Il a fallu que je me frotte les yeux plusieurs fois avant d’accepter ce que je venais de lire, après que j’ai découvert le synopsis d’Irreverent, une série australienne qui vient de démarrer sur Netflix (sauf aux USA où c’est Peacock qui a décroché les droits). Pour mieux comprendre mon incrédulité, le mieux est encore que je vous le retranscrive ici.
Truand de petite envergure travaillant pour un parrain de la mafia à Chicago, Paulo Keegan se retrouve, à son insu, dans une situation embarrassante lorsqu’il tue accidentellement le fils aîné de son patron, tout en étant, là encore accidentellement, en possession de plus d’un million de son argent. Inutile de réfléchir longtemps : il sait qu’il lui faut impérativement se barrer aussi vite et aussi loin que possible. Sautant dans le premier avion venu, le voilà en route pour la côte ouest de l’Australie ! Sur le siège d’à côté, il fait la rencontre du révérend Mackenzie Boyd, lequel entame la conversation ; en dépit des tentatives de Paulo pour l’éviter, l’homme d’Eglise se retrouve dans le même hôtel après le vol, et n’en finit plus de lui déballer ses déboires. Il faut dire que juste avant de quitter Chicago, sa femme l’a plaqué, et qu’il s’apprête à devoir partir de zéro à Clump, une petite bourgade isolée d’Australie où du coup, il ne connaît personne. Plongé dans sa crise existentielle, qui se double d’une crise de foi, Mackenzie est collant, et Paulo n’arrive pas à s’en débarrasser. Sauf que voilà : après s’être évanoui dans sa chambre d’hôtel, il réalise que le religieux s’est évaporé… avec un peu plus d’un million. Paulo n’a donc d’autre choix que de faire route pour Clump, endosser littéralement l’habit du révérend, et se faire passer pour lui en attendant de réussir à mettre la main sur le pieux voleur. Problème : Clump est une petite ville pleine de problèmes (dont l’un, non des moindres, étant que ses révérends ont tendance à mourir !), et pire encore, il s’attire immédiatement l’inimitié de la policière de la ville, qui va résolument garder un oeil sur son matricule.
Si vous n’avez pas encore accroché les wagons, alors permettez que je sois claire : il y a quelques mois à peine, je vous parlais de l’incroyable coïncidence qui avait poussé deux séries, l’étasunienne Impastor et l’allemande Sankt Maik, à partager de façon suspecte leur synopsis. Bah là, c’est presque exactement le même. Si j’étais de mauvaise foi (et, grand Dieu, vous savez combien ce n’est pas mon style !), j’irais jusqu’à dire qu’il n’y a bien que le décor qui change. Mais bon, au moins ça me fait faire du tourisme.
C’est être un peu cruelle avec Irreverankt Maik, évidemment. Pardon, Irreverent. La série n’est pas dénuée d’idées pour se démarquer des deux autres, la principale mais loin d’être anecdotique étant qu’elle se refuse à tuer le personnage de l’ecclésiaste !
Dans un twist ultime, celui-ci reste non seulement en vie, mais devient carrément un antagoniste. Même pas parce qu’il connaîtrait le secret de notre héros, d’ailleurs (il est en fait ravi de l’échange, vu qu’il l’a lui-même initié), mais parce qu’il force la main de Paulo pour rester à Clump, tout en profitant de son argent. Enfin, « son » argent, parce que la mafia de Chicago est quand même après lui, elle aussi. Ce renversement des dynamiques employées par les autres séries permet d’espérer qu’on n’aura pas ici une complète redite.
Toutefois, il y a des passages obligés par lesquels Irreverent est bien forcée de passer quand même. Paulo doit se faire passer pour un religieux, et, naturellement, la série a décidé qu’il n’était pas croyant. C’est un choix également fait par les deux autres. Sauf que… je ne sais pas si je comprends la logique : supposément, Paulo vient d’un milieu italo-américain qui est plutôt réputé pour être croyant. Même si lui-même ne croit pas en Dieu, il a forcément quelques notions de ce qui est attendu ou non de la part d’un homme d’Eglise. Peut-être que la série a l’intention d’en jouer plus tard, mais le voir paniquer alors qu’il est supposé être super compétent (il se présente dans sa scène d’introduction comme un excellent négociateur, plus tard dans l’épisode son patron lui-même reconnaît sans mal qu’il est très capable…) sans avoir la moindre intuition de ce qu’il faut faire pour maintenir un minimum de plausibilité (alors que culturellement parlant ça ne fait pas vraiment sens vu sa backstory), ça désarçonne un peu.
Dans le fond, Irreverent n’a pas vraiment l’air d’avoir décidé de qui son personnage était, juste de la situation dans laquelle il allait être placé.
L’essentiel c’est que cela permet toutes sortes de quiproquos, et c’est ça le fond de commerce de ces séries. D’autant qu’Irrevestor… pardon, Irreverent, a vraiment choisi la légèreté comme ton dominant. La situation pourrait être tragique (d’autant que Paulo se trimbale aussi à l’autre bout de la planète avec une blessure par balles rafistolée en urgence par son seul ami), mais la série a fait le choix d’insister amplement sur l’absurde autant que possible. De ce côté-là, on a, en fait, déjà vu Clump dans de multiples séries basées sur le trope « fish out of water » ; ce n’est pas ce genre de série qui manque comme exemple, de Northern Exposure à Doc Martin, en passant par Lilyhammer, mais j’ai en particulier envie de mentionner 800 Words parce que, pour le coup, les deux bourgades m’apparaissent comme très similaires. Je vois à mes tags que je n’ai jamais écrit sur Northern Exposure, il faudra rectifier ça à l’avenir… mais je m’égare.
On a bien du mal, d’ailleurs, à se lier à cette petite ville loufoque. Car elle l’est, sans aucun doute possible, mais ses personnages peinent à se détacher de la masse. Au mieux, certaines des habitantes ont l’occasion de trois ou quatre répliques qui permet de les caricaturer (comme Peter, par exemple, une version australienne de Taylor Doose dans Gilmore Girls), mais pour l’essentiel ce premier épisode n’a ni le temps, ni franchement l’envie, de raconter qui est tout ce petit monde. Les gens de Clump sont définis avant tout par Clump. Espérons que les épisodes ultérieurs trouvent le moyen de faire un peu mieux.
Et pourtant, si elle le veut, même dans sa frivolité et ses clichés, Irreverent a un peu de potentiel pour faire quelque chose de décent de son propos de départ. Non seulement à cause de notre cureton en cavale, mais aussi parce qu’à un moment, Paulo, complètement malgré lui, prouve qu’il a l’étoffe pour porter l’habit.
C’est précisément pendant une discussion au bar de l’hôtel qu’apparaît la révélation que, même quand il essaie de se débarrasser de quelqu’un de chiant plutôt que de l’aider, Paulo peut avoir une influence profonde sur la vie intérieure comme les actions d’autrui. Vers la fin de l’épisode, Mackenzie a d’ailleurs une épiphanie : peut-être que cet échange forcé d’identité peut avoir du bon pour les deux hommes, et que Paulo a, en réalité, la vocation pour aider les autres. Même s’il n’en a pas envie. Si Irreverent fait quelque chose de cet axe, au lieu de se laisser dépasser par la frénésie de ses autres intrigues (la cavale du révérend, la course-poursuite engagée par la mafia depuis Chicago, et, vraisemblablement, le jeu du chat et de la souris avec la fliquette de Clump), elle pourrait bien se révéler avoir… une âme.