Crime of the century

21 octobre 2023 à 20:21

Même depuis Mastodon (où la communauté téléphagique française n’a que modérément posé ses valises…), j’ai eu vent du buzz autour de la nouvelle série D’argent et de sang.
What’s not to love ? C’est une série française bien réalisée, avec un budget confortable et une distribution pas dégueulasse, dotée d’un sujet ancré dans une problématique d’actualité, sous-tendue par une question politique majeure, avec des mécanismes s’inscrivant dans l’engouement actuel pour les séries portant sur des arnaques de grande ampleur, écrite de façon à expliquer de façon pédagogique mais pas rébarbative ses enjeux (ce qui correspond bien à ses origines journalistiques)… sans parler du fait qu’elle a beaucoup d’énergie, que son intrigue se déroule sur une timeline pleine de rebondissements, et qu’avec intelligence elle a même su inclure un peu d’escapisme et de comédie, presque paradoxalement. Tout y est.
De quoi d’autre peut-on bien rêver ?

Pour essayer de résumer, D’argent et de sang démarre en octobre 2008, lorsque Simon Weynachter plaide devant l’Assemblée nationale pour la création d’une unité spécialisée dans les crimes financiers internationaux : le Service National de Douane judiciaire. Mis à la tête de ce nouvel organe indépendant qu’il a défendu si passionnément, Weynachter tombe complètement par hasard, avec son équipe, sur des sociétés fictives qui révèlent l’existence d’une gigantesque opération de fraude.
Dans les faits, la combine est simple : elle repose sur une simple absence de reversement de TVA aux services fiscaux. Toutefois, pour mettre en place cette fraude, ses responsables ont mis en place tout un système consistant à faire ouvrir des comptes bancaires professionnels dans des paradis fiscaux à plusieurs jeunes femmes crédules, en échange d’un voyage et quelques billets. Par des opérations complexes, ces comptes permettent au montant de la TVA d’être déposé offshore avant même que le fisc n’ait la moindre idée des sommes ainsi exfiltrées. D’argent et de sang suit cette opération, à la tête de laquelle on trouve l’exubérant Alain Fitoussi, dit « Fitous », un type parti de rien, originaire de Belleville, qui a passé les dernières années à rebondir d’arnaque en fraude, et son cousin Yankel Aser, dit « Bouli ».

Le cadre narratif de la série, pourtant, impose le recul.
En 2017, Weynachter est en effet entendu par des magistrats du TGI de Paris au sujet de l’enquête portant sur cette fraude, et ses retombées. Des retombées dont on nous promet qu’elles ont été sanglantes (et le générique l’a préventivement confirmé), bien que pour le moment leur description se limite à une question financière. Mais n’est-ce pas souvent comme ça ?
Il n’est donc pas question de simplement suivre la mise en place de la fraude, ou même de suivre l’enquête. Il est impérieux pour D’argent et de sang de nous ramener à l’après, de nous dire, en des termes dénués de toute ambiguïté, que cet argent qui sort par la petite porte, qui est dépensé dans des excès, qui s’affiche de façon détestable dans des scènes qui pourraient nous faire sourire si nous n’y prenions pas garde, cet argent, c’est le nôtre, ç’aurait dû être le nôtre. En pleine crise des subprimes, c’était l’argent dont nous avions besoin. Chaque fois que D’argent et de sang revient à la salle austère dans laquelle Simon Weynachter explique les faits, la série réitère son rappel. Peut-être précisément parce que, ces derniers temps, les séries sur les arnaques et fraudes spectaculaires sont populaires, D’argent et de sang refuse le spectacle d’une opulence joviale, celle incarnée par Fitous, pour bondir dans l’espace et dans le temps, et nous ramener à cette pièce du TGI. Tout y est sérieux, pâle, peut-être un peu ennuyant même. C’est moins drôle que l’impayable Fitous avec ses putes, ses chemises Versace et ses soirées de poker, mais ne vous laissez pas berner. Qui plus est, Fitous n’est que le premier maillon de la chaîne, comme le rappelle le titre de ce premier épisode qui porte son nom ; il y en aura donc d’autres. Ce n’est pas son histoire à lui, il n’est pas votre héros. Rappelez-vous, martèle D’argent et de sang, rappelez-vous toujours que la raison pour laquelle ce personnage s’amuse, c’est qu’il vous a toutes volées, et que c’est grave. Rappelez-vous combien c’est grave.
Par les temps qui courent, alors que tant de gens encensent les pires personnages pourvus qu’ils soient friqués et larger than life, secouer les spectatrices par les épaules à intervalles réguliers est salvateur.

