Girl Power !

4 décembre 2023 à 18:37

Au juste, je ne sais pas s’il y a des personnes jeunes qui me lisent, mais cette review leur parlera sans doute assez peu ! Lancée ce weekend, la série australienne Paper Dolls nous ramène en effet au tournant des années 2000, pour parler d’un groupe formé suite à une émission de télé-réalité. Bien que portant sur un groupe fictif, Harlow, la série s’appuie sur la trajectoire de Bardot, un groupe australien qui a vu le jour suite à la première saison de Popstars.
A défaut d’avoir en France une série sur les L5…

Trigger warning : tentative de suicide, peut-être violences sexuelles.

L’intrigue de Paper Dolls ne trompe personne, et d’ailleurs, dés la commande de la série au printemps 2022, le network 10 avait été assez clair quant à l’inspiration de cette histoire. Les abonnées de Paramount+, qui proposera la série à l’international, seront cependant moins susceptibles de comprendre certaines des références.
Tout cela est fort joli, mais que reste-t-il lorsqu’on enlève la nostalgie d’un groupe musical que vous n’avez probablement pas connu ?

En 1999, l’émission PopRush donne des espoirs à des milliers de jeunes filles venues de toute l’Australie afin de former un groupe féminin promis à la gloire. Cinq d’entre elles finissent par être sélectionnées : Charlie, Annabel, Jade, Tori et Lillian. Paper Dolls commence alors que les membres de Harlow ont été annoncées, qu’elles ont enregistré leur premier single (« Monster »), mais qu’elles n’ont pas encore joué leur première prestation publique, prévue devant un parterre de fans dans un centre commercial.
Or, deux jours avant le concert, Tori est accusée d’avoir volé de l’argent à l’une de ses consœurs. Margot, la manager, et Roger, l’exécutif du label, décident de la virer… et de la remplacer avant la première performance de Harlow. Izzy, une ancienne enfant star sous contrat avec le label mais inactive depuis 3 ans, est alors engagée pour prendre la relève au pied levé.

Tournée principalement du point de vue d’Izzy, Paper Dolls n’est pas exactement glamour. Pour commencer, Izzy elle-même n’est pas exactement une héroïne qu’on trouve dans une série où tout est idéalisé. La série insiste au contraire sur ses insécurités, son impulsivité, sa colère, et surtout, son anxiété. La raison pour laquelle, voilà 3 ans, elle a été mise sur le banc de touche par sa maison de disques, n’est pas explicitée, ou du moins pas complètement. Cependant, au fil de cet épisode inaugural, on nous révèlera qu’elle a fait une tentative de suicide par le passé, et qu’elle est depuis plutôt instable. Est-ce la seule explication ? Rien n’est moins sûr : Izzy inspire une forme de peur, et a une réputation de folle dangereuse (pas mal de références sont faites à des couteaux…) qui semble dépasser cela. Mais peut-être est-ce le poids, aussi, des mentalités de fin du 20e siècle, qui interprètent ses problèmes de santé mentale ainsi ? Pour le moment, c’est un peu flou.
Ce qui en en revanche l’est moins, c’est qu’Izzy n’est effectivement pas la personne la plus fiable au monde. Si elle n’était pas une chanteuse incroyable, et déjà sous contrat, sans parler du fait qu’elle s’est présentée (sans le savoir) pile au bon moment, elle n’aurait jamais été engagée pour remplacer Tori au sein de Harlow. Paper Dolls montre dés ce premier épisode qu’elle est parfaitement consciente de cela, et du fait qu’elle est, dans le fond, tout-à-fait jetable. Elle l’a déjà été, après tout. Ses collègues de Harlow, fraîchement arrivées dans l’industrie et encore pleines d’illusions alors qu’elles n’ont pas vraiment fait leurs débuts, sont en revanche ignorantes de la façon dont le monde de la musique peut les consommer et les jeter.
Izzy se sent donc en-dehors du groupe pour de multiples raisons : son arrivée tardive et soudaine, sa réputation, sa propre santé mentale, et la nature impitoyable du monde dans lequel elle évolue.

Il semblerait cependant, même si là encore ce n’est pas encore très explicite pour le moment, que Paper Dolls ambitionne de parler d’un peu plus que des choses habituelles sur le show business. Ce que tente d’introduire Paper Dolls, c’est l’idée d’exploitation. Les chanteuses de Harlow sont exploitées : leur chanson, leur look, leur emploi du temps, leur quotidien (qui est filmé pour les besoins de l’émission dans la maison où on les a fait emménager), tout est décidé pour elles afin d’être rentables pour le label.
Mais l’exploitation pourrait bien aller au-delà.
Une conversation de cet épisode inaugural évoque ainsi, brièvement, les revenus extrêmement minimes du groupe. Ainsi, chaque membre touche apparemment 20 dollars australiens par jour… même pour 1999, ça ne fait pas lourd. Mais surtout, une scène semble faire allusion à quelque chose qui se serait passé entre Izzy et Roger. Si je ne suis pas trop nulle en maths, et que j’ai bien compris cette scène, cela implique qu’Izzy a peut-être vécu, avant son hiatus imposé, des violences de la part de Roger… en tant que mineure. Il est très possible que ce soit en fait l’explication à sa santé mentale, du coup. Au stade du premier épisode, beaucoup de choses sont encore laissées à l’appréciation des spectatrices…
…mais cela rejoint les articles que je lis sur Paper Dolls, une série basée en partie sur l’expérience de Belinda Chapple, l’une des membres à l’origine de Bardot, et qui a publié ses mémoires cette année, justement. Intitulées « The Girl in the Band« , ces pages énumèrent les expériences moins glorieuses qu’il n’y paraît de jeunes femmes exploitées avant d’être éjectées par le star system. Chapple est, d’ailleurs, l’une des productrices exécutives de cette série, qui bénéficie d’une distribution et d’une équipe d’écriture de production et de réalisation presque complètement féminines. Paper Dolls, avant tout, veut être le projet télévisuel qui éduque sur les abus de jadis pour éclairer les choix d’aujourd’hui, un avertissement qu’on se passe de femme en femme en plus d’un rétablissement, autant que faire se peut, des injustices passées. Et qui à l’époque pre-#MeToo, étaient si volontiers tues.
A ce stade, l’avertissement d’usage sur les coïncidences fortuites avec la réalité apparaît plus comme une protection juridique que jamais…

Tant mieux. On n’a pas besoin de nostalgie des années Y2K. Et on n’a pas besoin d’une énième série sur l’ascension vers la gloire de jeunes femmes à qui l’univers sourit.
Ça, ce sont les histoires que racontaient ceux qui voulaient, précisément, exploiter plus de jeunes femmes.

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