Erik Ponti a 16 ans, et pas vraiment de self-control. Après un incident violent, il est expulsé de son lycée, et aucun établissement de Stockholm n’accepte de le recevoir. Ses parents l’envoient alors dans le seul endroit qui veuille bien de lui : le pensionnat privé Stjernsberg, situé loin de la ville. Là-bas, non seulement il va pouvoir repartir de zéro, mais il aura en plus de nouvelles opportunités, vu l’enseignement exigeant qui y est donné.
Ce qu’Erik n’avait pas envisagé, c’est que derrière les uniformes parfaitement repassés et les couloirs austères se cache une violence familière.
Ondskan, série suédoise lancée cette semaine par la nouvelle version de la plateforme TV4 Play (depuis qu’elle a fusionné avec C More cet été), n’est pas pour les petites natures. Son titre, qui signifie « le Mal », est d’abord et avant tout celui du roman autobiographique dont elle est tirée, paru dans les années 80 (notamment en France sous le titre La fabrique de violence), ainsi que d’un film qui a été l’adaptation précédente de cet ouvrage. Sorti en 2003, le long-métrage a même été nommés aux Oscars ; personnellement je ne l’ai pas vu.
Aucun regret : Ondskan est dure à digérer, surtout si cela réveille des choses en vous. Et, devinez quoi, ça me l’a fait.
Ondskan démarre, sans explication, alors qu’Erik arrive un matin dans son bahut, serre les dents, et entreprend de frapper un autre élève. L’épisode ne tient pas pour nécessaire de nous offrir du contexte à cette violence, si barbare que le sang gicle sous les yeux ébahis des élèves incapables de l’arrêter, comme fascinés autant qu’effrayés. Les joues d’Erik sont encore rougies par ce sang quand sa mère vient le récupérer la tête basse. Elle lui annonce qu’en l’absence d’une autre option viable, il va partir suivre le reste de sa scolarité à Stjernsberg, à la campagne. Ce n’est pas une punition, insiste-t-elle : c’est un nouveau départ.
Erik n’est pas plus enjoué que ça, mais la situation ne manque pas d’avantages, dans le fond. L’un des gros atouts est que dans le train, il rencontre une très jolie blonde, pour s’apercevoir quelques heures plus tard qu’elle travaille à la cantine de son bahut ! Plutôt bonne nouvelle. Et puis, il semble sincèrement vouloir se reprendre.
Toutefois, l’adolescent va vite déchanter. A Stjernsberg, le proviseur se vante de l’organisation de son établissement : c’est le conseil des élèves qui administre un nombre non-négligeables d’aspects de la vie scolaire, les tâches et corvées variées, ainsi que les problèmes disciplinaires. Les élèves, en somme, sont éduqués par leurs pairs pour tout ce qui ne relève pas du scolaire. Le conseil est tenu exclusivement par des élèves de 4e année, qui logent dans un bâtiment à part surnommé « Olympen ». Sitôt qu’il met le pied dans le royaume des Dieux, toutefois, Erik comprend que ses camarades ne sont pas franchement là pour l’aider ou même l’encadrer. Il rencontre ainsi Otto Silverhielm, l’un des membres du conseil, qui se montre immédiatement hostile ; quant au président du conseil, Bernard von Schantz, un type courtois mais passif-agressif, il méprise Erik immédiatement. Les rires mauvais des autres élèves de 4e année ne laissent aucun doute sur l’ambiance qui règne dans le lycée. Dans ce nouveau décor, seul le garçon avec lequel il partage sa chambre, le raffiné et réfléchi Pierre Tanguy, lui paraît un peu amical.
A partir de ce point de départ, c’est un peu la descente aux Enfers. Chaque heure passée au sein de Stjernsberg dévoile à Erik de nouvelles règles de vie, qui sont généralement faciles à résumer : fait ce qu’on te dit, ou subis les conséquences. Erik, qui n’est pas du genre à prendre des coups à l’ego sans broncher et, on l’a dit, n’a aucune once de self-control, doit apprendre à ronger son frein pour ne pas se faire remarquer. Pas de chance : quand sa chambre est fouillée dés la première nuit, et une cigarette trouvée cachée dans son matelas (…alors qu’il n’a même pas encore défait son sac…), il devient clair que les règles seront toujours un peu mouvantes. Il tente de se rebiffer, ce qui a pour effet d’amuser et agacer Silverhielm en même temps. Bientôt, Erik et Pierre sont convoqués à un conseil de discipline…
Je n’ai vu que le premier épisode d’Ondskan, mais ça suffit amplement pour comprendre ce qu’il se joue. La série se déroule dans les années 50, mais reste attentive à minimiser l’aspect historique, comme pour rappeler que son sujet est intemporel. C’est le portrait d’une violence d’autant plus insidieuse qu’elle se passe sous couvert d’éducation, et avec l’ignorance volontaire voire l’aval de l’institution. La série dépeint un système qui ne fait pas que reproduire de la richesse, mais aussi de la souffrance ; d’une façon perverse, les deux sont ici liées. Dans le cadre si plaisant de Stjernsberg (un établissement logé dans les bois, avec des équipements sportifs, des chevaux, etc.), tous les lycéens sont a minima complices, se délectant souvent de la violence… tant qu’elle est infligée à autrui. Pierre est la notable exception à ce portrait, mais honnêtement j’ai eu du mal à le croire jusqu’au bout de l’épisode.
