Les grandes vacances sont finies, et c’est le jour de la rentrée pour Victoire, une jeune fille de 17 ans qui entre en 1ère. Ce n’est toutefois une rentrée comme une autre : l’adolescente intègre le même lycée que son grand-frère, Théo, qui suit ses cours au lycée Toulouse-Lautrec. L’établissement est spécialisé dans l’accueil à la fois pédagogique et médical de lycéennes handicapées, tout en accueillant également des étudiantes valides.
Victoire considère n’être pas à sa place dans cette école.
Ce sont que vous entendez, ce sont mes dents qui crissent alors que se resserre ma mâchoire à l’idée de regarder Lycée Toulouse-Lautrec, une série parlant de handicap. Plus encore quand sa créatrice (une femme valide) lance des expressions crispantes comme « J’avais cette envie, peut-être utopique, de faire changer le regard sur le handicap » lors d’interviews. Et, pardon de le dire, mais c’est une co-production TFHein (avec la RTBF, certes), chose qui, euh, bon. Il n’y a pas que du très mauvais sur cette chaîne, mais on se sait. La prudence était, a minima, de mise.
Lycée Toulouse-Lautrec part en outre avec un défi supplémentaire : celui de convaincre qu’elle a pour but de faire autre chose que de l’able gaze, son personnage central étant en effet une adolescente valide. Le présupposé, comme souvent dans ce genre de circonstances, est que les spectatrices vont s’identifier en premier lieu à l’héroïne (à laquelle il brûle d’employer le terme « normale » pour se définir elle-même)… avant d’envisager éventuellement de s’intéresser à l’intériorité des protagonistes handicapées, qui sont secondaires.
Je veux dire, regardez-moi ce matériel promotionnel, quoi : les 4 personnes les plus grandes sur l’affiche sont les personnes valides, les 5 autres (pourtant plus nombreuses et, en plus, dont dépend le synopsis de la série) sont entassées en arrière-plan…
Ouais, c’est pas gagné. Et il y a encore des moments, disons, compliqués, dans ce premier épisode.
En cause : le choix de perspective, bien-sûr, additionné à la perspective limitée typique de la tranche d’âge dont il s’agit.
Victoire débarque pour sa première journée dans son nouveau lycée… et passe le plus clair de son temps à se plaindre que sa vraie vie est dans son ancien lycée (le changement d’établissement est la conséquence d’un déménagement faisant suite au divorce de ses parents, ce qui n’arrange rien…). On la verra à plusieurs reprises essayer de contacter ses copines et son petit-ami, se raccrochant aux relations établies plutôt qu’essayant d’en établir de nouvelles. La voix-off vient renforcer cette perspective, hélas sans y ajouter grand’chose qui ne se dise déjà à l’écran : le monde entier s’est ligué contre Victoire pour ruiner sa vie. L’épisode passe pas mal de temps à la suivre, boudant d’une scène à l’autre, roulant des yeux, poussant des soupirs exaspérés quand il lui faut interagir avec qui que ce soit.
