L’emoji qui tue

22 décembre 2022 à 22:59

Tout est allé très vite. Il était juste en retard de quelques minutes. Elle est sortie de ses cours de piano juste un peu plus tôt que d’habitude. Il aurait suffit de trois fois rien pour qu’elle monte dans sa voiture et rentre à la maison avec lui, saine et sauve.
Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

Trigger warning : viol d’une mineure.

Le thriller turc Ben Gri fait partie de ce nombre grandissant de séries turques avec une durée très courte (courte pour la Turquie, en tout cas), qui émergent grâce ou à cause des plateformes de streaming internationales. Mais que voulez-vous, il y a des priorités dans la vie, et elles sont plus soucieuses de leurs standards américanisants que de l’industrie de la télévision des marchés où elles essaient de s’implanter. Ben Gri a tout, sur le papier, d’un thriller un peu banal… alors c’est une bonne surprise quand la série s’avère posséder un twist high concept.

Fuat Akıncı est un brillant avocat qui jouit, outre d’une bonne réputation professionnelle, d’une petite célébrité. Dans la première scène de la série, il est en effet invité d’une émission de débats, et le sujet du jour tourne autour d’un projet de réforme qui conduirait à alourdir les peines pour les criminels. Fuat, si vous vous posez la question, n’est pas pour : il pense que ce n’est pas aux victimes ou familles de victimes de décider de la lourdeur d’une peine. C’est un système visant à établir la Justice, pas à être un simple outil de vengeance.
Naturellement cette position va durer ce que durent les roses, vu la tournure des événements dans le reste du premier épisode.

Selin, la fille unique de Fuat, disparait donc le lendemain de son anniversaire, et s’en suivent quelques heures de panique pendant lesquelles c’est l’homme et non l’avocat qui traverse la ville à sa recherche. Avant d’être joint sur son téléphone par la police : Selin est à l’hôpital.
Je passe sur ce qui constitue environ 90% de l’épisode, parce qu’on a vu ces scènes, à quelques nuances près, 712 fois déjà. Ben Gri essaye bien de nous donner deux autres intrigues, très secondaires (l’une sur le partenaire de Fuat au cabinet, qui a l’air d’avoir un secret mystérieux ; l’autre sur une cliente qui se présente pour une affaire de garde avec un ex violent), mais on sait très bien que ce n’est pas ce pour quoi on est là. Ou au moins pas tout de suite : la suspicion, ce sera pour plus tard. Non, Ben Gri veut établir la normalité de cet homme, sa gentillesse, son humour, sa justesse, son sens de la famille.

Ce n’est qu’après être sorti des couloirs de l’hôpital, pensant qu’aller sur les lieux où Selin a été retrouvée pourrait l’aider, sinon à comprendre ce qui s’est passé, au moins à lui passer les nerfs sur le moment, que se produit le véritable hook de Ben Gri.
Le téléphone de notre homme semble piraté, et de mystérieux messages envahissent son écran. Quelqu’un prétend avoir kidnappé le coupable du viol. Les preuves qu’il s’agit bien du coupable. Et les moyens d’en faire ce qu’on veut… Alors, précisément : que veut Fuat ? La question de la moralité se pose rapidement, d’autant plus rapidement que Fuat n’a que 45 secondes pour prendre sa décision.

Cet exercice de pensée (« tout le monde veut être juste, et puis un jour ça vous touche personnellement ») n’est, sur le fond, pas follement original (surtout qu’une ado a une fois de plus été placée dans un frigo), et idéologiquement très teinté. Mais ce twist fonctionne malgré tout.
Parce qu’il y a tout un esthétisme autour, une espèce de mise en scène par la personne derrière le fameux smiley (je ne pense pas que ce soit Red John, enfin, jaune pour le coup) allant au-delà de la mise en scène de la série, un sorte de transposition dans un univers différent qui fait qu’on accroche : subitement, on est dans le monde de Yellow John, et non l’inverse. On a perdu le contrôle, exactement comme Fuat. Et c’est formidablement envoûtant (d’autant que Timuçin Esen est épatant, en plus). Résultat, une série de plus sur ma liste de fin d’année. Mais au moins, elle courte.
Merde.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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