Fuck you but thanks for all the fish

26 juin 2023 à 14:21

Lorsque des phénomènes marins inexpliqués, et de plus en plus souvent mortels, commencent à se produire aux quatre coins du globe, la communauté scientifique s’interroge tout naturellement sur leurs causes. Ou peut-être n’y a-t-il qu’une seule cause commune ? Sur la piste d’une nouvelle vérité scientifique, plusieurs chercheuses s’allient pour comprendre ce qui menace l’humanité.
C’est le sujet de Der Schwarm, un thriller de science-fiction adapté cette année sous la forme d’une série ambitieuse. Tellement ambitieuse, en fait, qu’il aura fallu pas moins de 6 pays pour co-produire la série qui en résulte, Der Schwarm / The Swarm… Cela dit, vous la connaissez sûrement mieux sous son titre Abysses, puisque France2 achève la diffusion de la saison ce soir, sous ce titre. Elle en est la co-productrice, aux côtés de ZDF en Allemagne, ORF en Autriche, SRF en Suisse, Viaplay (principalement) en Suède, et Hulu Japan au… oui au Japon, donc. Tout ça fait du beau monde, avec la distribution internationale qui va avec. Cette (première ?) saison de 8 épisodes aura coûté la bagatelle de 40 millions d’euros. Est-ce que ça en valait la peine ?

Sur le principe, le sujet de Der Schwarm / The Swarm n’est pas bien compliqué ; la série est même très pédagogique dans sa mise en place, laquelle occupe environ la première moitié de la saison ! Les catastrophes se succèdent un peu partout, prenant de l’ampleur, et des scientifiques sans lien apparent commencent à se poser des questions.
Ainsi Charlie Wagner, biologiste marine allemande, observe-t-elle depuis son poste en Ecosse (où elle a été exilée pour insubordination par sa supérieure, la professeure Lehmann) que les fonds marins font remonter des blocs de méthane à la surface. Avec Rahim Amir, son ami et collègue resté dans les laboratoires de Kiel en Allemagne, elle tente d’échanger sur ses doutes, jusqu’à ce qu’un navire de recherche transportant une amie commune soit emporté par les flots. Sur les côtes canadiennes du Pacifique, le cétologue Leon Anawak guette le retour des orques, mais leur migration annuelle ne se passe pas comme prévu, et conduit même à l’attaque d’un bateau de tourisme. En France, Dr. Cécile Roche, une microbiologiste, intervient sur des cas étranges d’empoisonnement dont un crustacé serait à l’origine. Dans l’Atlantique, un autre biologiste marin, Sigur Johanson, est quant à lui engagé pour aider une mission privée à déterminer si des fonds au large de la Norvège peuvent être exploités commercialement par une société d’énergie, et y découvre une nouvelle espèce de vers marins particulièrement aggressive.
Vous l’aurez compris, on n’est à l’abri nulle part, et à mesure que la saison se déroule, les incidents se multiplient au Pérou, en Afrique du Sud ou encore au Japon. Toujours sur les côtes ou au large, bref, c’est clairement dans l’océan que se trouvent les réponses.

Der Schwarm / The Swarm insiste, à la limite de la lourdeur parfois, sur la façon dont l’Humanité utilise les océans. Pêche et donc restauration, commerce, énergie, tourisme, et même dans le domaine militaire ; les façons d’exploiter les larges étendues océaniques de la planète ne manquent pas. Et, hasard ou coïncidence, ce sont justement ces domaines qui sont frappés en premier par les phénomènes observés. Le message est clair : on a peut-être besoin des océans, mais les exploiter revient à menacer leur équilibre. Et il semblerait que l’équilibre soit sur le point d’être rétabli… de force s’il le faut.
Dans ce panorama, il n’est pas très étonnant que les seules héroïnes de la série soient des scientifiques : ce sont les seules protagonistes dont l’activité n’est pas de tirer quelque chose des océans, mais simplement d’en apprendre. Der Schwarm / The Swarm répète d’ailleurs plusieurs fois combien ce cliché selon lequel on connaît mieux l’espace que nos propres océans. Cependant, la série essaie aussi de poser des questions sur les applications de cette curiosité scientifique, et de rappeler que, parfois, même la recherche scientifique se prend les pieds dans les intérêts économiques. Ce n’est toutefois pas sa priorité, et dans l’ensemble la série est avant tout un thriller écologique, attirant l’attention des spectatrices sur les risques encourus par l’océan.

