Más allá

8 décembre 2022 à 18:20

Le mois dernier, Paramount+ lançait sa série originale espagnole Bosé dans plusieurs pays de la planète (d’autres dont les USA n’y ont accès que depuis début décembre), et j’étais prête à me lancer dans une longue tirade sur « oh, regardez, qu’est-ce que je vous disais, ENCORE un biopic hispanophone, c’est vraiment la mode en ce moment« .
Bien que ce n’en soit pas moins vrai, j’ai vite changé d’avis devant le premier épisode de Bosé : il y avait, clairement, quelque chose d’inédit dans le choix d’adapter cette vie-là pour le petit écran. Et ne vous inquiétez pas, j’y reviens bien-sûr dans un instant.
…Hélas, ô combien hélas, j’ai changé d’avis une nouvelle fois au moment de la rédaction de cette review. Vous dire que je suis très partagée quant à l’existence de Bosé, et ce qu’elle implique, est un euphémisme. Car, pour discrètement révolutionnaire qu’elle puisse être… elle n’aurait jamais dû exister.

Sauf qu’avant d’entrer dans les détails de mon raisonnement, bien-sûr, il faut que je vous raconte quand même un peu Bosé.

Le premier épisode de la série (elle en compte six ; je ne regarderai pas les suivants) commence dans les années 70, alors que Luis Miguel González Bosé, le fils d’un matador espagnol reconverti dans les affaires et d’une actrice italienne, se sent étouffer dans une existence qu’il ne contrôle pas. Alors que son père voudrait qu’il travaille dans sa compagnie, mettant en pratique son don pour les langues étrangères (Miguel parle couramment l’espagnol et l’italien, mais aussi le français) tout en apprenant le marketing, le jeune homme, encouragé par sa mère, rêve d’une carrière dans le cinéma. Le dilemme est d’autant plus déchirant que ses parents ont divorcé de longue date, et que ses choix reflètent indirectement de qui il « prend le parti ». Mais après avoir reçu une offre pour aller tourner en Italie (avec l’aide de sa mère qui a activé son réseau), Miguel décide de plaquer son job aux côtés de son père, et d’aller tenter de réussir la carrière qui, semble-t-il, lui plaît véritablement.
Pendant le tournage en Italie, il rencontre une jeune actrice elle aussi débutante, Barbara, avec laquelle il commence une relation. Tout semble sourire au jeune homme… si ce n’est que Barbara est terriblement jalouse de l’actrice plus expérimentée avec laquelle Miguel a des scènes de sexe dans le film. Elle ignore que ce n’est pas de cette actrice (aussi entreprenante soit-elle) qu’il lui faut se méfier…

Au bout d’un quart d’heure de sa litanie de clichés, Bosé révèle enfin quelques aspérités (avec l’aide d’une voix-off qui, d’ailleurs, n’est pas vraiment présente dans le reste de l’épisode, comme si la série avait vraiment besoin de nous expliciter quelque chose d’intime à ce moment-là). Le parcours de son idole est en effet atypique : dans les années 70, Miguel Bosé entretient en parallèle une relation amoureuse avec un homme politique italien, d’ailleurs parfaitement au courant que le jeune homme voit des femmes à côté.
Cela fait de Bosé, à ma connaissance, le seul biopic musical hispanophone (et il y en a eu pas mal ces dernières années) à ouvertement s’intéresser à une personnalité LGBT ! Cela dit c’est plutôt cohérent avec ce qui se passe en ce moment sur les écrans espagnols, qui font une place de plus en plus large aux représentations queers ; on en parlait pour Veneno (qui après tout est un biopic aussi, quoique pas musical) mais aussi pour la série #Luimelia (et je vous invite d’ailleurs à relire cette review pour prendre la mesure du phénomène plus large dans lequel elle s’inscrit), toutes deux proposées par Atresplayer. Paramount+ se jette donc dans la mêlée, et le résultat est une série qui reprend tous les codes du biopic musical, mais avec une nuance d’importance.
Et pour cause : le cadre narratif de Bosé consiste en réalité à remonter les souvenirs de son personnage éponyme, alors que celui-ci entame une tournée anniversaire célébrant plusieurs décennies de sa carrière. Deux acteurs différents l’incarnent donc dans la série : José Pastor pendant la vingtaine et à la naissance de son succès, et Iván Sánchez au moment de la cinquantaine, en pleine gloire, et en train d’explorer son désir de paternité. Chaque épisode porte apparemment le titre d’une chanson emblématique, interprétée pendant la tournée, et reflétant une phase marquante de sa vie privée comme publique. Vous saisissez l’idée, et elle n’a rien de révolutionnaire.

La principale originalité de Bosé, donc, est la personne sur laquelle porte la série, et rien d’autre. Au cinéma ou à la télévision, beaucoup de biopics (et ça a été amplement décrié ces dernières années) ont tendance à l’hétéronormativité pour leur personnage principal. C’est même parfois le cas également pour un personnage secondaire (on en parlait il y a quelques mois pour Mui Yim Fong, après tout). Bosé aurait éventuellement pu faire le choix de taire cet aspect aussi. Après tout, Miguel Bosé s’est toujours refusé à nommer précisément sa sexualité, même si évidemment il est des choses de notoriété publique. C’est intéressant d’ailleurs de regarder de près les mains utilisées sur le poster promotionnel. Mais c’est dans son refus que se loge toute son identité. Elle veut dire qui est Miguel Bosé.
…Et c’est un peu le problème. Ouaip, nous y voilà.

