Au fil des ans j’ai eu largement l’opportunité de vous dire combien j’avais du mal à trouver dans la fiction française des séries qui me parlent. Déjà, sitôt qu’on met de côté le genre policier (et vous l’aurez remarqué, c’est désormais ce que je fais la plupart du temps), il ne reste pas grand’chose. Or, il s’avère en plus que j’aime le human drama (ce n’est pas sale), genre que la télévision française a très souvent tendance à considérer comme absolument indigne de financement. Le petit écran français, dans son immense majorité, ne pense pas vraiment que les spectatrices françaises sont capables de saisir beaucoup de nuances émotionnelles, et peut-être même, qu’elles n’ont pas du tout de vie intérieure, ce qui nécessite donc de les amuser avec des fictions pas trop compliquées. Ou, pardon, pas trop « anxiogènes ». La catharsis est un gros mot.
…Ou en tout cas, c’est la règle. Mais elle a, fort heureusement, des exceptions. Et cette liste d’exceptions continue de s’allonger, donc je râle de moins en moins souvent ! Mille hourras ! Me voici justement devant vous prête à reviewer la saison d’Enterrement de vie de garçon (à ma connaissance aucun rapport avec Enterrement de vie de jeune fille, également diffusée jadis par Canal+, bien que je ne l’aie pas vue), une mini-série de Canal+ en 4 petits épisodes pleins d’énergie et d’émotions. Canal+ est super en forme ce printemps, d’ailleurs, mais on en reparlera dans un contexte très différent.
Si vous n’avez pas encore jeté un oeil à Enterrement de vie de garçon, mais que vous envisagez de le faire : NE LISEZ PAS CETTE REVIEW. Tournez métaphoriquement les talons et allez immédiatement remédier à cela. J’ai dit immédiatement. Une fois ceci fait, vous pourrez aller au-delà de l’image. C’est pas tant un problème de spoiler qu’une question de ne pas se gâcher le plaisir de la découverte… mais c’est quand même un peu ça aussi.
Cinq potes se présentent dans un club de strip tease, mais l’humeur n’y est pas. En fait, aucun d’entre eux n’est vraiment intéressé par les danseuses ; au contraire, leur présence dans l’établissement pousse les amis à se lancer dans un débat sur l’attraction sexuelle et l’amour. Pour Paul, Adib, Noah, Zach et Oscar, un débat est même un euphémisme, puisque la plupart des interactions finissent en vannes ou en dispute !
Pourquoi l’ambiance est-elle si pesante ? Eh bien, c’est la nuit que le groupe passe ensemble juste avant de se rendre aux funérailles de Daniel, leur pote (et le frère de Paul). Le décès de Daniel est donc encore frais, et il perturbe tout le monde… malgré les tentatives de Paul, à l’initiative de cette nuit étrange, et également à l’origine de blagues pas très appréciées par les autres (c’est lui qui, à une strip teaseuse demandant à quelle occasion ils sont venus, rétorque que c’est pour un « enterrement de vie de garçon »).
Enterrement de vie de garçon est bruyante. Ses personnages se parlent les uns sur les autres, les discussions se mélangent, les émotions entrent en collision. Mais si elle est résolument chaotique, ce qu’elle n’est pas, c’est bordélique. Avec une précision chirurgicale, elle étudie ses personnages à la fois à travers ce qu’ils disent, et surtout à travers ce qu’ils ne se disent pas.
Le chaos, lui, provient des personnalités très différentes en présence. Si différentes, en fait, qu’on se demande par moments comment ces cinq gars sont devenus amis. Paul qui n’est clairement pas dans son état normal mais qui garde très souvent un silence énigmatique, entrecoupé de petites phrases et même de vannes ; Adib est, comme apparemment tout le temps, très verbeux, et surexplique la moindre de ses actions ou paroles ; Noah est le premier à s’en plaindre, et bien que maussade il essaie de préserver une attitude qu’il considère pragmatique et réaliste ; Zach, qui a découvert par inadvertance que la danseuse qui lui donne une séance privée (il a été forcé) avait un fils, se sent soudainement pousser un instinct de paternité tout neuf ; quant à Oscar, il tente désespérément de se faire défoncer la gueule par un inconnu.
Bref : personne ne gère ses émotions de façon bien saine. Dans le bruit à la fois du club, et celui des conversations agitées de la bande, en tout cas chacun a une excuse pour ne pas faire face à l’horrible réalité : c’est une soirée sans Daniel. Il n’y aura plus jamais de soirée avec Daniel.
