Dinner for schmucks

4 mai 2024 à 21:54

Rien n’est plus cliché que de se plaindre d’un remake ; cependant, vous admettrez que c’est rarement dans mes habitudes. Dans ces colonnes, on aime bien comparer, mais on s’efforce de le faire en gardant à l’esprit que, allez toutes en choeur : adapter, c’est choisir. Et ces choix sont intéressants en soi, ainsi que porteurs de qualités. L’essentiel est généralement de ne pas attendre les mêmes qualités d’un remake que de l’original.
C’est donc le moment où je commence ma phrase suivante par : « mais ». Mais, ce n’est pas toujours possible. Parfois il y a des remakes réellement décevants. Chose qu’il est possible de dire sans une once de nostalgie pour la série d’origine.

Preuve par l’exemple aujourd’hui : je me suis enfin botté le train pour regarder Dinner with the Parents, l’adaptation étasunienne de la comédie britannique Friday Night Dinner. J’avais d’ailleurs des souvenirs si flous du premier épisode de cette dernière que je l’ai du coup revu (et je suis à peu près certaine que je n’avais pas regardé les épisodes suivants, de toute façon). C’est vous dire si ce n’est pas un attachement particulier qui guide mes mots lorsque je vous dis que Dinner with the Parents est un remake vraiment peu inspiré, dans tous les sens du terme.

Je vous rassure, le principe est le même : chaque semaine, deux fils adultes doivent dîner avec leurs parents dans la maison familiale. Les parents forment un couple hétérosexuel aux abords de la cinquantaine ; les fils sont quant à eux lancés dans une rivalité ancienne qui les pousse à se charrier régulièrement, ou se tendre divers pièges. Il y a également un voisin qui s’invite régulièrement pendant ces dîners, générant de l’embarras. Sur cela, au moins, les deux séries se retrouvent.
Sur le reste, en revanche, c’est plus compliqué.

Dans Friday Night Dinner, la série britannique de 2011 donc, les Goodman sont une famille de la classe moyenne habitant dans une petite maison qui est désormais un nid vide : les deux fils, Adam et Jonny, ont grandi et mènent leur propre vie à présent. Les dîners du vendredi soir sont donc une façon d’entretenir un lien plus ou moins organique, mais bien-sûr, en forçant tout le monde sous le même toit comme jadis, certaines habitudes familiales rejaillissent. Le premier épisode ne l’explique pas, mais le met en scène : les fils arrivent ensemble, s’envoient des vannes, tandis que la mère Jackie essaie de donner les apparences de la normalité à ce qui est pour elle quelque chose d’important (tout en se réjouissant de regarder une émission de télé réalité après le dîner, comme une récompense). Vous savez, ce stress qu’ont les parents (et ce sont généralement les mères, à cause des tâches qui souvent leur incombent) de faire en sorte que tout soit parfait, et en même temps tout soit comme avant, alors que ces deux choses s’excluent mutuellement en matière de vie de famille ? Eh bien Jackie en est l’incarnation, et au cours de la soirée, ses tentatives pour que le dîner se passe normalement-mais-sans-accroc vont régulièrement être interrompues. Pas que par les fils : son mari Martin, qui vit ces dîners de façon beaucoup plus cavalière et ne leur prête pas d’enjeu émotionnel particulier, a également le don de compliquer les choses. Surtout que dans le premier épisode, il fait des messes basses à ses fils : Jackie tente de le convaincre de jeter de vieux magazines, et il souhaite que ses fils l’aident à les planquer, et même hébergent pour lui un nouvel arrivage de magazines « de collection » qu’il a commandés sur internet. Là-dessus se greffent les allées et venues de Jim, le voisin ; souvent accompagné de son berger allemand Wilson (dont il semble terrifié), il utilise les toilettes des Goodman car les siennes sont, dit-il, « cassées ». Comment et pourquoi, ça, ça reste un mytère. Jim se présente toutefois comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, interrompant le dîner du vendredi à plusieurs reprises, et bloquant l’étroit couloir de l’entrée avec son chien en sus.
De Friday Night Dinner on tire une impression de justesse sincère, quand bien même les situations sont souvent drôles ou inconfortables. Les Goodman sont une famille qui pourraient être la nôtre (enfin, pas la mienne ; disons plutôt la vôtre), vivant dans une maison qui pourrait être la nôtre (voir note précédente). Les arrivées de Jim, les secrets de Martin, les blagues de Jonny et Adam, l’arrivée impromptu d’un acheteur pour le canapé-lit… bref, tout ce qui se produit pendant le dîner, est drôle parce que relativement probable. Pas exactement possible, surtout le même soir ; mais raisonnablement probable. Ce qui se joue dans ce premier épisode de Friday Night Dinner, c’est que les situations même les plus étranges sont accueillies avec des réactions normales : Jackie qui continue ses va-et-vient en cuisine, Martin qui a l’esprit à ses magazines, Jonny et Adam qui retournent à leur rivalité puérile… Leurs préoccupations restent émotionnellement logiques. C’est en fait précisément de là que provient le rire : de cette famille si normale dont le vendredi dégénère de façon comique, mais en même temps, pas complètement détachée de la réalité.

