À consommer avec modération

23 juin 2023 à 19:46

Cela faisait un petit bout de temps qu’on n’avait pas causé « séries d’appétit » dans les parages, alors autant revenir avec du lourd ! Wakako Zake est en effet l’une des séries japonaises les plus longues en son (étrange) genre ; bon, pas aussi longue que Kodoku no Gourmet qui détient de toute évidence le record, mais pas loin derrière. Dans un pays où l’immense majorité des séries ne durent qu’une saison, Wakako Zake en compte six, ce qui est une belle performance. Elle a la chance, comme beaucoup de « séries d’appétit », de pouvoir s’appuyer sur un manga de 13 volumes, et puis plus largement d’avoir un concept déclinable à l’envi. Mais elle a aussi, voire surtout, un petit quelque chose en plus.
Et ce petit quelque chose en plus… est précisément la raison pour laquelle je n’étais pas très attirée par elle, au départ. C’est que, voyez-vous, l’angle principal de la série pour suivre son héroïne Wakako dans de délicieuses aventures, est de la présenter comme une amatrice d’alcool.

Eh oui, la série d’appétit du jour serait plutôt une série de soif !

Wakako, une OL (« office lady« ) de 26 ans à la vie extrêmement banale, a un hobby… et ce hobby, c’est boire après le boulot. Oooh, she’s different
Le premier épisode de la série nous la présente au travail, remplissant des fichiers on ne sait pas trop sur quoi ni pourquoi, mais avec entrain : il est bientôt 17h, et l’heure c’est l’heure. Désireuse d’aller lever le coude dans la soirée, Wakako met les bouchées doubles sur son boulot pour avoir plus tard l’impression de mériter son petit remontant. Après avoir mis le paquet, elle est satisfaite d’avoir fini sa tâche en cours avant la fin de la journée… du moins jusqu’à ce qu’un supérieur l’approche, et lui confie une nouvelle tâche imprévue à finir avant le lendemain à 15h. Agacée par ce qui vient de lui tomber dessus sans prévenir, Wakako prend quand même ses jambes à son cou à 17h, et se met en quête d’un établissement où noyer son agacement.

Cette introduction est pliée en deux minutes, parce que contrairement à l’immense majorité des « séries d’appétit » (dont le format est généralement assez rigide à cet égard), à ma grande surprise, Wakako Zake n’a pas vraiment envie de construire un besoin : elle est toute à l’exploration de la satisfaction. Wakako trouve donc sans plus attendre le restaurant idéal, un petit endroit charmant qui se spécialise dans les grillades de poissons, et décide de sa commande.
Car oui, deuxième surprise, Wakako Zake n’est pas, comme je le craignais, juste une série de boisson ! Au contraire la série comme sa protagoniste mettent l’accent sur une question importante : si on veut boire un bon verre pour se détendre, quel est l’alcool qui va le mieux avec quel plat ? Pas question de simplement se murger. Après avoir hésité un peu, Wakako finit par commander un saumon grillé, et pour accompagner, un sake Kokken que lui recommande la serveuse. S’en suit, comme c’est la tradition dans les « séries d’appétit », une longue dégustation émerveillée et détaillée, la jeune femme s’absorbant dans la texture de son saumon (la peau craquante, la chair fondante…). Et, surtout, dans la façon dont son repas s’allie avec perfection à sa boisson ! Pendant qu’elle s’extasie, Wakako ne l’a pas remarqué, mais ses moues ravies font envie à son voisin de table qui finit par commander comme elle un saumon grillé. Sauf que, impardonnable impair, il n’a pas réalisé combien le sake était partie intégrante de ce régal, et n’en commande pas, ce qui a le don d’agacer Wakako lorsqu’elle s’en aperçoit. Pour évacuer sa frustration (les gens ne comprennent rien à l’importance d’un bon sake !), au sortir du restaurant, elle décide de ne pas rentrer chez elle… et embraye sur un second établissement.
Troisième surprise ! Voilà donc Wakako qui bientôt pousse la porte d’un autre bistrot, où elle commande un alcool différent, un sake Onekoete qu’on lui recommande (parce que ses notes plus légères plaisent d’ordinaire aux femmes). Cette fois, elle choisit les plats en fonction de l’alcool : d’abord, des asperges en entrée, puis un namerou, que le patron du restaurant lui prépare de bonne grâce alors que ça n’apparaît pas sur le menu. Ouais, l’air de rien le patron du second restaurant vient de nous faire un Shinya Shokudou ! Une seconde dégustation en découle, Wakako savourant avec joie les nuances de son namerou qui s’associe si bien à son sake… La soirée est plus calme dans ce lieu où elle se sent bien reçue, et où aucun autre client ne semble faire preuve de mauvais goût. Toutefois, alors que lui reviennent en mémoire les événements de la journée passée, elle se sent un peu gênée lorsqu’elle réalise qu’elle vient de faire au restaurateur la même chose que son propre supérieur un peu plus tôt, avec une commande imprévue. Toutefois, Wakako réalise que personne ne lui en tient rigueur, et implicitement, le patron la réinvite même à revenir tester d’autres sake dans le futur. Des sake qui n’apparaissent pas sur le menu, en plus !
Le fait que la soirée soit délicieuse (et alcoolisée, et associée à la joie d’avoir découvert un chouette resto, et ponctuée par la réalisation qu’une commande imprévue peut avoir des bons côtés), finit de réconcilier Wakako avec sa journée de travail du lendemain. Surtout avec cette fameuse tâche qu’elle doit finir avant 15h. Mais qui, avec le recul d’une soirée détendue, n’a plus l’air si grave, finalement. Tout est bien qui finit bien.

