Dans une chambre d’hôtel, un drame : une femme s’est introduite dans la chambre d’une mère et son fils, un couteau à la main. Le lendemain, la presse fait les gros titres de l’issue de cette tragédie, car c’est le petit garçon de 10 ans qui a poignardé l’intruse, sauvant la vie de sa mère. Toutefois, tombée dans un feu, la femme qui a failli devenir une tueuse est impossible à identifier.
C’est précisément son identité qui intéresse les enquêteurs Cheng Nuo et Lu Yu Lai. Ils ne travaillent cependant pas pour la police, mais au sein du Sheen Genome Institute, une entité chargée par le gouvernement d’enquêter sur la présence d’humanoïdes génétiquement modifiés.
…Oh, je ne l’ai pas mentionné ? Ce doit être oubli de ma part : Fang Sheng Ren Jian est une série de science-fiction qui se déroule quelques années dans notre futur, à une époque où les « humanoïdes » (c’est le terme employé par les sous-titres d’iQiyi en tout cas, et celui que je vais donc utiliser dorénavant) sont devenues monnaie courante. Comme l’explique de façon très pédagogique l’introduction du premier épisode, dans le futur, il est devenu possible de créer artificiellement des personnes humaines, à une différence près : leur génétique a été éditée pour intégrer ce qu’on appelle une « obsession initiale », une sorte de prime directive qui les oblige à obéir à la personne pour laquelle elles ont été créées.
Sauf qu’au moment où commence la série, la commercialisation des humanoïdes a pris une trajectoire bien différente de l’enthousiasme initial des consommatrices pour ce produit. Les gouvernements de la planète ont en effet unanimement décidé d’en interdire la confection et la vente. Plus encore, le marché noir est combattu, et… toutes les humanoïdes en circulation doivent être mises hors service.
Non mais, j’aimerais qu’on s’arrête un peu là-dessus, si ça ne vous ennuie pas, parce que le premier épisode de Fang Sheng Ren Jian (ou Bionic Life de son titre international) ne le fait pas vraiment.
Les humanoïdes sont des personnes humaines. Ce ne sont pas des robots, on n’est pas dans Äkta Människor (je cite Äkta Människor en particulier parce que mon site préféré a récemment commencé à proposer des sous-titres de l’adaptation chinoise, et je me tâte… mais n’importe quelle série à base d’androïdes fonctionnerait aussi bien dans ma comparaison). Ce sont des humaines, à un tel point qu’il est absolument impossible de les reconnaître, y compris par un test ADN. De l’aveu-même de la série, le seul moyen de déterminer si une personne est humanoïde, c’est de lui injecter une solution spécifique qui fait changer la couleur de ses yeux. Bon, petit problème, quand même, cette solution spécifique est toxique pour les humaines non-génétiquement modifiées, donc on peut pas injecter tout le monde à tire-larigot. Expression qu’on n’utilise pas assez souvent de nos jours, au passage.
Fang Sheng Ren Jian nous annonce ça avec un calme olympien que j’ai trouvé particulièrement perturbant. Donc la totalité des gouvernements de la planète se sont dit que, vous savez quoi ? On va tuer des humaines qui n’ont rien fait de mal, juste parce que quelqu’un d’autre les a achetées. On peut juste… pardon, c’est moi, ou ? Je suis la seule à entendre comment ça sonne ? C’est un peu, enfin… non ? Et vous voulez connaître la motivation derrière cela ? Je cite le début d’épisode : « de plus en plus de gens ont commencé à être accro aux fausses émotions apportées par les humanoïdes »… L’attachement extrême des humaines aux humanoïdes dociles, c’est ça le grand danger qu’il fallait absolument combattre par le meurtre de masse ! Je. Non mais, on est d’accord que… pas vrai ?!
Imperturbable, Fang Sheng Ren Jian trouve cela parfaitement normal dans ce premier épisode où après s’être brièvement demandé si l’intruse était une humanoïde, ce qu’on ne peut plus vérifier maintenant que ses yeux ont brûlé, en quelques secondes on se pose vite une autre question : et si c’était le petit garçon, l’humanoïde ? Il a poignardé une inconnue de deux fois sa taille avec un sang-froid déconcertant, il ne paraît pas spécialement perturbé sur les photos prises le soir de l’incident, et cela collerait avec une obsession initiale conçue pour protéger sa mère. En théorie, ça se tient. Apparemment pas super choqués à l’idée de devoir envoyer un petit garçon de 10 ans à la mort, voilà donc Cheng Nuo et Lu Yu Lai en route pour la scène du crime, afin de vérifier cette théorie. Après avoir étudié l’intérieur de la chambre d’hôtel, les deux partenaires vont interroger la mère chez elle, une femme aisée du nom de Chen Xin Hui, suspectant des motivations cachées lorsqu’elle s’efforce de les empêcher de parler à son fils Yuan.
