Ces derniers temps, j’ai parlé un peu moins de séries japonaises ; comme souvent, le démarrage d’une nouvelle saison (ici la saison estivale, donc) est l’occasion de me mettre un coup de pied au derche. J’ai quelques brouillons qui traînent dans mes réserves, aussi, mais pour le moment je vous propose de parler d’une série parfaitement dans l’ambiance de l’été, avec Barakamon.
Il s’agit apparemment de l’adaptation d’un manga, mais comme je ne lis plus de manga, je laisse les expertes en parler en commentaire. Toujours est-il que la série se déroule à Nanatsudake, un petit village situé sur l’une des îles Gotou, tout au sud de l’Archipel nippon. L’endroit est semble-t-il fictif ; dans les îles Gotou, Nanatsudake est en fait un mont, donc pas du tout en bord de mer. Plus dépaysant, ce sera difficile… et c’est d’ailleurs le but.
Lancée un peu plus tôt ce mois-ci avec le début de la saison d’été, Barakamon suit Seishuu Handa, un jeune calligraphe qui vit à Tokyo. Dans son monde, la calligraphie, c’est un art, et il a décidé dés son plus jeune âge que ce serait sa vocation. Il faut dire qu’il n’est nul autre que le fils de Seimei Handa, un calligraphe réputé qui lui a tout appris quand il était enfant.
Aujourd’hui âgé de 27 ans, toutefois, Seishuu aspire non plus à l’apprentissage, mais à de la reconnaissance : il a passé le temps d’apprendre, il veut être apprécié par ses pairs. Cette immense blessure d’orgueil est mise à vif en particulier lors d’une cérémonie de récompense ; le plus ironique, c’est que la récompense est attribuée à Seishuu pour l’une de ses oeuvres. Hélas, tout ce qu’il entend, ce sont les ragots d’autres jeunes artistes dans son dos, et surtout, la critique d’un directeur d’exposition. Celui-ci, un homme âgé, expérimenté, et respecté dans le milieu, ne mâche pas ses mots : il se lamente que Seishuu soit si conformiste malgré son âge, et qu’il ne semble même pas essayer de s’élever au-dessus d’un niveau médiocre. Bref, il n’a pas mérité son prix. Bon, ce n’est jamais plaisant à entendre, c’est sûr. Mais voilà qu’en plein milieu de la soirée rassemblant tout le gratin de sa profession, Seishuu fait une scène. Il doit être physiquement maîtrisé, devant tout le monde… y compris son père.
On apprendra au cours du premier épisode de Barakamon que là c’est l’événement déclencheur du petit voyage de Seishuu à Nanatsudake : son père l’a poliment enjoint à partir loin de Tokyo pour, disons, faire le point. Voilà, disons ça comme ça.
Cet exil forcé, évidemment, n’est pas une partie de plaisir. Et Seishuu est en plus un citadin dans l’âme. Quand il débarque dans le Sud du pays, il est épaté d’apprendre que le village est à 4h de marche de l’aéroport, et qu’il y a, genre, quatre bus par jours pour faire la navette. Les péripéties pour se rendre à bon port ne vont donc pas spécialement le mettre de bonne humeur… Il est accueilli dans une petite maison traditionnelle qui a été mise à sa disposition, et très vite, il comprend où il a mis les pieds.
Nanatsudake est le genre d’endroit où les voisines sont constamment à votre porte. Et dans un premier temps, Seishuu trouve ça irritant et envahissant ! En particulier parce que plusieurs jeunes du village considèrent la maison comme leur quartier général, et ont pris l’habitude de s’y introduire quand bon leur chante. C’est vrai en particulier pour la petite Naru, une gamine qui a encore ses dents de lait, et dont il est impossible pour Seishuu de se débarrasser. Mais en fait, tout le village est comme ça, c’est juste que Naru est particulièrement attachante (dans tous les sens du terme). Le premier épisode nous montre pourtant que cette omniprésence a ses bons côtés, comme quand, sans que personne ne les ait prévenues ni ne leur ait demandé, les villageoises se présentent chez Seishuu pour l’aider à emménager (il s’est en effet fait livrer quelques cartons d’affaires… et oui, cela ressemble de plus en plus à un déménagement plutôt que des vacances).
Seishuu pensait profiter de cette, euh, qu’est-ce qu’on avait dit ? oui, voilà : de cette mise au point pour se consacrer à son art. Mais devant l’impossibilité à déloger les villageoises et en particulier Naru, ses espoirs de travailler sur sa prochaine oeuvre semblent compromis.
