Peu de télévisions s’inquiètent autant du sort de la province que la télévision japonaise. Les séries se multiplient, et ce, au bas mot depuis 15 ans, pour raconter les ravages de l’exode rural. C’est généralement dans une quelconque petite bourgade vieillissante, quasi-abandonnée ou déjà vide, dont les commerces et/ou institutions ferment les unes après les autres, que s’installent les séries voulant raconter les efforts des dernières résistantes qui refusent d’abandonner ce que l’on appelle la « périphérie ».
L’enjeu de la périphérie japonaise est complexe, et c’est sûrement ce qui explique que cela fait aussi longtemps que les séries répètent inlassablement la même chose, sans espoir de résolution. La province se meurt, il ne faut compter sur personne, et ce ne sont que des initiatives individuelles qui sauveront (peut-être) les meubles. Et encore, seulement très localement. Peut-être même seulement temporairement, aussi.
Cette inquiétude, FIRST PENGUIN!, lancée cet automne sur NTV, la partage. Derrière ses airs de dramédies enlevée, elle se déroule à son tour dans une bourgade vieillissante, quasi-abandonnée, dont les commerces et/ou institutions ferment les unes après les autres. Même le port, jadis si vivant et au cœur de l’activité économique des environs, vit ses dernières heures. Et puisqu’on ne peut compter sur personne, et que ce ne sont que des initiatives individuelles qui sauveront (peut-être) les meubles, devinez ce qu’on va faire ?
Sanshisendanmaru est une petite entreprise regroupant trois pêcheurs de la petite ville portuaire de Shiogasaki. La compagnie tente de survivre autant que faire se peut, ce qui est un euphémisme pour dire qu’elle croule sous les dettes et que plus personne ne touche de salaire depuis bien longtemps. Ce n’est pas exactement surprenant, et ça frappe toute l’industrie dans la région : les eaux sont moins poissonneuses, et les Japonais consomment moins de poisson de toute façon, ce qui fait que les recettes sont en chute libre. Particulièrement préoccupé par la situation (à plus forte raison parce qu’il vient de perdre l’un des rares employés jeunes des environs ; pas faute de l’avoir supplié pourtant), Hiroshi Kataoka, le président de Sanshisendanmaru, commence à réaliser que la tradition de la pêche dans toute la région va disparaître en même temps que lui, quand il prendra sa retraite. Peut-être même avant. Il n’arrive pas à se faire à l’idée.
Entre en scène Nodoka Iwasaki qui débarque de Tokyo avec son fils, vraisemblablement en pleine séparation d’avec son mari (mais le premier épisode ne rentre pas dans les détails). En tant que mère célibataire, sa priorité est de mettre du riz sur la table pour son petit garçon, Susumu, et elle accepte donc toutes sortes de jobs pourvu d’être payée. Elle a décroché un emploi de serveuse, mais cherche aussi des emplois partiels en-dehors des événements organisés au restaurant. Or c’est justement pendant un banquet d’anniversaire, organisé en l’honneur du président de la coopérative maritime de la ville, que Nodoka fait la rencontre de Hiroshi. Celui-ci est frappé par son enthousiasme et son esprit d’entreprise, et décide de faire appel à elle pour un boulot tout-à-fait unique : imaginer un plan pour redynamiser Sanshisendanmaru, et ainsi, indirectement, redonner de la vie à tout le port local. Nodoka n’y connait rien en pêche, ou même en poisson ; mais elle tente quand même le coup. Et Hiroshi croit en elle, parce qu’il a besoin de croire en elle.
Peut-être que cette femme jeune et sortie de nulle part peut tout sauver. Vu les circonstances, la fine équipe de pêcheurs de Sanshisendanmaru a, de toute façon, à la fois tout et rien à perdre.
Le ton léger de la série (très léger) et sa réalisation peu soignée (elle fournit le minimum syndical, pas plus) n’arrivent pas à occulter que son sujet ne pourrait pas être plus sérieux. Il y a pas mal de raccourcis scénaristiques, à la fois dans la façon dont Hiroshi décide d’embaucher Nodoka comme consultante alors qu’elle n’est pas qualifiée pour (essentiellement parce que « because of reasons« ), mais aussi dans le cheminement de pensée qui va permettre à la jeune femme d’avoir une idée révolutionnaire vers le milieu du premier épisode. Eh oui, le problème qui paralyse toute une industrie est en fait réglé en un peu plus de vingt minutes !!!
…Enfin, non, évidemment que non. Car si l’idée de Nodoka a du mérite, encore faut-il la mettre en place, bien-sûr. Et vu que cette idée va à l’encontre de « ce qui se fait » depuis des décennies, ce n’est pas gagné d’avance.
Rien dans la formule de FIRST PENGUIN! ne s’avère révolutionnaire. Elle s’appuie sur quelque chose de courant à la télévision nippone, où si souvent la fiction raconte l’histoire d’une protagoniste, ou d’une entreprise, ou d’une équipe sportive, peu importe : d’une entité qui perd, mais qui va se donner à fond pour quand même sauver tout ce qu’il est possible d’être sauvé, et finalement triompher. Sur les écrans japonais, on aime bien raconter ces histoires de bonne volonté, d’efforts et de dépassement de soi, pour résoudre les problèmes et, au final, sortir victorieuse de la pire des situations. Si Hiroshi, Nodoka et les pêcheurs de Sanshisendanmaru s’en donnent la peine, à terme c’est sûr, le port peut être sauvé !