Alors, D’argent et de sang n’est pas une série parfaite. Son obsession pour essayer d’humaniser Simon Weynachter, par exemple, on s’en tape un peu… D’ailleurs, au moins dans ce premier épisode, elle apparaît précisément comme une tentative vaine de l’humaniser, plutôt que de lui donner une vraie épaisseur, une complexité nuancée, une dimension humaine. Mais on s’en fout. On s’en fout que Weynachter soit une personne torturée, ou un père inquiet. Dans le fond, qu’est-ce que ça aurait changé s’il avait été un homme heureux ? Le crime aurait été commis tout pareil. C’est tellement pas ce pour quoi on est venues. On peut aussi regretter que D’argent et de sang se préoccupe plus de pognon que de la dimension écologique de la fraude qu’elle décrit. Ce sera peut-être un peu mieux discuté lors d’épisodes ultérieurs, cela dit, mais c’est vrai que ce n’est pas que de l’argent qui nous a été volé, mais notre futur…
Toutefois, ce qui constitue sa mission principale, son propos central, son objet primordial, ça, c’est bien foutu, ça, D’argent et de sang le maîtrise. Sans aucun doute possible.

N’est-ce pas le genre de série qu’on veut voir plus souvent ? Le genre de série dont on s’est plaintes pendant des années de ne pas assez voir produite en France ? Le genre de série qu’on sera fières de voir s’exporter (et elle va le faire, c’est certain) ? Précisément. D’argent et de sang est globalement à la hauteur de son buzz, et on voit se dessiner pour elle un avenir en tant que « grande » de la télévision française si le reste de la saison est du même tonneau.

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4 commentaires

  1. Mila dit :

    « Même depuis Mastodon (où la communauté téléphagique française n’a que modérément posé ses valises…), j’ai eu vent du buzz autour de la nouvelle série D’argent et de sang. » … je me sens hors du coup, j’en avais pas entendu parler… mais maintenant si ! Je suis à nouveau dans le coup ! Je savoure mes deux secondes dans le coup.

    Je comprends l’intérêt, et même l’importance de cette série… Je t’avoue que je ne sais pas si c’est une série que j’aurais envie de regarder, essentiellement parce que j’ai déjà l’impression qu’on me secoue par les épaules sans arrêt (pas dans les séries, mais dans ce que je lis sur mes réseaux, dans ce que je choisis de regarder sur youtube, dans les conversations que j’ai avec les gens) mais je comprends pourquoi elle secoue, je comprends pourquoi c’est bien qu’elle secoue, je suis contente qu’elle secoue…

    • ladyteruki dit :

      Après quand tu es déjà bien secouée, ya moins l’urgence d’être encore plus secouée 😀 Mais je crois sincèrement qu’il y a des personnes qui seront plus enclines à regarder une série qu’à lire le livre d’Arfi ou à suivre Arfi sur Xwitter, par exemple. Il y a une raison pour laquelle ces séries d’enquête socio et/ou politique (ce qui s’inscrit typiquement dans l’héritage de David Simon, d’ailleurs) trouvent leur public, c’est qu’il y a des gens qui viennent à ces thèmes par aucune autre voie que le divertissement. Une série comme celle-là, bon alors on est d’accord que le propos et le ton ne sont pas les mêmes, mais c’est pas teeeeellement différent de regarder Hanouna et de se politiser comme ça, je pense.
      Donc si toi, tu es déjà largement politisée, je comprends que ce soit l’overdose. Tu n’as pas vraiment besoin d’une série comme celle-là 🙂

      • Mila dit :

        Je comprends tout à fait ce que tu veux dire, et du reste, je suis d’accord, parce que moi-même, je suis certaine que (comme tout le monde) j’ai été politisée en partie par des séries et films vus ici et là. Même twitter (on chie beaucoup sur twitter, et à très bonne raison ces temps-ci, mais fut un temps où les communautés là-bas m’ont vraiment fait avancer), je suivais surtout des comptes liés à la télé ou aux films, et c’est en lisant des gens sur ces sujets que j’ai entendu parler d’autres sujets (féministes, surtout) pour la première fois, et me suis après tournée vers des comptes plus militants.

        (Excuse si le commentaire est mal formulé, j’ai la tête encore dans le brouillard)

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