Jamais à court de bonnes idées en ce qui concerne sa programmation internationale, arte a décidé de lancer ce soir la série israélienne Manayek, initialement proposée en 2020 dans son pays natal et comptant à présent deux saisons. Le plus intéressant au sujet de sa diffusion originale étant probablement qu’il s’agit d’une série de la télévision publique Kan11.
Si la diffusion française me laisse un peu dubitative (cette première saison de 10 épisodes est diffusée en deux soirées seulement… apparemment seules les insomniaques regardent arte), en revanche je l’applaudis sur le principe, parce que ça fait des mois que le premier épisode de Manayek roupillait sur un coin de disque dur ! Voilà qui me donne donc l’impulsion nécessaire non seulement pour me mettre devant, mais aussi pour vous en parler ; Manayek entre ainsi dans le cercle fermé des séries policières dont je parle encore dans ces colonnes. Il faut dire que, un peu comme Antidisturbios en Espagne (la même année, d’ailleurs), Manayek est autant une série SUR la police qu’une série policière, en fait.
Et pourtant, l’intrigue démarre lentement. Nous faisons d’abord la connaissance d’Izzy Bachar, un ancien policier qui travaille désormais aux « affaires internes », qui n’ont d’ailleurs d’internes que le nom vu qu’elles sont placées sous l’autorité du ministère de la Justice (quand la police, elle, dépend du ministère de la Sécurité nationale), afin d’éviter tout conflit d’interêt. En fait, à l’entendre, même là il est encore trop proche de la police, et, poussé vers la sortie, Izzy s’apprête à prendre sa retraite à 50 ans.
Mais pour le moment, on n’y est pas encore, et lorsque Manayek démarre, Izzy assiste avec sa compagne Eti au pot de départ à la retraite de Dudu Eini, directeur de la police. Tout le gratin du poulet est présent pour assister à la fête… et c’est ça, que Manayek veut nous dire. Que tout le monde se connaît. Qu’on a fait ses classes ensemble, comme Izzy et son meilleur pote Barak Harel. Qu’on a bossé ensemble. Qu’on a couché ensemble. Qu’on s’est fritté, aussi, parfois. Mais au bout du compte, on fait toutes partie de la même maison poulaga, et c’est plus fort que tout le reste. D’ailleurs, pour beaucoup qui sont là ce soir, c’est réellement une affaire de famille : on se marie entre flics, et les enfants grandissent pour entrer dans la police plus tard.
Izzy, toutefois, n’est pas à l’aise (et pas uniquement parce qu’il a arrêté de fumer). Il sait qu’il n’est pas autant à sa place ici que ses amies veulent bien lui dire. Certains comme Shaul Katz, qui devrait prochainement devenir directeur de la police à la place du directeur de la police, ne cachent pas leur mépris pour quelqu’un comme lui, même si c’est sous couvert de blagues ; et c’est sans parler des collègues qui font mine de rien. Bref, Manayek dresse le portrait d’une police du réseautage, hostile à tout ce qui est perçu, individuellement et donc collectivement, comme une menace. Et ça, c’est capital pour la suite.
Pendant la fête, à quelques kilomètres de là à Bat Yam, une exécution a lieu à la terrasse d’un café… et le tueur, vite arrêté, s’avère être un flic. Eliran Chen semble à la fois résigné et terrifié, et confie à Izzy, chargé d’enquêter sur son cas, avoir des informations compromettantes sur son supérieur… Barak Harel.
Après avoir établi l’intégrité d’Izzy (un peu un cop out, si vous me pardonnez ce jeu de mots), Manayek lui donne l’opportunité de prouver qu’il va éviter le conflit d’intérêt, à la fois auprès de sa hiérarchie (il se défausse de l’affaire, qui est reprise par l’enquêtrice Ronit Meinzer et son partenaire), et auprès de nous, quand Barak l’appelle pour innocemment demander si Izzy a eu vent de l’arrestation d’Eliran, et qu’Izzy fait mine de n’être pas bien au courant de l’affaire. Pourtant c’est bien-sûr cette même intégrité qui est le nœud dramatique de la série : comment douter de cet homme qu’Izzy connaît comme un frère, et qui serait, apparemment, en lice avec l’un des plus grands syndicats du crime de Tel Aviv ? Eliran raconte-t-il n’importe quoi pour obtenir l’immunité ? …Ou Izzy est-il, finalement comme n’importe quel autre flic, enclin à protéger les siens au mépris de la vérité ? C’est un dilemme forcément inconfortable quand on tire de la fierté de sa droiture morale.