Non, la formule n’est pas révolutionnaire. Mais à ma grande surprise, il semblerait que son ton le soit. De toutes les séries s’acharnant à sauver la périphérie, c’est la première fois que j’en vois une aussi… EN COLERE !
Pour tout dire, les séries japonaises en colère, tous genres confondus, il n’y en a pas des masses. Or, la conclusion du premier épisode de FIRST PENGUIN! ne laisse absolument aucune sorte de doute à ce sujet. A la fin du premier épisode, Nodoka présente son plan brillant à Sanshisendanmaru, qui s’accompagne d’une première victoire, parce qu’elle ne vient pas les mains vides ; mais elle s’aperçoit que les pêcheurs sont décidés à ne rien changer, même si tout le monde va droit dans le mur. Dans une ultime trahison, une fois face au président de la coopérative, Hiroshi fait même mine de désavouer le projet qu’elle lui apportait sur un plateau… et Nodoka explose dans une longue et furieuse tirade. Ce n’est pas une simple colère, c’est l’expression de quelque chose que la jeune femme porte en elle depuis des années, mais cela ne s’explique pas que par sa backstory : FIRST PENGUIN!, dans sa façon de formuler sa critique de la vision à court-terme et de l’immobilisme, dit quelque chose de plus large sur les raisons pour lesquelles en 2022… il faut encore faire des séries qui appellent à sauver la périphérie japonaise.
Nodoka représente non seulement l’envie d’aller de l’avant, de résoudre les problèmes, de tout donner pour aller vers le mieux ; mais elle incarne aussi une furieuse rage contre tous ceux (…masculin volontaire) qui ont conduit à la situation présente. Sa colère se déchaîne crescendo, des larmes de dégoût roulant sur son menton, le visage déformé par la colère. Rien dans la scène n’est fait pour l’atténuer, la tourner à l’humoristique, ou la dépeindre comme excessive. Non, FIRST PENGUIN! assume que cette colère dure 3 minutes ininterrompues pendant lesquelles les hommes autour de Nodoka n’ont qu’à se taire et subir la fureur de la jeune femme, parce qu’ils la méritent. Et ça, c’est assez nouveau, et un peu désarmant.
Dans FIRST PENGUIN!, l’initiative individuelle est une chose, mais elle ne fait surtout pas oublier qu’il y a, derrière, un aspect systémique. Alors franchement la bonne volonté, les efforts et le dépassement de soi, ça va bien, hein. Elle a bon dos, la femme jeune et sortie de nulle part qui peut tout sauver ! A un moment il faut aussi se remettre en question, bande de vieux cons, et arrêter d’attendre qu’une personne providentielle résolve tous les problèmes que vous créez.
J’observe de près les séries japonaises depuis pas loin de vingt ans maintenant, et je suis confondue par le tournant que j’y décèle. Pas forcément sur la forme mais clairement sur le ton. Il y a encore quelques années, en particulier sur les grandes chaînes nationales, il était très difficile de trouver des séries remettant en question l’ordre des choses ; on n’y parlait pas de problèmes systémiques ou de responsabilité générationnelle. Ou disons, on pouvait y faire référence implicitement, mais les personnages finissaient quand même par résoudre des problèmes individuels ou à très petites échelle ; c’était ça, un happy ending. A voir des séries comme FIRST PENGUIN!, ou 17 Sai no Teikoku dont je chantais les louanges l’été dernier, ou la surprenante AVALANCHE même, il semblerait que de plus en plus de séries s’autorisent à dire que, vous savez quoi ? On a beau se donner tout le mal du monde à une petite échelle, si les choses ne bougent pas de façon plus large, ça ne servira à rien. Si vous êtes en position de pouvoir, à quelque niveau que ce soit, au lieu de rester dans la posture du « après moi, le déluge » eh bien il faut bouger vos vieux culs, voilà, merde. FIRST PENGUIN! est d’ailleurs très prompte à utiliser des insultes ordurières, ce qui est également peu courant à la télévision japonaise ; c’est adorable parce que même les fansubs s’excusent du langage employé !
C’est rare pour une série japonaise mainstream de tenir ce discours. Et c’est d’autant plus rare dans une série sur l’agonie de la périphérie. Alors, après, ça n’enlève rien au fait que FIRST PENGUIN! n’est pas une production très léchée, et que son ton généralement léger (à part cette fameuse tirade, quoi) rappelle qu’on est là avant tout pour du divertissement. Mais, si vraiment Nodoka doit sauver le port, ce ne sera pas grâce à son enthousiasme et son esprit d’entreprise, mais en dépit de la vision à court-terme et de l’immobilisme de ses seniors. Et ça, c’est déjà énorme de le dire.
J’avais complètement raté la sortie de ce drama ! En effet, le sujet de l’exode rural n’est pas nouveau, c’était déjà le sujet de Ruri no Shima et d’autres avant ça, mais la façon dont tu décris le drama et son ton (même si j’ai bien compris qu’il restait globalement léger et que la réal n’est pas à porter aux nues) et cette screencap de l’héroïne sont interpellantes !