peur. Elle ne connaît pas grand’chose aux podcasts, par exemple, et prend donc comme argent comptant tout ce que lui raconte Gilbert. Emmy doit avoir un peu conscience de son innocence, d’ailleurs, parce qu’elle admire avec de grands yeux à peu près tout le monde et n’importe qui, et absorbe comme un buvard tout ce qu’on lui dit.
Gilbert comme Emmy ne sont pas sans surprises, mais en tout cas, elles forment un tandem qui fonctionne de façon assez prévisible pendant ce premier épisode. Ce qui forcément insupporte Dove, troisième roue du carosse.
Ce sont donc souvent les différences entre ces protagonistes, et dans une certaine mesure leurs conflits, qui guident majoritairement l’intrigue. Bodkin assume de n’avoir que peu d’intérêt pour la triple disparition de Samhain, et préférer étudier les réactions humaines à la situation qui se met en place. Est-ce que se préoccuper, vingt cinq ans plus tard, de ces disparitions, ce n’est pas de l’évitement ? C’est, je pense, sa thèse principale, qui se matérialise différemment selon la personnalité et les circonstances de ses trois protagonistes principales (une femme, un homme, et une jeune novice…).
« Gilbert, it’s not literal. Noone actually believes there are tricksy little people running around causing mischief. It’s just… a way of not having to think about the things you don’t want to think about« . Gageons qu’il faudra tôt ou tard y penser.