…Vous devinez sûrement où je veux en venir. Car dans Dinner with the Parents, rien de tout cela ne se produit.
Pour commencer, ce dîner n’est pas n’importe quel dîner : c’est la première fois depuis des années que le fils aîné participer à ces dîners du vendredi, et ce retour le conduit à être accueilli comme le Messie par sa mère Jane, et dans une certaine mesure par son père Harvey. Pourtant, David vivait simplement dans un autre Etat pendant qu’il faisait ses études… à croire qu’il n’est même pas venu pour les fêtes pendant tout ce temps. Mais aujourd’hui, diplômé et doté d’une petite amie, il a l’impression de pouvoir prendre sa revanche sur son jeune frère Gregg, qui a moins de raisons de lui mener la vie dure ; du moins l’espère-t-il. Pour lui, ce dîner du vendredi est un grand moment, d’autant qu’il doit présenter à sa famille la petite amie en question, Kristen. Hélas, juste avant qu’il n’entre dans la large maison cossue de ses parents, Kristen lui annonce par téléphone que finalement elle ne va pas venir. Et, qu’en fait, elle rompt avec lui. Désespéré, David décide de proposer à une livreuse de pizzas qui passait par là pour une commande chez un voisin… de jouer le rôle de Kristen. Ainsi, il ne va pas perdre la face. Juste quelques centaines de dollars.
Le reste de la soirée se poursuit donc à travers le prisme de : la supercherie sera-t-elle découverte ? David sue à grosses gouttes en essayant de maintenir les apparences pour la soirée. Pendant que Jane s’échine à essayer de faire passer à tout le monde une soirée parfaite, et s’accroche au passage avec sa mère surnommée Nana (une vieille femme avec un épais accent russe et une personnalité étouffante), Gregg est convaincu qu’il y a anguille sous roche mais n’arrive pas à trouver quoi. De son côté, Harvey a décidé de faire rire « Kristen », et n’y parvenant pas, multiplie les tentatives lamentables. A un moment du dîner, le voisin Donnie cherche sa pizza et fait rire « Kristen », ce qui empire les choses. Mais moins que quand David se sent obligé de demander en mariage « Kristen » devant sa famille avec la bague familiale… tout le monde s’en réjouit (sauf Gregg qui trouve que résolument quelque chose cloche), jusqu’à ce qu’il soit découvert que « Kristen » est enceinte ! Hélas, un appel accidentellement entendu par Harvey lui fait comprendre que David n’en est pas le père. La catastrophe semble à son comble, mais ce n’est rien encore : la véritable Kristen a finalement décidé de faire une apparition.
Je ne sais même pas quoi vous dire. Dinner with the Parents a-t-elle pioché cette intrigue dans l’un des épisodes ultérieurs de la série britannique ? C’est une pratique répandue (on en était encore les témoins pas plus tard que dans cette review du mois dernier), mais ici j’en doute. Tout dans ce fichu épisode sonne tout simplement faux. Les personnages n’existent pas : tout n’est que situation. Et situation roccambolesque, qui plus est. Les quiproquos s’empilent ; il faut absolument un retournement de situation toutes les 7,12 secondes, sinon tout s’effondre. Mais surtout, dans Dinner with the Parents, rien ne peut jamais être simple : il faut tout expliquer. Expliquer pourquoi David a longtemps évité ces dîners, expliquer pourquoi il est stressé, expliquer pourquoi son frère Gregg le vanne régulièrement, expliquer pourquoi Jane place de l’importance dans ce dîner, expliquer pourquoi Donnie vient sonner, expliquer pourquoi Harvey est drôle même. Rien ne va jamais de soi, il faut toujours une backstory à tout. Mais du coup dés qu’on explique, c’est moins drôle ; alors pour s’assurer que l’épisode reste supposément comique, la série multiplie les gags, genre Nana qui se retrouve coincée dans son fauteuil massant ou la famille qui a une catchphrase… Tout ça n’a RIEN à voir avec la choucroute. Et en parlant de choucroute, ce n’est même pas vraiment un dîner : la majeure partie de l’épisode se déroule dans les canapés du salon ! Même pour suivre les indications du titre, Dinner with the Parents a complètement lâché la rampe.

