D’ici la fin de cette review, je fais le pari que je vais vous faire changer d’avis sur la série du jour. Et attention, on part de loin.
Zeicho accompagne en effet un agent du service municipal chargé de procéder au paiement de dettes d’impôt ou, le cas échéant, à des saisies (« zeicho » désigne cela : un agent du recouvrement). Parce que Soichirou Aiba est payé par la ville de Miyukino, ce sont des impayés de taxe d’habitation et d’impôt foncier qui forment l’essentiel de son travail. Alors vous allez me dire qu’on a vu plus passionnant qu’une série sur un fonctionnaire gratte-papier, que ça évoque des choses un peu angoissantes (voire de mauvais souvenirs), et que tout le monde déteste ce genre de profession.
Et encore, vous me le diriez avant d’avoir lu les trigger warnings du jour :
Certes.
Voici mon contre-argument.
Première des choses : si vous craignez l’ennui, rassurez-vous. Zeicho trouve le moyen de rendre les choses dynamiques parce qu’une partie seulement de l’intrigue se déroule dans les bureaux des services de recouvrement.
Comme le suggère le matériel promotionnel, les agentes du service sont souvent amenées à rendre des visites aux administrées qui ont accumulé des dettes auprès de leurs services. Souvent, c’est uniquement pour leur demander poliment de payer, parfois c’est pour procéder à une saisie, mais c’est plus rare.
Le premier épisode a une explication plutôt pédagogique à la raison pour laquelle la saisie n’est pas une tâche par défaut, d’ailleurs : ce serait dépenser de l’argent public (en main d’œuvre, véhicules, etc.) inutilement que de procéder à une expertise complète d’un foyer pour chaque impayé, quand on sait que l’argent n’est pas toujours recouvré immédiatement. Si la personne ne peut pas payer, et ne possède rien de valeur (d’autant que certains objets du quotidien ne peuvent être confisqués), c’est même l’équivalent d’un abus de bien public que d’investir trop de moyens dans une intervention. Donc les agents se déplacent pour aller sonner, si possible discuter avec la citoyenne concernée, attester de la situation financière, et essayer de régler les choses à l’amiable en priorité.
Bon, et le fait que le Japon privilégie encore le paiement de grosses sommes en liquide au 21e siècle favorise aussi ce genre de démarche : tout service public impliquant de l’argent conduit à des échanges humains. C’est un peu plus respirable que notre système français, qui consiste à appeler le centre des impôts local entre 14h30 et 16h deux jours par semaine, tomber sur un robot téléphonique, être mise en attente, et abandonner au bout de 30 minutes pour finalement envoyer un email qui ne trouvera réponse que dans 6 mois.
Qui plus est, Soichirou Aiba est un personnage qui est plus attentif que la moyenne de ses collègues à prendre soin des citoyennes. Il a une relation non seulement polie, mais quasiment amicale avec elles ; il ne vient pas les voir que pour la paperasse, mais s’intéresse sincèrement à elles ; il s’inquiète non seulement du recouvrement des dettes, mais aussi des conditions de vie auxquelles il assiste. C’est en outre quelqu’un qui a lâché son travail au ministère des Finances à Tokyo pour prendre ce job dans une petite ville, donc qui a troqué un statut enviable pour ce travail, ce qui suggère une forme de vocation. Quand la série commence, il est en train de former Hanako Doumeki, une nouvelle recrue de son service qui est très rigoureuse, mais peut paraître froide de prime abord. Aiba va veiller à lui enseigner non seulement de suivre la procédure, de rester attentive à l’argent public dépenser dans le recouvrement de dettes, mais aussi, parfois, d’aller un peu plus loin pour le bien des administrées. La bonne nouvelle, c’est que Doumeki est plus humaine qu’elle ne paraît.
De fait, le premier épisode suit un double cas qui permet très didactiquement de montrer que Zeicho présente des services de recouvrement qui ostensiblement sont durs avec les mauvais payeurs, mais compréhensifs avec les gens réellement en difficulté. C’est illustré ici par deux citoyens qui expliquent ne pas pouvoir régler tout ou partie de leur dette : un confiseur et le patron d’un restaurant traditionnel… mais est-ce vraiment le cas ? Dans quelle mesure s’agit-il d’un problème d’argent plutôt que d’un manque de volonté ? La fraude est-elle totalement à écarter ? Et dans tous les cas, quelles solutions pour obtenir les sommes dues à la ville ? Aiba et son équipe (tout le service se déplace dans certaines circonstances, mais évidemment pas pour rien) vont devoir faire preuve de perspicacité pour prendre la mesure de la situation de chacun des deux hommes. Et attention, ça va donner une intrigue très douloureuse, d’où les trigger warnings.
Bref, Zeicho insiste sur une forme de Justice sociale. Il ne s’agit pas de pousser les citoyennes au désespoir, mais de s’assurer que tout le monde paie sa part, et que les services publics continuent d’être financés. L’insistance régulière de Zeicho sur ce point, et plus largement sur le fait qu’en tant que fonctionnaires, les employées des services du recouvrement sont une dépense publique et doivent donc mesurer leurs interventions à l’aune de ce qu’elles rapportent, est vraiment quelque chose qui est souligné à plusieurs reprises pendant l’épisode inaugural.
