What’s your blood type ? I’m blue

12 mai 2023 à 8:19

Avec le retour aujourd’hui de The Great pour une saison 3, me voilà à vous rappeler qu’il s’agit d’une des meilleures séries « historiques » de ces dernières années, et que, si ce n’est pas encore fait, ce ne serait pas la pire idée que de jeter un oeil à cette dramédie. Cependant, comme on ne poste pas tout un article sur la base d’un simple « mais regardez The Great, bon sang de bois ! », je me suis dit que le mieux c’était encore de vous parler de la saison 2. Pour celles d’entre vous qui auraient loupé le coche, rappelons en effet que l’an dernier, j’ai déjà posté une review de la saison 1 ; l’air de rien il y a une méthode derrière le chaos.

En moins d’un an, je suis passée de « mouaif, je sais pas si je regarderai The Great un jour » à un sincère « c’est l’une de mes séries préférées », à la faveur d’un visionnage enthousiaste initial et (déjà !) de deux revisionnages intégraux depuis. Ce mélange un peu dingue de dramédie excessive, de personnages finement ciselés, et de propos politique complexe me ravit, tout simplement. The Great est profondément intelligente, mais d’une intelligence qui ne se prend pas au sérieux : c’est de ce bois dont les meilleures séries sont faites à mes yeux. Elle est aussi très attentive à toujours garder son intrigue en mouvement, quelque chose de perceptible dés la première saison (surtout vu sa conclusion), mais encore plus palpable dans cette deuxième cuvée, comme vous allez le constater. Il lui serait si facile de faire du sur-place et laisser des intrigues simplement exploiter son univers déjanté, mais non : The Great est, à l’image de son héroïne, toujours à l’affût de ce qui pourrait venir après.
Le thème de cette nouvelle saison ? Le temps est venu pour Catherine de régner… et évidemment de se heurter à ce bon vieux principe de réalité. Les grands idéaux un rien utopistes de l’impératrice sont-ils réalisables ? Peut-elle changer la Russie, et en faire un empire moderne ? Peut-elle poursuivre son but intellectuel et politique sans être perturbée, alors que Peter est son prisonnier, au sein-même de son palais ? Rien n’est moins sûr.

Par l’effet d’une cruelle mais accidentelle prophétie, Catherine avait précédemment promis à Leo : « All I wish is to hold Russia in one hand and you in the other« … et c’est hélas ce qui se produit dans l’épisode qui ouvre cette nouvelle saison. Après une guerre civile de plusieurs mois, vécue principalement dans le palais de St Petersbourg, Catherine et Peter finissent par enfin trouver un terrain d’entente. Ou plutôt, Catherine obtient ce qu’elle veut après que Peter, cet imbécile, ait tenté de fuir le palais et se trouve tellement affamé (surtout vu le foodie qu’il se trouve être !) qu’il cède le pays en échange d’un buffet improvisé. Peter ayant abdiqué, Catherine semble victorieuse… jusqu’à ce que la tête de Leo, dont elle espérait secrètement qu’il soit toujours vivant, lui soit remise dans la minute qui suit.
The Great n’a pas l’intention de laisser oublier à Catherine ce qu’elle a fait au nom de la couronne. Certes, elle s’est convaincue que ce n’est pas par attrait pour le pouvoir, mais par sens des responsabilités et par amour pour la Russie, qu’elle s’est saisie du trône… mais même en rationnalisant les choses, rien n’efface la douleur d’avoir signé l’arrêt de mort de son premier amour. Une bonne partie de la saison baigne dans ce deuil que la jeune femme doit faire alors même qu’elle apprend aussi les réalités d’un règne, et qu’en plus… eh bien, rappelons qu’elle est enceinte de son premier enfant, quoi. Voilà qui fait beaucoup.

