C’est avec plaisir que je vous annonce que si vous avez aimé les thèmes de séries comme The Booth at the End ou Plan B, vous allez absolument vouloir jeter un oeil à la série brésilienne Desejos S.A., lancée fin mars par ST★R+ et qui traite d’un sujet similaire. On est ici dans du high concept, sans aucun doute possible, avec une mystérieuse organisation qui permet à quiconque la contacte par téléphone de réaliser les rêves les plus fous. Et qui dit high concept, dit qu’il fallait absolument que j’y jette oeil ; vous avez donc sous les yeux une critique de toute la saison (avec les risques de spoilers que cela implique).
Desejos S.A. (« Désirs SARL », si vous préférez) est donc à la fois le titre de la série et le nom de cette curieuse companie, dont les protagonistes n’apprennent l’existence qu’au moment où elles en ont le plus besoin. Le principe est simple : si vous trouvez son numéro de téléphone, il suffi de le composer. On vous demande alors de donner votre nom complet, d’énoncer votre désir le plus ardent, et de verser 9,99 reais. C’est l’équivalent de même pas 2€ ! Tout le reste est géré pour vous, il n’y a plus qu’à attendre que les choses se passent, ou que l’on vous contacte pour vous dire quand et où obtenir ce que vous désirez.
…Bon. Vous vous doutez bien qu’il n’y aurait pas de série si les choses étaient si simples, cependant !
Desejos S.A. fonctionne sur le principe d’une semi-anthologie, proposant de suivre dans chaque épisode une cliente différente, même s’il apparaît rapidement que des ramificaitions existent.
Comme beaucoup de séries high concept anthologiques, elle répète donc sensiblement la même formule d’épisode en épisode. La protagoniste de l’épisode, dans un moment de désespoir, compose le numéro de Desejos S.A. ; puis l’épisode pratique un retour en arrière de plusieurs jours, regarde à quoi sa vie ressemblait jusque là et surtout ce qui lui manquait, conduit à la découverte du flyer (parfois autocollant) de Desejos S.A., revient au moment de passer l’appel, puis observe les conséquences. Je vous avoue d’emblée que cette prétention de commencer l’intrigue in media res puis d’opérer un retour en arrière est très superflue ; il est très rare que cette scène délivre une information ou une interprétation différente la seconde fois qu’on la voit. Mais bon. Soit.
Une chose est claire : les épisodes se suivent et les désirs ne se ressemblent pas. Les 6 épisodes qui composent cette (première ?) saison touchent à des choses comme le désir sexuel, la jalousie ou encore l’exténuation. Les protagonistes, elles non plus, ne se ressemblent pas ; d’ailleurs j’ai trouvé intéressant que l’un des épisodes porte sur une enfant ! Si Desejos S.A. est résolument une série pour les adultes, le fait qu’elle s’interroge sur ce que peut vouloir une gamine de 8 ans, sur sa compréhension des enjeux dans le cadre du recours à Desejos S.A., ou sur sa capacité à faire face aux conséquences, est assez miraculeuse, et un angle de réflexion que je vois très rarement préoccuper les fictions de ce type.
Quelque chose à bien comprendre de Desejos S.A. est qu’il ne s’agit à aucun moment d’une série fantastique ou de science-fiction.
Il y a des aspects qui sont peu voire pas expliqués, comme dans toute bonne série high concept qui se respecte. A l’instar de la québecoise Plan B par exemple, on ne nous dira rien de la façon dont fonctionne l’entreprise dont la série porte le nom ; oubliez tout espoir d’apprendre qui est derrière. En fait, Desejos S.A. est aussi désincarnée que possible, la seule preuve de son existence tenant dans les numéros de téléphone que l’on trouve toujours au moment le plus opportun, mais qui cessent de fonctionner si on les rappelle (intéressant, donc, qu’il ne semble pas possible de formuler plusieurs désirs à la suite). Il n’y a pas d’interlocutrice la plupart du temps : un répondeur automatique répond aux gens, puis des personnes extérieures prennent le relai (j’y reviens dans un instant).
Par contre, une chose est sûre : il ne s’agit pas de tour de magie. Et les conséquences auxquelles se soumettent les protagonistes ne constitutent pas du tout une forme de pacte avec une entité surnaturelle, ou une rétribution cosmique.
Alors justement, quelles sont ces conséquences ? Eh bien, c’est quasiment le point le plus important de la série : dans Desejos S.A., si faire un voeu ne coûte presque rien, c’est parce qu’une fois le désir réalisé, la compagnie vous demande une faveur. Donnant-donnant ! Sauf qu’à contrario de l’excellente The Booth at the End, cette faveur n’est pas explicitée au préalable : c’est un chèque en blanc. Vous appelez, vous dites oui, et on vous recontacte quelques jours plus tard pour vous dire en quoi consiste votre dette. Ainsi, Desejos S.A. ne pose pas tellement la question de savoir : « jusqu’où seriez-vous prête à aller pour réaliser votre désir le plus ardent ? ». Il est en fait sous-entendu à quelques reprises que certaines de ses protagonistes ne tenteraient pas de réaliser leur désir si cela ne coûtait pas aussi peu cher, ou si elles n’étaient pas sous l’emprise d’une substance quelconque au moment de composer le numéro et donner leur accord verbal. On peut même légitimement se demander dans un cas ou deux si les protagonistes sont vraiment conscientes d’avoir accepté la contrepartie qui est attendue d’elle lorsqu’elles ont donné leur consentement par téléphone (le premier épisode, qui détaille le plus ce que l’on entend lorsque quelqu’un appelle Desejos S.A., rend la chose évidente, mais pour d’autres, il n’est pas certain que l’appel se déroule de la même façon). Bref, il y a un flou, qui signifie que le prix à payer n’est pas vraiment l’objet de Desejos S.A., ne serait-ce que parce qu’il n’est pas un préalable à la réalisation du désir : toujours une conséquence.