Sauf qu’évidemment, on ne veut pas la déloger. En tant que spectatrices, on sent dés les premières minutes qu’avec sa voix enfantine, sa naïveté à toute épreuve, et son obstination charmante, Naru incarne précisément tout ce dont il a besoin. Et effectivement, les premiers jours à Nanatsudake passent, et pendant que Seishuu insiste sur l’isolement dans lequel il veut travailler son écriture, Naru s’incruste dans la petite maison.
Barakamon est de toute évidence une série sur la complicité naissante entre le calligraphe et la petite fille. Celle-ci a d’ailleurs plusieurs attributs de la Manic Pixie Dream Girl (heureusement, sans une once de romance ; de ce côté-là je soupçonne l’infirmière de la clinique locale d’être plutôt ce que les scénaristes ont en tête), existant en grande partie pour semer un chaos réparateur dans la vie de Seishuu. Mais il ne s’agit pas que de ça. Dés cet épisode inaugural, on a droit à toute une réflexion autour des thèmes éternels de la création artistique : qu’est-ce que le talent ? Qu’est-ce qui rend l’artiste digne de son art ? Quelle est la somme de travail qui permet d’atteindre l’excellence ? Vaste programme.
Si Seishuu a un ego plus vaste que l’océan, il est aussi vaguement conscient de devoir sa position sociale, dans son cercle professionnel, à ce que l’on appellera pudiquement « des circonstances ». Il est né d’un calligraphe célèbre, a été formé par lui, et aujourd’hui on ne peut nier que l’influence de son père, au moins indirecte, lui vaut d’avoir été remarqué. S’il était parti de rien, Seishuu aurait-il pu aller aussi loin ? Aurait-il seulement choisi la calligraphie, d’ailleurs ? La question se pose, et en particulier elle se pose à Seishuu, d’une manière forcément déplaisante. C’est bien là toute la raison de son implosion en plein vol pendant la cérémonie de récompense, après tout : entendre de la bouche d’un expert l’expression de ses pires doutes était la pire chose qui puisse lui arriver.
Arrivé dans la petite maison de Nanatsudake, Seishuu s’est promis de travailler dur pour faire mentir les critiques du directeur d’exposition (et surtout, celles dans sa propre tête). Cependant, en étant réaliste… il existe aussi une possibilité qu’il ne puisse jamais s’élever par-delà la médiocrité. Ce, quels que soient le temps et l’effort qu’il consacre à son art. Ce qui est forcément une pensée insoutenable : qu’il soit bon ou non, il a consacré l’intégralité de sa vie à la calligraphie… Dans ce premier épisode, cette peur de l’échec après avoir tant investi dans la calligraphie se matérialise par un syndrome d’épuisement, qui envoie Seishuu à l’hôpital.
Les craintes de Seishuu de ne pas produire assez d’efforts vont, par inadvertance, trouver un écho auprès du frère aîné de Naru, Hiroshi. Cet été-là, Hiroshi prépare un examen, mais il n’a pas vraiment la motivation de s’y mettre, et ne produit pas des masses d’effort. Le premier épisode de Barakamon lui offre la possibilité de trouver en Seishuu un exemple de travail acharné… une inspiration inattendue !
Barakamon accompagne gentillement la quête artistique de Seishuu, et ses répercussions dans son entourage estival. Le ton ici est moins à l’introspection qu’à un conte moral sur ce qu’est le talent, ce qu’est le travail, et… le plaisir que l’on peut tirer de son travail, où que l’on se place sur l’échelle de l’excellence. C’est que les jeunes du villages, elles, trouvent absolument formidable tout ce que fait Seishuu ! Pourquoi lui n’y trouve-t-il aucune satisfaction ? Cette notion de plaisir intervient tardivement dans l’épisode introductif, mais laisse espérer une exploration plus nuancée qu’à l’ordinaire des thèmes très japonais du « travailler dur c’est important ». En tout cas, ça mérite d’être surveillé, même si pour le moment l’épisode ne manque quand même pas de jolies métaphoes sur l’importance de l’effort et du dépassement de soi.
De Barakamon, ce qu’il y a de plus important à retenir est vraiment que c’est une série estivale qui assume d’être une série estivale ! Cela veut dire beaucoup de légèreté assumée dans les scènes, les dialogues, le jeu des actrices… même si plusieurs de ses thèmes sont moins légers. On n’est pas dans de la grande télévision, mais, très délibérément, dans une petite fiction. Toute petite. A taille humaine.
Peut-être qu’aucune de ces protagonistes n’accomplira jamais de grandes choses (…ou peut-être qu’elles seront grandes, mais juste pour elle). Cela ne doit pas les empêcher de grandir (littéralement ou métaphoriquement) pour trouver leur place dans le monde.
Et si cette place est au bord d’un océan d’encre bleue, ma foi, encore mieux.