C’est que, lorsque j’ai commencé à faire mes devoirs pour cette review, quelque chose m’est apparu de façon frappante : Miguel Bosé est un gros connard. Et un gros connard complotiste, en plus : l’un de ses plus hauts faits de gloire pendant les trois dernières années, ça a été de clamer que COVID n’existe pas, qu’il ne s’agit que d’un grand complot, et qu’évidemment il ne peut qu’être antivax (il fait parti de celles qui hurlaient à grands cris que le vaccin contre COVID injectait la 5G au grand public ; on entend cette excuse curieusement moins, maintenant). Alors pardon si j’ai un peu de mal à trouver qu’en l’an de grâce 2022, c’est une bonne idée de lui dédier un biopic… et surtout un biopic qui prend bien soin de se dérouler bien avant la pandémie, comme ça on n’a pas à rappeler ses positions plus que douteuses sur le sujet.
Un biopic, quasiment par principe mais surtout quand il concerne une célébrité popculturelle, a tendance à déjà arrondir les angles et essayer de faire entrer dans la légende beaucoup de positif. La place laissée au négatif, elle, est plus variable, quand elle existe (encore une fois on évoquait cette problématique pour Mui Yim Fong). L’hagiographie est indéniable dans le cas de Bosé, qui ne cesse de nous bâtir un personnage de « rebelle » qui s’oppose à la fortune et donc l’emprise de son père afin de pouvoir vivre son rêve, qui tente de se libérer de l’étreinte plus chaleureuse mais non moins étouffante de sa mère et trouver sa propre forme de célébrité, et qui, ah oui, il faut qu’on parle de la paternité, aussi.

Parce que c’est l’un des gros arguments de l’humanisation de Miguel Bosé dans la série qui porte son nom. Dans les années 70, alors que le jeune homme est sur le point de faire des choix déterminants (continuer le cinéma, ou tenter la chanson ?), Barbara tombe enceinte. Forcément le moment n’est pas extrêmement bien choisi, mais Miguel décide de faire « ce qu’il faut », de demander sa main à Barbara, et de prendre la nouvelle aussi bien que possible, même s’il a du mal à faire taire les petites voix (…volontiers fournies par son entourage) qui lui susurrent qu’il est trop tôt. Après avoir timidement tenté d’essayer de suggérer que peut-être éventuellement il serait possiblement envisageable de ne pas totalement écarter l’idée d’un tout petit avortement à Barbara, quand même, voilà notre jeune homme qui fait des plans pour l’avenir avec un bébé. Sauf que Barbara perd le bébé dans un accident de la route, et que, si cela laisse le champ libre à la carrière de notre protagoniste, le vide n’est jamais comblé.
Vers la fin de l’épisode, pendant la partie de l’intrigue se déroulant à la cinquantaine, il révèle au jeune homme avec lequel il entretient une relation qu’il est grand temps qu’il ait un enfant. Tout cela est fort bien… sur le papier. Je ne peux qu’encourager les hommes à parler de leur désir d’enfant, un sujet trop souvent réservé aux femmes (il y a fort heureusement quelques exceptions déjà, j’aime bien citer ce que fait Kaamelott sur le sujet par exemple). Et l’idée de parler de ce désir pour un homme alors dans une relation avec un autre homme ? Oui, cent fois oui.
Sauf qu’encore une fois j’ai fait mes devoirs. Or, il s’avère que Miguel Bosé a eu quatre fils avec son compagnon Nacho Palau (via mère porteuse ; je suppose que les épisodes suivants en parleront au moins en partie). En 2018, il a décidé de quitter Palau… et n’a emmené que deux de ses fils en Amérique latine (…ah d’ailleurs, ai-je précisé qu’il apparaît dans les Panama Papers ?), laissant les deux autres en Espagne avec son ex. Il est même allé en procès pour s’en assurer, alors que Palau voulait essayer de regrouper les garçons (certes avec lui en Espagne). Alors, vous m’excuserez si le discours de Bosé autour du puissant désir d’enfant de son protagoniste éponyme m’émeut autant que le chant des bennes à ordures le lundi matin.

Le problème majeur de ce biopic, en somme, est exactement logé dans ce que la série considère être sa plus grande force : sur qui porte la biographie. Il me semble difficile d’ignorer qui est Miguel Bosé en 2022. On peut essayer de faire semblant, et la série, dans ce premier épisode, semble résolue à refouler puissamment tout ce qui rend Bosé problématique aujourd’hui. Mais le problème reste qu’elle est produite et mise en ligne aujourd’hui, et ça, rien ne peut l’effacer. Très franchement, si je l’avais su avant de lancer l’épisode, je me serais économisé un visionnage ; je vous donne autant que possible l’opportunité que je n’ai pas eue.
Est-ce qu’il n’y a vraiment aucune autre personnalité LGBT qui mériterait d’avoir un biopic ? Et si vraiment on veut parler de celle-là, ne peut-on pas, à tout le moins, mentionner à quel point la vieillesse est un naufrage ?


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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