J’aime autant vous dire que pendant les dix premières minutes de Fang Sheng Ren Jian, je n’en menais pas large. Derrière ses airs de série policière du futur, la série me semblait atroce. Dans mon crâne défilaient toutes sortes de questions, et en particulier je me demandais si se cachait derrière ce pitch odieux une sorte de métaphore politique sur l’espionnage, ou pire. Les trips de « les personnes dangereuses nous ressemblent et vivent parmi nous, si on les fait disparaitre c’est pour votre bien », vous savez, je me méfie, déjà en général mais particulièrement quand c’est une fiction chinoise qui le dit.
Fort heureusement, voilà venu le moment où je vous rassure : en réalité, Fang Sheng Ren Jian est bien moins inhumaine qu’il n’y paraît. En fait, plus l’épisode introductif avance, plus il devient certain que la série veut interroger les certitudes du monde sur lequel elle est bâti.
Les questions soulevées par l’enquête de ce premier épisode sont de la plus grande importance. Et non seulement elles nous apparaissent, mais elles préoccupent l’enquêteur Lu Yu Lai, qui prend la mesure des enjeux si l’enquête se poursuit dans cette direction. De subtiles, ses réactions atterrées au schéma de pensée de Cheng Nuo sont de plus en plus soulignées par la camera comme le scénario. Aussi, il finit par se tourner vers An Qiu, une psychologue avec laquelle il a déjà travaillé par le passé, et à laquelle il demande de l’aide pour interroger le petit Yuan, dont jusqu’à présent personne n’a rien pu tirer. Patiente, empathique et douce, An Qiu est pour Lu Yu Lai une partenaire bien différente de Cheng Nuo ; elle s’inquiète des conséquences des événements sur les personnes impliquées, et tente avec humour et compassion d’aider le petit garçon à s’exprimer. Cela fonctionne pendant un petit moment, qui permet de réorienter l’enquête vers une nouvelle piste…
En laissant les doutes de Lu Yu Lai s’exprimer, et en faisant de la place pour l’approche humaine d’An Qiu, Fang Sheng Ren Jian commence à révéler qu’elle n’approuve pas tant que ça la finalité de l’enquête. Et un soulagement perceptible s’est fait entendre de mon côté de l’écran…
Il est fascinant d’assister à la lente révélation des intentions de la série. Fang Sheng Ren Jian semble au départ s’adonner à tous les travers des séries policières. En particulier, la dynamique entre Cheng Nuo et Lu Yu Lai, deux enquêteurs aux perspectives opposées, me faisait craindre l’ennui par-dessus l’horreur : Cheng Nuo est un type distant, un ténébreux qui se déplace en moto, un flic qui n’en fait qu’à sa tête, un rebelle-désagréable-mais-compétent, toi-même tu sais. Par contraste, Lu Yu Lai est affable, il fait preuve de retenue, le genre de gars qui obéit au protocole et aux codes de la société. Cela me semblait cliché. Mais là où la plupart des séries auraient fait passer Cheng Nuo pour un mec hyper cool, Fang Sheng Ren Jian fait progressivement montre de dédain. Lu Yu Lai, puis An Qiu, vont lui reprocher son détachement, et à demi-mots, souligner combien sa capacité à envoyer des humanoïdes au rebut a quelque chose de monstrueux.
Par cette évolution, Fang Sheng Ren Jian m’a convaincue. Ce qui commençait comme un énième visionnage de série insupportable s’est révélé être une série pleine de nuances, d’aspérités, de complexités reconnues comme telles. Si l’on ajoute à cela les multiples retournements de situation de l’enquête elle-même (même si au bout de 12 minutes très exactement, j’en avais deviné la conclusion, ce n’est pas cela qui compte) et le fil rouge surprenant introduit à la toute fin de ce premier épisode, cela donne une très bonne heure de télévision. Et moi, ça faisait très longtemps que je ne m’étais pas précipitée aussi vite pour récupérer le deuxième épisode d’une série.
L’ambiance froide, lente et terrassante de la série est une sorte de dalle de béton sous laquelle pousse une fleur têtue, pleine d’incertitudes et d’humanité.
Que laissera cette enquête derrière elle ? Ne serait-ce pas formidable si plus de séries policières se posaient la question !
Et bah ça a l’air vachement intéressant 😮 les prémices me rendent vraiment curieux en tout cas.
Same. Je suis en train de récupérer les épisodes suivants à la vitesse de la lumière (ou en tout cas de ma connexion internet).