Au risque de ruiner votre dimanche soir, aujourd’hui on s’apprête à parler de la série néo-zélandaise Testify, qui a débarqué le mois dernier sur TVNZ+ (et a depuis fait son apparition sur la télévision linéaire) avec un projet ambitieux. Sauf que, je ne vais pas vous mentir, cette ambition s’accompagne d’un avertissement et non des moindres :
Au programme de Testify, on trouve : une megachurch évangélique dirigée par la famille d’un pasteur, une podcasteuse trans athée, et une horrible histoire de viols de petits garçons. Et encore, ça c’est juste dans les grandes lignes. Vous dire que Testify envoie du lourd est un doux euphémisme.
Le pasteur Scott Jacobson est à la tête d’Avow, une megachurch qui se veut moderne, aussi bien en ce qui concerne son service (lequel se déroule dans un bâtiment récent, inclut des écrans LCD et un groupe de jeunes danseuses de hip hop plutôt qu’un choeur traditionnel) que son image (comme le prouvent les nombreux panneaux publicitaires en ville, qui mettent en avant son ambiance). Sur les idées, en revanche, il est plus conventionnel ; ses sermons sont même plutôt conservateurs. Avec l’aide de son épouse Jen, qui est assise à ses côtés chaque dimanche sur scène, de sa fille Emmaline, qui est en charge de l’organisation backstage, et de son fils David, la superstar proche de la jeunesse qui chaque dimanche attire de nouvelles ouailles, il mène une opération prospère.
Dana croise le chemin de David complètement par hasard, alors qu’elle se tenait à distance de la religion organisée jusque là. Avec ses meilleures amies Eden et Isla, elle a aidé un jeune homme dans les toilettes d’un club, un samedi soir, et il s’avère que son contact d’urgence était David Jacobson. Or, David n’est pas seulement au service des membres de son église ! Il est aussi très séduisant, ce qui est la raison essentielle pour laquelle Eden et Isla persuadent Dana d’aller jeter un oeil à la messe du dimanche et reluquer le jeune pasteur. Dire que Dana n’est pas enthousiaste est en-deçà de la vérité ; mais elle prépare un épisode de son podcast sur la religion, et se laisse embarquer au nom de « recherches ». Même si pour ses copines, ces recherches se font sous l’emprise de quelques champignons… histoire de se marrer pendant le service.
Dana, elle, ne rigole pas du tout. Elle est écoeurée et perturbée par ce qu’elle voit pendant la superproduction religieuse que produit Avow dimanche après dimanche, et qui confirme tout ce qu’elle pense de plus négatif sur la chrétienté.
Et encore, elle n’en a pas vu les coulisses. Car derrière la liesse, les chansons et les bonnes paroles, Avow n’est pas exactement un lieu très cordial. Le pasteur Scott Jacobson est sévère, surtout avec ses propres enfants. Il traite Emmaline comme une employée à ses basques, et voit d’un très mauvais oeil les tentatives de David pour accueillir des jeunes LGBT au sein de l’église (Scott est, osons le dire, une gros homophobe).
Plus largement, venir en aide aux communautés les plus marginales des environs, ce n’est pas exactement la priorité de Scott Jacobson. Il faut dire que quand on conclut chaque service par : « Vous pouvez prouver votre appréciation en faisant un don. Quelqu’un va passer dans les rangs. Mais ne vous inquiétez pas ; on a aussi EFTPOS si vous avez oublié votre sac à main ou votre portefeuille ce soir, donc… Ou alors, allez sur notre site internet et faites-en un truc régulier ». Au premier degré.
…Or, les personnes marginalisées n’ont pas autant d’argent à dépenser que les autres.
Clairement, tout ça serait déjà une bonne raison de mépriser le pasteur Scott Jacobson, mais ce n’est pas tout.
David, apprend-on, est en fait le fils adoptif de Scott et Jen. C’est la raison pour laquelle c’est le seul jeune homme racisé de sa famille, et c’est quelque chose que son pasteur de père n’hésite pas à utiliser comme un levier de culpabilisation. Et pourtant, David est le fils qui est resté. Dans ce premier épisode, son fils Paul revient en ville après pas loin d’une décennie et demie d’absence, sans donner la moindre nouvelle. C’est d’abord Emmaline qu’il a contactée, mais celle-ci organise rapidement des retrouvailles avec David puis le reste de la famille. Si bien que Paul se retrouve, un peu malgré lui, à nouveau au sein d’Avow.
Paul, en effet, n’est pas réapparu pour des retrouvailles émouvantes avec une famille perdue de vue. Il s’est éloigné volontairement quand il n’était encore qu’un adolescent, et il est de retour en ville avec une idée bien précise : confronter son violeur. La dernière partie de l’épisode introductif de Testify lui en donne l’opportunité ; Paul se présente chez lui sous un faux prétexte, mais son abuseur le reconnaît aussitôt, et c’est l’occasion d’un échange honnête entre les deux hommes. Paul est venu exiger des excuses… et une confession à Scott, qui ne l’a jamais cru. Paul a passé quasiment toute sa vie à clamer une vérité que personne ne semblait vouloir entendre, et aujourd’hui il veut se réparer. Mais il n’est pas prêt pour la façon dont la conversation avec son violeur va tourner…
Testify a des milliers de choses à dire, et un épisode de seulement trois quart d’heure pour le faire. Les idées se bousculent, les points de vue s’entrechoquent, les expériences se superposent… tout ça en plus de l’inévitable travail d’exposition ! Si bien que Testify n’a pas vraiment le temps d’entrer dans le nerf dramatique des choses. Les tiraillements de David entre ce qu’il considère comme une vocation et les impératifs de son rôle au sein de l’église de son père ? Balayées en quelques minutes. Les interrogations de Dana face à une religion dont elle a gardé un goût amer, mais impressionnée à un niveau individuel par David ? De quoi ajouter un peu de voix off à certaines scènes dans lesquelles elle enregistre son podcast, mais à la limite du gimmick. L’abysse de souffrance dans laquelle Paul est enlisé quoi qu’il entreprenne pour essayer de s’affranchir d’un passé douloureux ? La conclusion de cet épisode inaugural transforme cela en thriller tragique. On peut lui concéder une volonté de parler de l’histoire souvent trouble de la chrétienté avec les abus d’enfants (quelque chose que la télévision de la région n’a pas peur d’explorer, comme l’avait déjà prouvé Devil’s Playground par exemple), et c’est bien courageux, mais est-ce suffisant de simplement aborder le sujet, sans l’approfondir ?
Testify a des milliers de choses à dire… si bien qu’elle ne les dit pas. Elle les suggère. A charge pour les spectatrices de faire le reste du cheminement. Cela signifie que s’imposer son visionnage ouvre beaucoup de boîtes de Pandore, mais que je ne saurais garantir qu’elles seront ensuite proprement refermées. L’avertissement est donc lancé.