Pire encore, l’intégrité d’Izzy commence à être remise en question par sa propre hiérarchie, sur l’initiative de Ronit qui veut qu’on le mette quand même sur le dossier Barak, histoire de vérifier s’il procède à des fuites.
Par de nombreux aspects, ce premier épisode de Manayek pose des bases similaires à celles d’Antidisturbios (à laquelle il est vraiment TRES difficile de ne pas penser pendant ce premier épisode). Une affaire très secondaire est ainsi employée pour nous présenter à la fois les vertus morales d’Izzy, et la collusion qui existe dans le milieu policier : le beau-fils de Shaul, également flic, a tabassé un ado arabe de 15 ans quelques mois plus tôt, et malgré l’enquête d’Izzy ainsi que l’implication de la mère de la victime, le jeune policier s’en sort avec une tape sur les doigts, et encore. Les instructions seraient venues de plus haut, semble-t-il. Cette violence parfaitement assumée et couverte est ainsi similaire, et sert vraiment à planter le décor ; je ne pense pas qu’il s’agisse vraiment d’un fil rouge important par la suite. En revanche cela pose les bases d’un univers où Izzy ne fait pas le poids contre le système, qui protège les flics, y compris les pommes pourries. Et d’ailleurs on a un peu le sentiment qu’il y a, dans Manayek aussi, un discours sur les pommes pourries, de par le métier-même d’Izzy et le regard qu’il pose sur ses anciens collègues.
…Toutefois, Manayek semble un peu moins reculer devant l’obstacle qu’Antidisturbios. Pas tant dans ce qui se déroule pour le moment, que dans ce qui se dit. Par des touches subtiles mais multiples, le premier épisode insiste sur la façon dont le corps de police fait bloc contre tout ce qui menace certains individus (peu importe de quoi ils se sont rendus coupables, preuve à l’appui pourtant) au prétexte de maintenir la réputation de l’institution dans son ensemble. Il y a une critique qui se prépare, assez cinglante, qui apparaît comme plus poussée que dans la série espagnole.
Et très franchement, c’est exactement le genre de série policière qu’on réclamait en 2020.
Le sujet me fait un peu penser à la série Bosch d’Amazon Prime. Il y avait eu plusieurs intrigues sur le fait que le système policier est pourri :
– d’une part les flics qui se soutiennent et se couvrent tous entre eux, et n’hésitent pas à faire de faux témoignages ou faire disparaître des preuves/ témoins. Il y a eu notamment toute une saison (avant #BlackLivesMatter), où Harry Bosch essaye de prouver que des policiers ont torturé un homme noir en l’ « interrogeant » puis tué son avocat. La série montre aussi les représailles contre les flics qui en dénoncent d’autres ou essayent de changer les choses.
– d’autre part les liens entre la police et la politique, la corruption qu’il peut y avoir etc.
J’avais rarement vu ça dans une série policière américaine (bon, j’en regarde pas des masses non plus), et j’avais vraiment apprécié de voir la série critiquer le système (même si ce n’est pas son sujet principal, et que la plupart du temps elle propose des intrigues/enquêtes plus « classiques »)
Je jetterai un œil à Manayek !
Tiens, j’avais eu la flemme de regarder Bosch, et c’est la première fois que j’entends ça à son sujet. Vais ptet me raviser et y jeter un oeil, du coup !
Sinon comme autre série qui a (en partie) abordé le sujet, il y a Brooklyn South (également en recommandation de cette review de Manayek). Mais ce n’était qu’une des storylines.
Pas sûre que ce soit présent dès le début de la série (je me souviens plus trop, il y a 7 saisons), et tant que j’y pense : Trigger Warning sur la saison 1, ça parle d’enfants victimes de violences.
Ah je n’ai pas vu Brooklyn South non plus, je vais aller lire ton article.