Dinner with the Parents est rien moins que la quatrième tentative d’adaptation de Friday Night Dinner aux Etats-Unis ; ça fait plus d’une décennie que plusieurs networks s’y sont essayés. Après NBC et CBS (ce dernier pouvant se vanter de deux tentatives), c’est… Amazon Freevee qui a finalement fait aboutir le projet. En le dénaturant complètement. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à trouver le résultat nul ; la critique US est quasi-unanime quant à Dinner with the Parents.
De l’impression de proximité absurde de la série britannique, Dinner with the Parents n’a rien retenu, et a transformé tout ce qui comptait en une farce grossière (se déroulant, qui plus est, dans cette « classe moyenne » fantasmée où l’on vit nécessairement dans une McMansion, qui obsède les productions étasuniennes). Rien de ce premier épisode n’est réellement drôle parce que Dinner with the Parents n’a pas vraiment d’idée claire sur qui sont ses personnages, ni d’approche, ni de projet. Elle veut juste « être drôle », peu importe comment ce résultat est obtenu ; et elle présume que plus ce sera gros, plus la mesure d’humour sera forte. Car bien-sûr, plus elle essaie, moins elle réussit : c’est ça la comédie.
Et ce n’est que le premier épisode ! J’ose à peine imaginer ce à quoi la surenchère doit ressembler dans les épisodes suivants.

Heureusement, je n’irai pas jusqu’à dire que c’est une déception… parce que personne n’avait vraiment d’attentes vis-à-vis de ce remake (si ce n’est le Youtubeur qui y a décroché un rôle). Et puis, quand une adaptation se plante, après tout, ça n’efface pas l’existence de la série originale… si vous voulez vous marrer, il y a 6 saisons de Friday Night Dinner à dégoter.
Une chose dont vous pouvez être certaine, c’est qu’il n’y en aura pas autant pour son adaptation US, qui sera vite annulée et oubliée.


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1 commentaire

  1. Mila dit :

    La fin de l’article, sur le fait que si le début est mauvais et ne sait pas qui sont les personnages, et donc ça doit être pire plus tard, mais qu’on aura sans doute pas de saison suivante heureusement, m’a fait réfléchir.

    Dans le sens où: j’ai eu plusieurs expérience de séries où les premières saisons ne sont pas mes favorites, parce que ce n’est que dans la saison 2 que la série trouve vraiment qui sont ses personnages. L’exemple qui vient en tête en premier est Parks and Recreation, que j’adore, mais il y a un écart entre la saison 1 et la saison 2. The Office (US) est un autre exemple de série dont j’ai vraiment, vraiment galéré à regarder la saison 1, et n’ai vraiment accroché qu’à la saison 2. J’ai entendu dire de Bojack Horseman aussi qu’il y a un gros « bond » dans la qualité fin saison 1 – post saison 1.

    Jdis pas que c’est la norme, hein, et la série dont tu parles a l’air médiocre, et on va pas financer (ou regarder) toutes les séries médiocres/mauvaises qui passent dans l’espoir que ça devienne bien dans la saison 2, mais d’un autre côté, des fois (pas spécialement pour cette série, que je n’ai pas vue, juste: en général) je me demande si on ne se prive pas d’excellentes choses en ne leur laissant pas le temps d’éclore.

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