Le mois de juin n’est pas un moment de joie ; on peut y célébrer nos identités, mais il faut aussi l’employer à confronter ce qui est atroce dans nos histoires, et dans notre histoire commune. C’est visiblement le sens de la mise en ligne sur CBC Gem (la même plateforme à laquelle on doit déjà Sort Of) de la série Alter Boys, une série produite comme un petit film indépendant.
Son premier épisode est lent, et pourtant bref. Ses silences et ses ralentis étirent le temps, mais on y étouffe. On y suit principalement la perspective de Scotty Anderson, qui passe son deuxième été consécutif à CedarRidge, un camp logé au cœur d’une forêt du Manitoba où l’on pratique une thérapie de conversion .
Quand commence ce premier épisode, les jeunes de CedarRidge ont en réalité vécu deux formes d’Enfer : ils viennent d’être secourus par les autorités locales après que leur camp ait pris feu en pleine nuit. Encore couverts de suie et de cendres, et encore sous le choc, ils attendent chacun leur tour d’être auscultés par la médecin de garde ce soir-là. Scotty est, comme les autres, abruti par les événements des dernières heures, et en même temps son cerveau repasse à mille à l’heure le déroulé des faits. Ce soir-là, il a été le seul à se précipiter dans une cabane en feu, et à en tirer Harris, le conseiller du camp. Son bourreau. Il n’a pas complètement tiré au clair pourquoi. Par contre il sait qui il a laissé dans les flammes : le directeur du camp, Gibson, qui y a donc trouvé la mort.
Après l’examen médical (qui aurait pu avoir de bien pires conclusions), Scotty doit ensuite, comme ses camarades d’infortune Owen, Ben et Lucas, être interrogé par les autorités. Celles-ci prennent la forme de l’officier Olson, de la Manitoba Safety Alliance : le camp est en effet situé sur un territoire First Nations. Quelque chose que les garçons ne savaient pas ; amenés de force et dans le secret à CedarRidge, ils ignoraient même dans quelle région du pays ils se trouvaient.
Les questions pleuvent. Les garçons n’ont pas vraiment de réponse. Peut-être ne savent-ils pas comment l’incendie a commencé… peut-être le savent-ils mais ont-ils pire à raconter. Leur discours est émaillé de références voilées à ce qu’ils ont été forcés de vivre dans ce camp, jusqu’à ce que l’incendie n’interrompe les sévices. Ceux-ci ne sont pas nécessairement montrés dans le premier épisode d’Alter Boys, si cela peut vous rassurer, mais un flashback sur un entretien entre Scotty d’une part, avec Gibson et Harris d’autre part, se solde par suffisamment de violence psychologique et physique banalisée pour qu’on se fasse assez peu d’illusions.
Scotty passe de scène en scène comme un fantôme. Ce premier épisode est, de toute évidence, laconique quant à ce qui s’est réellement passé cette nuit-là, ou même les nuit précédentes. On ne nous dit pas vraiment non plus qui est le cinquième jeune homme, étendu dans un lit d’hôpital, auprès duquel Scotty vient s’étendre en fin d’épisode. Mais comme beaucoup de choses, on devine. Et on devine plus encore qu’Alter Boys finira par nous le dire, avec ses mots, au bon moment.
Alter Boys est un projet intime ; cela se sent non seulement à son propos mais aussi à sa forme. Quand une série a des dialogues trop écrits et des acteurs pas assez dirigés, pour moi ce n’est pas une question de qualité ou de défaut, c’est presque une preuve intrinsèque de sincérité de la part de Jonathan Lawrence (le scénariste, réalisateur, et accessoirement interprète de Scotty). Ajoutez à cela les plans contemplatifs et la voix-off omniprésente, et vous comprenez peut-être ce que j’entends par « production indépendante » ; d’ailleurs Alter Boys est apparemment basée sur un court-métrage du même nom. La parenté se sent.
De façon superficielle, Alter Boys peut sembler manquer de subtilité dans sa forme ; sur le fond, c’est toutefois exactement le genre de série qu’il faut regarder, particulièrement en ce mois de juin. Dommage que Netflix (qui pourtant avait soutenu le développement de la série dans le cadre d’un accélérateur conjoint avec CBC) n’ait pas l’air de proposer la série à l’international, mais ce sera peut-être le cas ultérieurement. Ce qui vous laisse le temps de trouver le courage de vous mettre devant.
Je me garde le titre de côté, ça a l’air bien. Pas facile pour le coeur, a priori, à te lire, mais intéressant. Bon comme d’hab, la liste est longue, mais je m’en vais le rajouter dessus^^ (faut toujours que je continue Der Greif… et From, du reste…)
Si ça peut aider, Alter Boys ce sont des épisodes d’une vingtaine de minutes…