La saison, en revanche, prend tout son temps pour développer ses conclusions. Toooout son temps.
En incorporant de nouveaux visages (parfois assez tardivement, même, par exemple l’astrophysicienne Samantha Crowe). En offrant une importance croissante à des personnages très secondaires (comme le riche entrepreneur Aito Mifune). En s’arrêtant sur les déboires personnels des unes et des autres (et les amours contrariées des unes et des autres). En effleurant des sujets sociaux qu’elle n’a pas envie de développer, mais qui apparemment sont quand même plus importants que son intrigue en propre (comme par exemple quand Leon, jeune scientifique First Nation, a toute une conversation sur le racisme avec un personnage très secondaire ; et qu’on n’en reparle plus jamais du reste de la saison). C’est un peu curieux de jouer autant les prolongations, surtout quand cela nuit au rythme du thriller supposé sous-tendre l’intrigue principale.
Pendant ce temps, on ignore toujours pour quelle raison la vie marine, toutes espèces confondues, se rebelle contre l’Humanité. Est-on dans une configuration à la Zoo, dans laquelle une mutation est à l’origine de l’aggressivité des animaux ? Faut-il y voir la main d’une entité extraterrestre ? Alors, je sais que la recherche, c’est long, mais euh, bon…

C’est d’autant plus dramatique que, entre vous et moi, les intrigues secondaires sont totalement dispensables, et les traumatismes vécus par plusieurs des personnages sont vite oubliés (qui se souvient que Leon a perdu sa meilleure amie dans l’accident du bateau touristique ? pas lui, en tout cas). Il y aurait eu, en revanche, quelques choses intéressantes à dire sur le cynisme des autorités, effleuré comme avec hésitation par un maximum de trois scènes dans toute la saison, et pourtant un trope majeur des fictions sur une catastrophe. Le refus de la classe politique d’intervenir aurait trouvé tout son sens dans le propos écologique de la série, en plus ! Il y a une ligne de dialogue très prometteuse à ce sujet, quand les scientifiques tentent d’expliquer que les côtes deviennent inhabitables pour l’Humanité et que, horriblement, on leur rétorque que, bah, avec le changement climatique de toute façon on s’y attendait, donc pourquoi s’inquiéter ? Hélas, de ce potentiel, Der Schwarm / The Swarm ne fera rien, en tout cas pas dans cette première saison.
Cela sert juste de tremplin à ce bon Monsieur Mifune, un gentil milliardaire (j’arrive pas à croire que j’écris ces mots dans une même phrase), qui décide de financer entièrement de sa poche une expédition dans l’Arctique, et aura le culot de dire « I have made my fortune off the planet’s gifts […] and it’s my duty to repay the favor » comme si ce n’était pas en directe contradiction avec le propos écologique de la série. Présenté comme un allié indéfectible de la communauté scientifique déboutée par les autorités (…alors que pourtant, dans les premiers épisodes, son ingérence pouvait sembler suspecte), son rôle n’est pas franchement interrogé, si bien que le privé apparaît implicitement comme une solution tombée du ciel face aux vilains décideurs gouvernementaux (masculin volontaire).
Sauf que ça non plus, Der Schwarm / The Swarm ne veut pas en parler, parce que ça se passe au moment où, enfin, il commence à y avoir vraiment de l’action !

Vous le voyez, c’est un peu le bazar. Ce qui, notez bien, ne fait pas de Der Schwarm / The Swarm une mauvaise série. Sa distribution est solide, sa réalisation tient plutôt bien la route, la photographie n’est vraiment pas dégueulasse, certains décors naturels ont de quoi déboîter la mâchoire, les dialogues sont polyglottes (je suis curieuse de savoir comment la VF a géré ça, tiens, racontez-moi), et dans l’ensemble, c’est du bon divertissement grand public. Mais hélas, on ne va jamais au-delà. C’est triste quand même, de créer six heures de télévision sur les fonds marins, et de rester à la surface des choses… Pire encore, cette saison s’achève sur un cliffhanger un peu déroutant, alors qu’une saison 2 n’est absolument pas acquise pour le moment.
On a vu des choses bien pires être produites ou même co-produites par la télévision française ; mais de là à dire que nos six diffuseurs en ont eu pour leur argent, c’est moins sûr.

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