Lycée Toulouse-Lautrec met évidemment en place les mécanismes qui annoncent la « leçon de vie » qu’elle s’apprête à recevoir : les autres élèves sont des adolescentes comme les autres, avec des personnalités variées, et ce qui change est surtout leurs besoins en terme d’assistance au quotidien, ou sur un plan médical. Victoire va devoir le réaliser si elle ne veut pas passer toute une année scolaire dans une humeur exécrable… ou, pire, au ban de la micro-société du lycée. Hélas, ses choix pour le moment ne sont pas vraiment prometteurs, entre sa réaction ulcérée en apprenant qu’une binôme lui a été attribuée (Marie-Antoinette, qu’elle doit assister au quotidien), son incapacité à saisir l’ampleur des responsabilités que cela représente… ou encore le moment charnière pendant lequel elle choisit de partager une video prise d’un élève s’étouffant à la cantine, avec un hashtag du plus mauvais goût. Tout cela, évidemment, conduit à des regards encore plus désapprobateurs de la part de son entourage (camarades de classe, proviseur, mais aussi son propre frère). Tout indique qu’à leur contact, Victoire finira par comprendre que son attitude est intolérable, et qu’il lui faudra faire mieux…
…Dans ce premier épisode, on n’en est pas encore là. Lycée Toulouse-Lautrec insiste au contraire sur la façon dont le regard des autres est perçu par l’adolescente, qui continue de se voir comme une victime. Pour elle, il est certain qu’elle est victime d’exclusion parce qu’elle n’est pas comme les autres élèves, ce qui s’ajoute au sentiment d’injustice. La série ne prend pas totalement partie pour Victoire, et c’est heureux ; certaines scènes rappellent que les gens autre qu’elle ont autre chose à penser (comme Charlie, qui a une tumeur au cerveau, par exemple), ou encore que ses états d’âme ne devraient pas avoir d’impact sur la qualité de vie d’autrui (c’est en particulier vrai pour Marie-Antoinette, abandonnée sur la cuvette des WC). Toutefois, une telle place est faite à ses humeurs et ses pensées, qu’au final on a quand même l’impression d’être poussée à avoir de l’empathie pour elle, et sa souffrance. Il suffit d’écouter le monologue de fin d’épisode pour s’en assurer. D’ailleurs, au risque d’en remettre une couche, cette voix-off est, à tous les égards, une mauvaise idée : rien ne marche ni dans son utilisation, ni même dans la façon dont elle est lue par l’actrice…
Les meilleures scènes de l’épisode, pourtant, sont immanquablement celles où Victoire est absente. Lorsque Marie-Antoinette (qui s’annonce d’ores et déjà comme la force vive de la série) et Charlie, amies de longue date, interagissent. Quand Reda, le clown de la classe, asticote son entourage, testant les limites de ce dont il est acceptable de rire. Quand Maëlle, l’autre nouvelle du bahut, s’ouvre avec vulnérabilité à la psy de l’établissement. Quelque chose de magique se produit parce que c’est là qu’on perçoit, réellement, l’humanité des protagonistes handicapées de Lycée Toulouse-Lautrec… Que Victoire soit, pour le moment, systématiquement tenue à l’écart de tout cela (par choix scénaristique, ou à cause de son rejet du lycée) laisse songeuse quant à la possibilité pour l’ado de voir un jour ses camarades de classe comme des égales. Il y aurait également long à dire de la façon dont Théo, son grand-frère qui a des séquelles d’une chute lorsqu’il était enfant, n’a pas vraiment droit au chapitre dans ce premier épisode. Etant donné que Lycée Toulouse-Lautrec a établi qu’elle n’était pas strictement limitée à la perspective de Victoire, on devrait être capables d’apprendre quelque chose sur lui qui aille au-delà de la vision que sa sœur a du jeune homme ; ce ne sera pas le cas dans cet épisode d’exposition, en tout cas.
Il ne fait pas vraiment de doute que Lycée Toulouse-Lautrec veut, à terme, faire changer Victoire, et créer une normalisation autour de ses protagonistes handicapées (l’éventail de conditions médicales étant pour l’essentiel restreint aux questions de mobilité, d’ailleurs). L’intention est ce qu’elle est, les choix et les moyens en sont une autre. J’aurais plus volontiers regardé cette même histoire du point de vue de Marie-Antoinette (dont le doux « Sérieux ? »au début du dernier acte a, à lui seul, compensé tous les plans sur la tête à claques qu’est Victoire), Maëlle, qui exprime des choses très importantes à plusieurs reprises, ou Théo, qui se retrouve à la fois victime du validisme de sa sœur et témoin de la façon dont elle le tient responsable de tout, pour quelque chose qui s’est passé quand il était encore bébé. Ce seraient des perspectives bien plus enrichissantes d’un point de vue dramatique, mais voilà, on ne va quand même pas risquer que des spectatrices valides ne sachent pas comment s’identifier. Cela conduit Lycée Toulouse-Lautrec, malgré sa distribution (et même ses figurantes) authentiques, et la bonne volonté dont elle se dit faire preuve, à ne pas franchement réussir à rassurer même au bout d’un épisode…
Cela dit, je ne ne laisse pas tomber pour autant (d’autant que je me suis vraiment prise d’affection pour les nuances dévoilées par Ness Merad), et vais jeter un œil à la suite. Pas sûre que j’en fasse une review supplémentaire, mais en tout cas je ne m’avoue pas encore vaincue.
Yikes! Hard pass. It sounds exhausting