A la place, c’est de cette contrepartie qu’émanent les ramifications entre les différents épisodes : on réalise bientôt que personne, jamais, ne réalise ces désirs au nom de Desejos S.A. pour les clientes ; mais plutôt que les clientes sont coordonnées par Desejos S.A. pour concrétiser les désirs des unes des autres. Ce sont donc les clientes qui appellent d’autres clientes, leur fournissent un objet, une information, une aide, et ainsi de suite. Voilà donc la ville quadriée par une armée de personnes qui s’entraident mutuellement… bien que par la contrainte, puisqu’elles s’y sont engagées au préalable et reçoivent des ordres précis. Et l’occasion, l’entreprise n’hésite pas à avoir recours à des deadlines voire à des menaces pour que ces ordres soient exécutés, et la cliente suivante exaucée.
C’est une dynamique assez étonnante parce que le propos de Desejos S.A. n’est, malgré les apparences, pas du tout que la réalisation des désirs des unes conduit à la réalisation des désirs des autres. Il ne s’agit absolument pas d’entamer un cycle vertueux.
En fait, le ton de la série est, pour l’essentiel, à la mise en garde. Le seul personnage à apparaître dans la totalité des épisodes est un sans-abri armé d’un regard sévère et de panneaux en carton où l’on peut lire que « le désir est un piège ». Et qui se lamente que personne ne prenne son avertissement au sérieux…
On ne saurait lui donner tort. Des 6 protagonistes de cette première saison, pas une seule ne va finir l’épisode satisfaite. Notez bien que ça ne signifie pas que les désirs exprimés n’auront pas été réalisés ! En fait, à chaque fois, Desejos S.A. va parfaitement remplir la mission qui lui incombe, et réaliser le voeu pour lequel la compagnie a été commissionnée. Mais souvent, ce dont s’aperçoivent ses clientes (hélas trop tard), c’est que l’opportunité de la matérialisation d’un désir ne rend pas nécessairement heureuse. Parfois au contraire. Les voilà très souvent empêtrées dans un Enfer de leur propre création, dans lequel réaliser un désir obsédant ne signifie pas nécessairement trouver une issue satisfaisante à ce qui les trouble réellement. On n’a pas toujours toutes les informations nécessaires, ou le recul, pour former les désirs qui nous rendraient réellement la vie plus agréable ! Ou bien on sait très bien ce qui nous rendrait heureuse et ça ne marche pas pour autant, parce que, encore une fois, il n’y a pas de magie à l’oeuvre ici, et rien n’est jamais aussi évident.
Cela prend plusieurs formes au fil des épisodes, et Desejos S.A. traite ces échecs répétitifs sur divers tons (tantôt la tragédie, tantôt la cruelle ironie…), mais sans jamais suggérer que la faute repose sur le système de voeu lui-même. Sur qui, alors ?
Les conclusions semblent légèrement varier, si bien que le propos de Desejos S.A. n’est pas toujours aussi évident que pour d’autres séries équivalentes (The Booth at the End, FACE MAKER, etc.) dans lesquelles la condamnation morale est plus accablante, ou l’observation philosophique plus marquée. Par moments, il semblerait presque que ce soit l’existence du désir elle-même que la série réprouve ; le message du personnage sans-abri semble le confirmer. Mais à l’occasion j’ai aussi eu le sentiment que ce n’était pas tant la nature humaine que la série voulait questionner, que plutôt la nature de la vie elle-même.
Malgré la mécanique bien huilée de Desejos S.A., et son armée de clientes en ordre de bataille… il est des choses que l’on ne peut tout simplement pas contrôler. Et si ce n’est pas forcément une conclusion très satisfaisante, parfois, c’est la seule conclusion que l’on ait.
Oh ça a l’air super intéressant ! J’avais beaucoup aimé The Booth (que j’avais regardé grâce à toi) et ça aussi, ça a l’air bien. Au-delà de mon intérêt général pour les fictions de type « be careful what you wish for » (ça fait vingt ans que j’écris et réécris dans ma teteles vœux que je ferais face à un génie en essayant de prévoir tous les problèmes possibles) c’est le fait que les personnes soient manipulées pour exaucer les souhaits les unes des autres, mais sans bienveillance de la part de l’organisation, qui m’intrigue. Je me demande comment ça marche !