Chaque épisode de la mini-série (il n’y en a que quatre) va ainsi transposer le groupe d’un décor à un autre : club de strip-tease, hôpital, maison des parents de Paul et Daniel, et… cimetierre. Chaque épisode a ainsi une ambiance unique, et malgré le format d’Enterrement de vie de garçon, on n’est clairement pas ici dans un « film de 4 épisodes » mais bien une fiction tirant pleinement partie du modèle épisodique. Et par-dessus le marché, cette nuit à mille facettes (ou au moins à quatre ambiances) va permettre à plusieurs de ces personnages d’évoluer. Un peu.
Un peu seulement, car Enterrement de vie de garçon a bien l’intention d’étudier l’étrange amitié (et pourtant si banale) de ces mecs. Ils trouvent qu’Adib et son sentimentalisme psychologisant sont ridicules, et ne manquent pas une occasion de lui intimer de fermer sa gueule ; mais ils sont aussi préoccupés par les non-dits, notamment ceux de Paul qui a quelque chose à l’esprit qui ne sort pas avant plusieurs épisodes. Le décès de Daniel a remué leurs idées préconçues sur la vie, comme Zach qui réalise soudainement que les efforts qu’il a produit pour réussir professionnellement et financièrement n’ont finalement que peu d’importance face à son désir de créer la vie, qui le submerge par surprise. Plus touchant encore est Zach, le tombeur du groupe qui est en train de prendre la mesure de ses sentiments pour Mona, l’infirmière qu’il fréquente depuis quelques mois. Le seul qui vraiment s’obstiner à du sur-place est Oscar, lequel refuse de parler de ses sentiments, se complaisant (probablement plus encore que d’habitude) dans ses blagues vaseuses, ses conneries et son envie de rester dans l’action plutôt que dans l’émotion.
Dans Enterrement de vie de garçon, on est des « bonhommes » : on ne parle pas de ce qui nous perturbe. Alors, on parle de… tout le reste.
La série étudie donc comment fonctionne cette amitié, et comment fonctionnent ces jeunes hommes, dans une situation qui leur interdit de se livrer les uns aux autres, même voire surtout quand ils en ont le plus besoin. Enterrement de vie de garçon ne cherche pas nécessairement à remettre en compte cet aspect de la masculinité toxique, du moins pas au point de s’en débarrasser miraculeusement en une nuit. Mais son emprise indéniable sur les esprits et sur les conversations se fait sentir de bout en bout, et témoigne de la difficulté à traverser une crise quand on n’a pas appris à dire, et même pas vraiment à penser, le domaine émotionnel. Et du coup, forcément, tout parait absurde un soir comme celui-là…
Derrière les blagues et les conflits (Enterrement de vie de garçon est une série faisant la part belle aux comédiens de stand-up, et ça se sent dans les one-liners balancés au détour du script), il y a un soucis d’authenticité, mais une authenticité qu’on ne sait pas comment aborder. L’authenticité face à soi-même, face à ceux que l’on aime, s’impose presque brutalement. Parce qu’on peut échapper à beaucoup de choses quand on est un homme, mais pas au deuil.
Pardon si je me répète, hein, mais Enterrement de vie de garçon est le genre de série comme je les aime, qui parie sur notre faculté à apprécier le rire, mais sans le laisser masquer totalement le drame qui se joue dans l’âme de ses personnages. C’est une fiction empruntant à l’humour pour mieux nous chavirer (sans jeu de mots avec la barque, promis), et qui revendique les subtilités des discours et des interactions. Ce que ses personnages n’expriment pas, la série le transmet tout de même, malgré eux, et c’est juste putain de beau. Trainant leur misère de lieu en lieu, Paul, Adib, Noah, Zach et Oscar vont devoir trouver le moyen de partager ce qui, pendant quelques heures, fait faussement mine de les diviser : l’intime. Et, finalement, ils vont trouver ce qui s’approche pour eux de mots justes (dans une scène magistrale !) pour dire adieu à leur copain.
Des séries françaises comme celle-là, j’en regarderais tous les jours. Easy. D’ailleurs si les 5 potes revenaient pour une seconde saison, ce serait encore mieux. L’appel est lancé.
L’avantage c’est que, étant une femme, il m’est très facile de dire à quel point Enterrement de vie de garçon m’a bouleversée. J’aurais très envie d’entendre ce que des spectateurs masculins ont à en dire, cependant.
C’était incroyable ! Merci pour la découverte !
Ça fait tellement du bien une série qui focus comme ça sur l’impossibilité des hommes à dire leurs émotions tout en essayant maladroitement tout en refusant de le faire. Et comme tu le dis sans avoir la prétention de régler le problème, juste montrer le moment du mur parce qu’effectivement, le deuil ça ne se défait pas comme ça…
Vraiment comme toi, des séries comme ça, j’en reprends quand on veut avec plaisir !