Naturellement, Ondskan a pris ses précautions, et énumère dans cet épisode introductif toutes les raisons pour lesquelles Erik est bien-sûr bloqué à Stjernsberg. Il y a certes la violence dont il a fait preuve dans son lycée de la capitale, et qui garantit que tous les proviseurs de la région se sont passé le mot. Mais il y a, et ce n’est évidemment pas une coïncidence, la violence de son père, aussi. Ce qui explique d’ailleurs plutôt bien pourquoi, au départ, Erik avait tellement envie de faire de son arrivée au pensionnat un succès…
Ondskan envoie plein de signaux assez subtils de la violence du père d’Erik pendant ce premier épisode, et qui montent graduellement en violence. Il y a les échanges entre la mère et le fils (qui parlent d’un « il », et là d’où je viens ce « il » sonne toujours d’une façon très précise, je le reconnais dans toutes les langues), les regards que l’on échange à table au dîner, la façon dont on passe des appels sans les passer, le culte du secret et des non-dits, les coups d’œil qu’on jette derrière son épaule lorsqu’on fait quelque chose qu’on sait anodin pour tout le monde sauf « lui »… Si Ondskan n’avait jamais explicité, je l’aurais comprise tout pareil.
Oh, mais elle l’explicite. Ne doutez pas un instant qu’Ondskan garde la moindre violence tue. Et vraiment, même quand on a l’habitude, c’est dur à regarder.
Dans Ondskan, la violence est de toute évidence un continuum. Un héritage qu’on se passe d’homme en homme. N’est-ce pas cet héritage qu’Erik a apporté au lycée, le matin de cet « incident violent » dont on n’est même pas certaine que l’autre élève ait réchappé ?
Toute la question, c’est de savoir ce qu’Erik fera de cet héritage à l’avenir, et Ondskan pose la question ouvertement. Ses chances de briser le cycle de la violence sont assez minces, pour tout dire : il n’a jamais rien connu d’autre que la violence entre hommes. Finira-t-il par s’acclimater, voire peut-être même reprendre les rênes de cette violence ? Il semble tout qualifié pour entrer au conseil d’ici quelques années, surtout s’il apprend les modes de violence plus insidieux pratiqués par les élèves plus raffinés que lui. Sera-t-il impossible à mater ? Après tout, Erik est déjà habitué au pire, peut-être est-il uniquement qualifié pour se lever contre ces injustices. Se conformera-t-il à un nouvel ensemble de règles arbitraires, en espérant échapper au plus dur ? Ça n’a pas marché chez lui, pas de raison que ça marche ici, mais pour le moment il semble révulsé à l’idée, en tout cas.
Aucune concession ne sera faite dans Ondskan, ni à Erik, ni aux spectatrices. Le message a été bien reçu : j’ai été prise de flashbacks toute la soirée après avoir regardé cet épisode ; de la violence chez moi, de la violence au collège… Et pour la première fois depuis environ 20 ans, je me suis souvenue que moi aussi, j’ai failli être envoyée en pensionnat (qu’on me présentait comme une menace : « si tu ne te conformes pas, tu seras envoyée là-bas et ce qu’on t’y fera subir sera bien pire qu’ici »). Ça n’aurait pas été un pensionnat pour garçons dans les années 50, mais la violence n’est pas exclusive à cet univers. Qui sait ?
Le fait qu’Ondskan sonne toujours comme étant d’actualité est bien la preuve qu’à ce jour, on n’a toujours pas brisé le cycle.
Ca fait des mois que je vois la liste des articles que tu postes grandir et grandir, mais les vacances étaient occupées et depuis j’ai commencé mon doctorat, j’ai encore moins de temps (d’ailleurs je t’ai vu passer dans mes notifs sur mon compte Mastodon pro il y a une semaine). Je trainais vite fait sur Twitter tout à l’heure et j’ai vu passer le tweet pour cette article et figure-toi que ça m’intéressait parce que l’acteur qui joue Pierre Tanguy est l’un de mes anciens colocs (vraiment on rencontre plein de monde quand on habite en coloc) donc je me demandais si j’allais la regarder, mais après avoir lu ton avis, je ne sais pas si j’ai l’estomac suffisamment accroché pour…
Ca a l’air difficile à encaisser comme série… Et j’imagine bien que ça a dû être un sacré trigger. Je suis désolée pour la soirée difficile que tu as dû passer. Quant à la série, je dois dire qu’elle m’intéresse. On a le livre à la maison et je ne me suis encore jamais penchée dessus, vu ce que je lis, du coup je devrais peut-être faire comme quand on avait la flemme de lire un livre au collège, et regarder le film… (bon au collège je lisais les livres qu’on me donnait à lire, mais tu vois l’idée).