J’ai de toute évidence pris la liberté de vous raconter tout l’épisode parce que, bon, déjà, franchement, le suspense est la dernière chose qu’on attend d’une série de ce type. On se doutait plus ou moins, parce qu’après tout ce sont les règles du genre de la « série d’appétit », qu’une soirée passée à se régaler allait conduire Wakako à faire la paix avec quelque chose, et ici l’épisode a clairement mis en place un conflit dans sa vie professionnelle. C’est une démarche voisine de celle que j’avais décrite, d’ailleurs, dans ma review de Gohoubi Gohan (dont la diffusion est postérieure à celle de Wakako Zake), n’hésitez pas à aller y jeter un oeil.

Toutefois, le but de ce résumé d’épisode est aussi de vous décrire, au fil de mes surprises successives, ce qui fait la force de Wakako Zake dans sa catégorie. Il s’agit résolument d’une série sur la consommation d’alcool, mais ici, ce qui sert de moteur à l’équation « alcool = détente », ce n’est pas le volume d’alcool consommé… et ce n’est même pas non plus l’ivresse. Or c’était vraiment ce qui m’avait tenue éloignée de la série toutes ces années !
Au contraire ici, l’idée d’avoir trouvé la combinaison parfaite sous-tend les deux longues séquences de dégustation de ce premier épisode. Comme Wakako le fait remarquer, elle ne boit pas pour oublier : elle boit pour remarquer. C’est-à-dire que l’alcool réhausse le goût de certains plats, et de la même façon, réhausse certaines expériences. En un sens, cela pourrait se produire avec n’importe quelle autre pratique de relaxation, le fait qu’il s’agisse d’alcool est un peu accessoire. Ce qui compte, c’est la ritualisation (sortir à 17h pile et se mettre immédiatement en quête d’un restaurant approprié), l’environnement (un petit restaurant chaleureux où elle peut échanger avec les employées et se détendre), la découverte (elle ne connaît aucun des deux sake qui lui sont servis ce soir-là), et la joie de trouver la parfaite combinaison (l’alcool choisi doit être délicieux seul, mais ne s’envisage vraiment que couplé avec un plat assorti). Ce n’est qu’une fois toutes ces étapes franchies que Wakako Zake délivre à son héroïne la satisfaction promise par le genre tout entier de la « série d’appétit », ici matérialisé par une acceptation des petites frustrations du quotidien professionnel.

J’ai été frappée par les choix opérés ici, quant à la représentation du rapport à l’alcool. Wakako Zake met un point d’honneur à ce que la consommation dépeinte ne soit pas excessive, et à ce qu’elle trouve un sens gustatif. La série insiste aussi sur la façon dont c’est une expérience certes solitaire (Wakako ne sort pas avec ses collègues après le travail), mais aussi collaborative (dans les deux restaurants de cet épisode, elle suit les recommandations du personnel) ; il ne s’agit pas d’être seule face à son verre, pas vraiment, quand bien même l’expérience relève de l’intime. Et enfin, voire surtout, l’ivresse n’est donc pas du tout le but recherché… non plus que la résistance à l’ivresse ; il ne s’agit pas de tester ses limites. Wakako ne se pose pas la question de « tenir » plus ou moins bien l’alcool, vu les quantités relativement raisonnables ingurgitées (un verre dans le premier resto, et un petit pichet dans le second). Il n’y a rien à prouver.
Wakako Zake offre un modèle de consommation d’alcool plaisant mais raisonné. On n’y boit pas nécessairement moins, mais on y boit mieux.

Au fil des mes (nombreuses !) explorations des « séries d’appétit », j’ai souvent eu l’occasion de vous dire combien ces séries, qui dépeignent diverses protagonistes représentant toutes sortes de groupes de la société japonaise, représentent un discours important sur la place de la nourriture dans nos vies. Manger est un acte non seulement banal, mais aussi quelque chose de complexe, un geste intime, culturel, et social. Aussi les « séries d’appétit » détaillent, par des intrigues procédurales et en apparence simplistes, des relations à la nourriture qui traduisent la complexité de notre relation à la bouffe. La bonne bouffe, la malbouffe, les plats qu’on cuisine seule, les plats qu’on déguste ensemble… Que dit de nous ce que nous mangeons ?
Wakako Zake fait ici exactement le même travail… camouflé derrière la structure procédurale du genre, avec ce qu’elle implique de dialogue interne, et de descriptions méticuleuses de chaque mets savouré. Sauf qu’ici, les mets sont aussi liquides, voilà tout. Mais la complexité est la même.
Sur ce, bon vendredi soir…

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2 commentaires

  1. Amanda dit :

    I feel like there is a new focus in office dramas where they are saying work so you can enjoy life and go about your real business of living. I like that this shows her focusing on the things she enjoys and that she can look at work stress better on a full belly and a good night’s sleep

  2. Mila dit :

    Entre deux quêtes de Witcher, je viens lire cet article, et puis c’est d’occasion: je bois une bière, ce qui m’arrive environ tous les six mois ! Et comme ton héroïne, c’est pas pour me saouler… encore que ce ne soit pas, comme elle, pour vraiment apprécier la saveur d’un repas, c’est plus parce qu’il fait hyper chaud et qu’il n’y avait que cela au frigo. Certes.

    Je comprends que tu sois restée un certain temps loin de la série. C’est vrai, qu’en plus (pas qu’en France on n’ait pas une culture de l’alcool qui prête à lever le sourcil) au Japon, y a (d’après visionnages et retours de personnes qui y ont vécu, pas une étude poussée, donc) une culture du « se saouler » après le travail qui aurait pu faire craindre le pire. Je suis contente qu’à la place tu aies eu une agréable surprise !

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