Alors forcément, si, forcément, vous allez me dire que les chances pour que ça se passe toujours si calmement que ça en réalité sont assez minces ; que les services gouvernementaux comme municipaux sont rarement aussi compréhensifs lorsqu’il s’agit d’argent, et en particulier de l’argent des pauvres ; et que même si c’était le cas, ça ne rend l’expérience que très modérément plus vivable. J’entends même certaines voix souligner que ça ressemble un peu à de la propagande d’État (même si Zeicho n’est pas diffusée par la télévision publique). Et je ne le conteste même pas.
Vous pourriez même arguer que le ton moitié drame, moitié dramédie de la série (sûrement hérité du manga original), est un défaut supplémentaire. En effet, Zeicho se vante de suivre les employées du service de recouvrement, et plus spécifiquement le Pôle 3 auquel Aiba et Doumeki appartiennent, jusque dans des détails aussi triviaux que leurs conversations à la cantine, leurs potins à l’équivalent de la machine à café (notamment sur le nouvel adjoint du maire qui doit bientôt arriver), ou leurs blagues de la vie quotidienne au bureau. Ce qui n’a pas pour conséquence que de les humaniser, mais aussi plus prosaïquement d’apporter des respirations dans la narration, qui sinon serait bien trop sérieuse, comme vous vous en doutez. Cela ne plaira pas à tout le monde, d’autant que des millions de séries japonaises avant Zeicho ont déjà proposé strictement le même humour et les mêmes dynamiques de groupe. Un jour, je vais commencer un site internet « does the fat guy love food » sur le modèle de « does the dog die« , je pense.
Eh bien, je persiste à dire qu’une série comme Zeicho est ultra-nécessaire.
Voilà donc pourquoi : ce que présente Zeicho sous couvert de ses histoires de taxes, de vie de bureau, et de machins, c’est ce qu’on réclame à la télévision depuis des années. Si-si.
Et en particulier, c’est ce qu’on réclame à chaque fois qu’on parle de l’importance massive de la fiction policière dans les constructions collectives autour de la police. Chaque fois que l’on s’interroge sur l’omniprésence du travail d’enquête dans les histoires que nos télévisions nous racontent sur notre propre société. Chaque fois qu’on parle de copaganda. Chaque fois qu’on se demande ce que la télévision pourrait faire autrement.
Zeicho est une série de travail social. Ce n’est pas la première, mais dans un paysage audiovisuel (national autant qu’international) complètement phagocyté par la fiction policière, ça reste plutôt minoritaire.
Il y a quelque chose de très intentionnel dans la façon dont ces fonctionnaires (qui d’ailleurs rappellent assez ouvertement qu’elles ne sont pas des policières) racontent aux spectatrices un autre rapport aux autorités. Un rapport basé sur l’idée que ce qui fait tourner une nation, c’est-à-dire les impôts, constitue un cycle où chacune doit jouer son rôle. Un rapport basé sur l’honnêteté à tous les égards, et la transparence. Un rapport explicitement basé sur le principe « kouhei kousei« , soit : « équitable et juste ». Nulle citoyenne n’est au-dessus de la loi ni exemptée de participer à la société ; mais chacune mérite l’aide de l’État lorsque les circonstances s’y prêtent.
Ainsi, au risque de vous spoiler, l’intrigue introductive de Zeicho se conclut par une saisie avec mise en demeure de payer, et une offre de facilité de paiement (l’exonération n’a pas l’air de faire partie du code des finances publiques au Japon). Parce que l’un de ces hommes personnifie kouhei, et l’autre kousei.
En 2020, j’avais écrit un thread sur Xwitter (je n’étais pas active comme maintenant sur Mastodon) dans lequel je parlais justement de promouvoir la fiction sur le travail social comme alternative à la fiction policière. Encore une fois, ce n’est pas que ces séries n’existent pas, mais elles sont rares et beaucoup moins mises en lumière. On est ici en plein dedans, et assez près de ce qui me semble à la fois mainstream et courageux (un difficile équilibre !). D’autant que Zeicho emploie, en partie, les outils des séries policières populaires ! Des affaires procédurales, des investigations pour comprendre le motif et les moyens des citoyennes, des interventions… tout ça, c’est tiré tout droit de la formule de la fiction policière. Mais sans flic, et sans une grande partie de ce que le travail policier implique moralement et socialement.
Je n’ai pas encore regardé les épisodes suivants (j’avais l’intention de le faire ce mois-ci, mais avoir été malade comme un chien la semaine dernière a largement donné un coup de canif dans mes plans téléphagiques de décembre…), mais je gage que d’autres cas vont ultérieurement permettre à Zeicho de poursuivre sur cette lancée. Et d’explorer le nombre infini de nuances entre le refus mal intentionné de paiement et l’impossibilité désespérée de paiement, pour nous montrer que ces histoires d’impôts, c’est plus que des factures à régler : c’est un projet de société.
Alors, même pas un peu convaincues ?