En plus, l’horloge tourne : la naissance imminente de Paul annonce que les dynamiques du pouvoir vont encore bouger prochainement, ce qui chez The Great se révèle, comme je vous le disais, être une caractéristique : l’intrigue est toujours en mouvement. La naissance imminente d’un fils, et donc d’un héritier pour la dynastie de Peter The Great, pourrait convaincre les opposantes à Catherine de lancer une nouvelle offensive contre elle. D’ailleurs, même si elle ne s’en rend pas compte, la fronde a déjà commencé !
Dans les appartements où Peter est consigné, il a droit aux visites de ses amies les plus fidèles : sa maîtresse principale Georgina Dymova, bien-sûr, son ami d’enfance Grigor Dymov, et dans une moindre mesure Arkady et Tatyana. En petit comité, on commence à s’y demander comment renverser l’impératrice et restaurer l’empereur, même si c’est plus par loyauté que par soucis pour le bien commun. Les plans de tout ce petit monde sont pourtant fragiles : Georgina demande à Catherine de l’exiler hors de Russie, pensant se protéger ainsi que son époux Grigor (pas de chance, celui-ci fait le choix de rester auprès de Peter), Arkady et Tatyana sont arrivistes mais incapables, et… même Peter n’est qu’à moitié convaincu. Il faut dire qu’il est totalement amoureux de son impératrice d’épouse, et une grande partie de la saison 2 de The Great veut d’ailleurs explorer les contours de cet amour, sa véracité, ses contradictions.
Le personnage devient plus riche, acquiert des dimensions supplémentaires. Le rituel des petits déjeuners (la seule condition qu’il a posée à son abdication) l’oblige à se confronter à Catherine, à échanger avec elle aussi bien sur le plan de la légèreté que sur la complexité de leur relation (un peu comme les dîners du vendredi soir dans Gilmore Girls). Il y a en Peter une réelle volonté de travailler sur lui-même, et il semble petit-à-petit mieux comprendre ses propres limites ; The Great étudie son cheminement intérieur, et teste la sincérité de son changement. Elle semble aussi, imperceptiblement, continuer d’explorer la question de sa masculinité, qui même si les inclinations naturelles de Peter se contredisent parfois (violence extrême ET préciosité assumée) semblent peut-être indiquer que Peter est plus heureux quand il s’adonne à ce qui l’amuse ou l’excite, comme la nourriture, plutôt que lorsqu’il joue les bonhommes virils. En parallèle, il développe une intelligence stratégique rarement vue jusqu’à présent (et écoute mieux les conseils qu’on lui donne, aussi, notamment d’Elizabeth), et fait même le meilleur discours politique de sa vie alors qu’il est en captivité ! Sa joie pour la paternité, qu’il prend de plus en plus au sérieux et qu’il interroge d’autant plus qu’il semble mieux accepter que le rapport qu’il entretenait avec ses parents était néfaste, prend aussi une place intéressante qui termine de donner de la substance au personnage, a fortiori parce que même ses proches la trouvent souvent étrange. Tout ça sans jamais l’éloigner de son rôle d’olibrius obsédé par la bonne bouffe, le sexe et la violence, qui restent dans sa nature mais qu’il semble dompter comme jamais. Dompter… mais pas totalement abandonner ? C’est là tout le défi.

