Quel avenir quand on a grandi dans le dénuement le plus complet ? Au milieu de Kibera, l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique, voilà Junior, Dimore, Ade et Dayo à un embranchement ; le choix qu’ils feront à 17 ans déterminera le reste de leur existence. On n’a pas l’option d’être un gosse bien longtemps, quand on grandit là.
Le premier épisode de Pepeta met en place l’étau. Il y a d’un côté le foot, une passion joyeuse et peut-être, avec beaucoup de travail et encore plus de chance, porteuse d’avenir. Et de l’autre, il y a le crime, un business peu reluisant mais qui permet de gagner sa vie.
Or, dans Pepeta, il s’avère que parfois les deux chemins se croisent plus qu’on ne le voudrait.
La série kenyane Pepeta se voit comme un grand ensemble drama. Elle suit non seulement les quatre amis depuis leur enfance jusqu’à l’adolescence, mais aussi toutes sortes de personnages qui s’apprêtent à influer sur leur sort. C’est d’ailleurs la première des leçons donnée par cet épisode introductif : le chemin qu’emprunteront ces quatre garçons ne dépend pas que d’eux. Plus précisément, elle ne dépend presque pas d’eux. En fait, c’est presque comme si…
Tout commence lorsque les quatre amis, à ce moment-là âgés de 9 ans, décident de regarder la retransmission d’un match de la All African Games. La rencontre est décisive, et oppose l’équipe nationale kenyane à son homologue somalienne. Junior, Dimore, Ade et Dayo sont, comme absolument tout le monde à Kibera, en admiration devant le joueur-phare de l’équipe, Humphrey Biki. Leur héros. Rassemblés devant l’une des rares télévisions du quartier, les gamins se mêlent aux hommes pile à temps pour assister à un coup de maître qui assure à l’équipe kenyane la victoire… quelques minutes plus tard, pourtant, Biki est gravement blessé sur le terrain. Evacué en urgence, il n’assistera pas au coup de sifflet consacrant sa victoire.
Les quatre gosses ressortent de cet événement avec des étoiles plein les yeux. C’était le match d’une vie ! Même si hélas il faut retourner aux leurs… D’ailleurs, Junior, qui rentre chez lui après son couvre-feu, se fait battre comme plâtre par son père, un religieux intransigeant.
Le quotidien de Junior et ses copains n’est pas toujours terrible. Il a de bonnes notes à l’école, par exemple ; il y a les potes ; il y a le foot, même s’ils jouent avec un vieux ballon en mousse tout pété. Et puis, il y a Zeze.
Zeze, c’est l’espèce de grand frère par procuration, le mec cool du quartier, que tout le monde connaît, qui est toujours sympa avec eux, qui leur donne un petit billet de temps à autres, parce qu’il les aime bien.
…Parce qu’il les aime bien ? Pepeta nous avertit rapidement : sa générosité n’est pas gratuite. En fait, progressivement, Zeze commence à donner des petits jobs aux garçons, comme par exemple compter son argent. Des boulots simples, sans risque, sans rien à se reprocher, contre lesquels il leur donne quelques billets supplémentaires. On ne sait jamais quand ce sera utile, d’avoir des gosses sous la main. Entre deux vols à main armée, se préparer des choix sur le long terme lui donnera un coup d’avance.
S’il y a bien quelqu’un qui a remarqué son cirque, c’est… Biki. Le footballeur a tout perdu après son match glorieux. Ou plutôt il a tout dépensé en alcool. Et alors qu’il boitille dans les sentiers de Kibera, allant s’acheter une énième bière, il a remarqué Junior, Dimore, Ade et Dayo. Il a remarqué leur enthousiasme à jouer au foot. Il a remarqué qu’ils étaient plutôt doués. Il a remarqué les largesses de Zeze, aussi. Et il sait ce qu’elles signifient. Alors Biki, qui était pourtant au fond du trou, prend une décision qui va changer sa vie. Il vend sa télé, et lance un club de foot pour les gosses de Kibera.
Malgré son aspect chronique ; en dépit de son montage entraînant ; presqu’à rebours de l’enthousiasme juvénile de ses héros, la première partie de l’épisode introductif de Pepeta est sombre. On sent ce qui se trame. Les quatre garçons, bien-sûr, n’y voient que du feu, mais grâce à la perspective de Biki, les spectatrices, elles, comprennent que le piège est sur le point de se refermer. La série a la bonne idée de ne pas chercher à faire du mystère, mais plutôt de marquer les points d’étape de la glissade ; on imagine sans peine qu’au fil des mois, des années, d’autres petits moments se sont déroulés. L’écriture ne veut pas s’apesantir, juste nous indiquer les moments où, ma foi, ces gamins ont fait des choix sans le savoir.
Et puis, voilà que l’épisode opte pour un plus grand saut dans le temps. Alors qu’ils ont 17 ans, Junior, Dimore, Ade et Dayo sont maintenant des joueurs de l’équipe de Biki. Et alors que la timeline semble se compresser, Pepeta décide de donner un dernier tour de vis pour serrer l’étau.
Biki arrive à grand-peine à faire vivre son équipe de sport. Personne n’a d’argent pour rien à Kibera, et certainement pas pour de l’équipement sportif. Toutes les tentatives de l’ex-champion pour trouver un sponsor à son club échouent, lamentablement. Et il est désolé, à la fois pour ces gamins et à la fois pour lui-même, d’en être réduit à quémander pour sauver la vie de ces jeunes. L’urgence est là. Zeze est devenu plus influent. Lui et ses deux sbires tapent plus fort, maintenant, se lançant dans le car-jacking. Au point que l’officier de police Kepha est sur sa piste… A la fin de l’épisode, on lui a même apporté un flingue, qui a l’effet instantané d’empirer son attitude menaçante.
Lorsque Junior, Dimore, Ade et Dayo viennent toquer à sa porte pour lui demander une faveur, ses yeux brillent. Il leur promet d’acheter les chaussures neuves que personne d’autre ne peut leur payer. Ils lui devront juste une petite faveur… Hébété d’être confrontés à ce qu’ils n’avaient jamais remarqué jusqu’alors, les ados acceptent, bien-sûr. Sans savoir ce que sera la faveur.
Eux ne le savent pas. La toute première scène de l’épisode, elle, nous l’a dit (oui, le premier épisode de Pepeta est ce genre de premier épisode). Et c’est glaçant.
Quel premier épisode réussi ! L’écriture est affûtée comme une machette, vraisemblablement soucieuse de ce qu’on pourrait qualifier de big picture, posant la situation avec lucidité ; la naïveté de la première partie de l’épisode est vite nuancée par tout ce qui est délivré à notre regard d’adulte. Les dialogues, en tout cas la traduction, sont un peu moins fins ; mais comme vous l’avez vu, il se passe tellement de choses dans ce premier épisode qu’on peut bien passer sur des répliques d’exposition un peu trop expositionnelles. L’interprétation est, en revanche, au taquet. La qualité d’image est, accessoirement, dans le haut du panier parmi les séries kenyanes qui me sont parvenues, et ça ne fait pas de mal de le noter.
C’est de la belle ouvrage, et… c’en est même paradoxal. Il est difficile de chanter les louanges d’une série aussi étouffante. Surtout quand on apprend qu’elle est inspirée par l’histoire vraie de Harun « Rio » Wathari, un jeune footballer de Kibera entré dans un gang.
Aucun gosse ne devrait avoir à faire ces choix. Si on peut les appeler ainsi.