Comme une reine

31 décembre 2022 à 22:15

Imaginez avoir 14 ans, et être vendue (pardon, « mariée par intérêt politique ») à un inconnu d’un pays étranger. Vous ne connaissez rien de lui, ou de son monde, sinon ce que quelques cours abstraits vous en ont dit. Et en plus, là où vous allez, vous ne connaissez rien ni personne : tout ce que vous avez aimé est resté derrière vous… sans espoir de retour, jamais.

Ce doit être traumatisant. Et c’est précisément ce qu’essaie de dépeindre le premier épisode de la série franco-britannique Marie-Antoinette, lancée il y a quelques semaines sur Canal+ en co-production avec notre amie la BBC.

Marie-Antoinette a fait l’objet d’un sacré nombre de représentations, au fil des années, et le rôle a été incarné de cent façons par au moins autant d’actrices. Mais Marie-Antoinette essaie, et, au vu du premier épisode, je pense qu’elle est en bonne voie d’y parvenir, de raconter quelque chose d’unique. La série se charge de la dépeindre d’une façon qui appelle, chose rare vu la portée historique et symbolique du personnage, à de l’empathie. Ce n’est pas la reconstitution historique qui l’intéresse, mais principalement la reconstitution d’une expérience : celle d’une gamine soudainement chargée d’une responsabilité diplomatique immense qui se caractérise par quelque chose d’intime, mais surtout perturbant.
Faisant appel à une palette de couleurs juste un peu malaisante, des visages juste un peu trop grotesques, des mouvements de camera juste un peu trop brusques, la série nous montre un univers terrifiant, empruntant quasiment aux codes de l’horreur. A travers les yeux de Marie-Antoinette, tout est effrayant, et comment ne le serait-il pas ? Plus l’épisode avance et plus les petites terreurs se succèdent, en particulier quand la jeune fille réalise qu’elle ne peut pas accorder sa confiance trop rapidement (une leçon dont je ne doute pas qu’elle l’apprenne par la pratique dans un épisode ultérieur), et qu’elle est, constamment, épiée par un palais rempli de Françaises qui lui sont fondamentalement hostiles. Après tout le reste, c’est la goutte qui fait déborder le vase, et la petite autrichienne semble au bord de la crise de nerfs lorsque s’achève cet épisode inaugural.

Et s’il n’y avait que ça. Mais il y a Louis, aussi. Son mari (les noces ont lieu le lendemain de leur rencontre…) apparaît comme un étrange personnage, de prime abord. Au début, Marie-Antoinette n’est pas très claire sur sa démarche : le jeune homme a-t-il un comportement particulier, ou est-ce l’héroïne qui le perçoit ainsi ? Toutefois plus l’épisode avance, plus le doute est dissipé : le futur roi est effectivement très différent de ce à quoi elle s’attendait, et même, ce à quoi son propre entourage s’attendait. Louis est, lui aussi, un adolescent gauche ; il est, quelque part, une victime quasiment autant que son épouse des circonstances, il a juste la chance de ne pas avoir eu à quitter son pays, mais vu qu’il n’a pas l’air de se sentir très à l’aise à Versailles, il est possible que ce ne soit qu’une différence superficielle. Difficile de ne pas avoir le cœur qui se serre pendant leur première nuit ensemble…
Malgré l’omniprésence de la perspective de l’héroïne qui porte son nom, Marie-Antoinette se permet donc de nous présenter quelques autres personnages, adoptant un regard omniscient. Quelques autres personnages de la cour se distinguent : l’odieux Provence, l’hypocrite roi Louis XV, la peste Madame du Barry… Personne ou presque (…espérons que Madame de Lamballe soit vraiment ce qu’elle paraît) ne trouve grâce aux yeux de la série. Ce qui donne du baume à mon petit cœur antimonarchiste, mis à mal par toute cette peine ressentie pour Marie-Antoinette.

A la base je n’étais pas sûre de vouloir regarder Marie-Antoinette. J’étais tombée éperdument amoureuse de The Great quelques mois plus tôt ! Avais-je vraiment besoin d’une nouvelle série historique se proposant de renverser les idées reçues sur une des têtes couronnées les plus célèbres ? Fort heureusement, il n’y a ici aucun effet de redite, les deux séries jouant dans un registre très différent.
Toujours aussi lumineuse que dans ses oeuvres précédentes, Emilia Schüle incarne dans ce premier épisode (en dépit de son âge) une adolescente qui n’est pas prête, qui n’aurait pas pu être prête, que rien n’aurait jamais pu préparer, à quelque chose d’immensément terrifiant. On espère sans trop y croire (et sans trop penser aux autres portraits qu’on aurait pu voir précédemment) qu’elle va pouvoir s’approprier le rôle dans lequel on l’a forcée, malgré tout. Il ne fait aucun doute que même si c’est le cas, le chemin sera long et tortueux.
Et glauque. Très glauque.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. tiadeets dit :

    Ce n’est pas une série que j’ai forcément envie de regarder, mais le fait qu’elle existe et présente l’histoire de cette façon-là me rend contente. J’aime quand des séries historiques, surtout sur ce genre de personnages essaient de changer un peu de point de vue et d’apporter quelque chose d’un peu nouveau.

    • ladyteruki dit :

      Oui c’est une plutôt bonne surprise. J’ai essayé d’éviter les interviews et articles pour le moment, parce que vu qu’il s’agit d’une série historique, le ton et les motivations sont à peu près la seule originalité de la série ; j’attends d’avoir fini la saison (…certes interrompue par un revisionnage impromptu de la première saison de The Great) avant de voir comment cette série a été approchée par l’équipe créative.

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