Pendant ce temps, Catherine prend les commandes de la Russie. Et ça marche moyen.
Pourtant, le changement, c’est maintenant : la jeune impératrice a conscience qu’elle a devant elle une opportunité inédite d’imprimer du changement, aussi bien dans les affaires de la cour que celles du pays au sens large. Cela commence par l’établissement d’un conseil moins patriarcal, les fidèles conseillers Velementov et Orlo étant forcés à faire un pas de côté au profit de Marial et surtout d’Elizabeth.
Celle-ci arrive à se rendre finement incontournable pour Catherine, d’abord en l’aidant dans sa grossesse, puis dans ses cas de conscience avec Peter, et finalement dans les affaires de l’empire. Et pourtant elle est aussi imprévisible ; la gentille tante est, l’air de rien, une joueuse de talent lorsqu’il s’agit de politique ! Elle a su se mettre à l’écart le temps que la guerre civile trouve une issue, elle a su se rapprocher de Catherine, elle a su l’influencer vis-à-vis de Peter, et même avec son propre neveu, on ne sait pas toujours si elle ménage les sentiments de Peter comme un enfant, ou si elle prépare vraiment un plan B. Elle n’est pas tombée de la dernière pluie. Il y a clairement des moments pendant lesquels elle semble apprécier le pouvoir de suggestion qu’elle a acquis sous le règne de Catherine, et que c’est une promotion pour elle par rapport à ce que Peter lui laissait, c’est-à-dire le royaume de la luxure et de l’absurde. Mais son soutien à Catherine est intéressant, et apparaît comme sincère, parce qu’il passe par un conseil avisé (Elizabeth est très attentive à la survie de la dynastie, outre son lourd traumatisme vis-à-vis des enfants) différent de celui de Marial.
Cette dernière, qui plus est, est redevenue une dame de la cour, et à ce titre n’est plus autant en lien avec l’impératrice. Marial, si elle s’inquiète du pardon de son amie après l’avoir « trahie » en fin de saison 1, n’est en réalité pas intéressée par la politique ni le pays, et même pas vraiment par l’influence qu’elle pourrait avoir à la cour. Tout ce qui l’intéresse, c’est son statut et son confort matériel, et d’ailleurs ceux-ci ne sont pas encore tout-à-fait assurés, puisqu’elle devra arranger un mariage pour éviter de se retrouver dénuée de tout à la mort de son père (les femmes ne pouvant légalement pas hériter). Pour Marial, les solutions sont individuelles, jamais systémiques, et seule son affection sincère pour Catherine lui offre de la rédemption. Mais pour combien de temps encore ? Son réalisme est voué à clasher avec celui de son amie, et sa prise de conscience des horreurs de la servitude (illustrée par le tragique épisode avec la vieille serve « Shaky ») reste limitée. Elle ne s’inscrit pas dans les principes de Catherine, et ce n’est qu’une question de temps avant que les tensions entre elles ne deviennent inévitables. Gageons que ça ne va pas s’arranger dans la troisième saison d’ailleurs…
Vous le voyez, cette saison 2 rebat les cartes, à la fois dans les questions politiques et dans les dynamiques personnelles des protagonistes. On se retrouve ainsi à obliger Catherine et « Archie » à interagir différemment, développant, toutes proportions gardées, un certain respect mutuel pour la foi l’une de l’autre, même si ce n’est pas la foi en la même chose. Pareil pour Velementov, dont on aborde une facette différente de la torture intime face à la guerre et l’inaction, ainsi que la lente désillusion face à la politique internationale menée par Catherine. La série continue d’explorer sa relation de père de substitution avec Peter, aussi, et rend Velementov touchant à plusieurs occasions (c’est une belle saison pour son interprète Douglas Hodge). Orlo, autrefois conseiller pleutre, commence aujourd’hui à se poser des questions sur son investissement aux côtés de Catherine, tout en réprouvant le chantage dont il est la victime par son oncle, un nobliau de région qui lui extorque toutes sortes de bienfaits ; lui aussi déchante sur ce nouveau règne, après avoir été le premier à la cour à soutenir Catherine.
Mon seul bémol ? Je m’attendais à plus d’interactions entre l’impératrice et Georgina, et à une bascule dans leur dynamique, mais les deux femmes n’interagissent que très peu ; l’exil de Georgina n’arrange rien. En courtisane avisée, l’ex-maîtresse de l’empereur sait qu’elle n’a pas sa place à la cour à cause de sa loyauté à Peter, et Catherine n’a pas besoin d’elle ; aussi elle réclame un exil dont elle pense qu’il lui permettra de trouver une nouvelle stratégie depuis l’étranger avec Grigor. Quand celui-ci décide de ne pas la suivre, la voilà un peu désarçonnée, mais elle finit par revenir après un séjour en France, ce qui semble augurer de choses plus intéressantes pour le personnage en troisième saison. Tant mieux, il a du potentiel car, comme dirait Catherine, Georgina ne sait pas qu’ouvrir les jambes (« did you just call me a dumb whore ? »… « I more implied a smart whore« ). On aurait bien besoin d’en voir de nouvelles démonstrations maintenant que le pouvoir a changé de main.
Reste que pour The Great, le ver est dans la pomme, et ces ingrédients commencent à semer la discorde ; gageons que ça ne s’arrangera pas en saison 3 vu certains des éléments mis en place.

En attendant, la série poursuit son discours sur le progressisme et le changement, l’heure étant au parpaing de la réalité sur la tartelette aux fraises des illusions politiques. « There is no such thing as comfortable progress« , nous dira-t-on, mais les personnages qui le disent ne le croient plus qu’à moitié…
Cela s’illustre par exemple par le problème de la libération des serfs. L’impératrice se réjouit de cette décision humaniste (…quoique prise sous la pression), mais se confronte aux faits : la noblesse russe est vent debout contre cette mesure, et au bord de la révolte. Plus que des compromis, Catherine doit finalement affronter une défaite et reculer après avoir essayé d’imprimer un changement conséquent.
The Great n’a pas fini d’interroger l’idéalisme et la naïveté de son héroïne !
Maintenant qu’elle a acquis le pouvoir, c’est même tout un nouveau pan de la problématique que la série peut aborder. Cela passe par exemple par l’apparition de sa mère Joanna, venue lui rendre visite et lui rappelant le regard que beaucoup posent sur le règne de l’impératrice (je n’entre pas dans les détails de l’intrigue ici, mais sachez que l’apparition en guest de Gillian Anderson dans The Great est un cadeau tombé du ciel). Catherine est renvoyée à ce qu’elle est aussi, c’est-à-dire une jeune femme tout juste sortie de l’adolescence aux grandes idées mais pas vraiment capable de les concrétiser ; on le sait depuis la saison précédente, mais c’est une nouvelle façon de penser le problème. On la verra aussi mettre en place l’éducation des jeunes filles de la cour, avant de se prendre des remarques de la part de la jeune génération qu’elle est trop molle et n’accomplit rien de ce qu’elle promettait initialement. Si ses conseillers (masculin volontaire) les plus proches commencent à perdre la foi, celle de Catherine elle-même est donc testée, notamment dans les affaires internationales, avec le sultan ottoman. Se débattant pour garder le contrôle des événements avec diplomatie, la jeune impératrice devra finalement sacrifier ses idéaux, et assassiner elle-même son opposant. La saison ne le souligne pas beaucoup, mais il est intéressant de noter que là où Orlo était en conflit avec lui-même après avoir tué quelqu’un dans la saison 1, furieux d’avoir ôté la vie quand cela va à l’encontre de ses principes… Catherine, elle, le vit plutôt bien, dans l’ensemble. Les circonstances ne sont pourtant pas tellement différentes (le sultan était sur le point de la tuer, elle était en état de légitime défense), mais Catherine n’affiche aucune forme de doute quant à la portée de son action, elle qui il y a quelques épisodes encore jurait que chaque vie était importante. Pire encore, elle commence à envisager sérieusement d’exécuter Peter, après avoir finalement eu vent de sa responsabilité dans la mort de sa mère Joanna…

Au-delà de la politique (et de l’action politique plus que des intrigues de cour, très souvent), The Great continue aussi d’être un excellent drama. On peut rire de ses excès, de ses excellents dialogues, de ses idées parfois allumées. Mais au final la série excelle à explorer et développer ses personnages, à décliner leur potentiel en des intrigues complexes, émouvantes. Le deuil de Catherine après la mort de Leo, la déception d’une large partie de son entourage, sa propre déconvenue et crise de confiance en soi, le deuil insondable d’Elizabeth, la crise de foi d’Archie… la série arpente des chemins douloureux alors qu’elle pourrait se contenter de la satire.
Cette saison, plus encore que la précédente (mais en utilisant les graines alors plantées), tient un discours formidable sur le rapport à des parents maltraitants ou toxiques, notamment. Catherine est prise de crises d’angoisse et d’urticaire, dont on comprend à demi-mots qu’elle était coutumière avant d’arriver en Russie, et qui réapparaissent à l’arrivée de Joanna en Russie. Elle tente d’impressionner une mère… qui ne le sera jamais, ou du moins pas par ce qui compte. Lorsque Catherine réalise que Joanna, avec laquelle elle pense avoir une relation si aimante et parfaite (qui se manifeste par toutes sortes de private jokes, notamment), la méprise en réalité, et la considère comme une déception, c’est violent. Cette réalisation dévastatrice que nos parents ne sont pas toujours telles qu’on les croyait, ou, pire, telles qu’on les espérait, c’est une grande part de ce qui se dit dans cette saison.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que cet échange entre Catherine et sa mère ait lieu dans le même épisode que la vision de Peter de son défunt père. Depuis la première saison, on sait que la mère de Peter était odieuse avec lui, l’effrayait, le diminuait ; on en a de nouvelles expressions ici alors que Peter commence à ouvrir les yeux et même rejeter ses modèles parentaux (même si la momie de sa mère est détruite par accident, le symbole demeure !). Devenir parent a parfois cet effet aussi…
Il y a dans The Great un propos en fil rouge sur la maltraitance émotionnelle et parfois physique, dont on ne parle pas assez lorsqu’on traite de la série. Il faut dire qu’il se joue beaucoup, beaucoup de choses dans ces saisons denses en diable ! Mais pour moi, ces instants cathartiques sont aussi un incroyable cadeau, en plus du reste.

Pour toutes ces raisons, The Great s’est hissée parmi mes séries favorites de ces dernières années ; tous ses aspects ne parleront, de toute évidence, pas à tout le monde, et pas au même degré. Mais il s’y dit et il s’y passe tant de choses, que je persiste à croire que nulle spectatrice ne saurait résister à son charme. Pourvu de lui donner une chance…
Et maintenant, j’ai ENFIN des épisodes inédits à déguster… ou, me connaissant, à dévorer avec joie puis à revisionner 712 fois d’ici la fin de l’année. C’est en tout cas tout le mal que je me souhaite.

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