Partenaires particuliers

9 octobre 2022 à 14:51

Au fil des années, j’ai évoqué la série policière Aibou en passant ; force est de reconnaître cependant qu’elle est trop importante pour s’arrêter là.
Il s’agit en effet de l’une des séries japonaises les plus longues actuellement à l’antenne, avec presque 400 épisodes au compteur, s’étalant sur vingt années. Et ce n’est pas peu dire dans un pays où la majorité des séries n’ont jamais de seconde saison ! Sans compter qu’en plus, elle a la particularité d’avoir deux fois plus d’épisodes par saison qu’une série japonaise hebdomadaire normale. Une persistence rare : l’une des quelques autres séries actuelles s’approchant vaguement d’une telle longévité est Kasouken no Onna (diffusée par la même chaîne, TV Asahi, généralement l’une à la suite de l’autre d’ailleurs) qui certes a débuté plus tôt, mais a en moyenne moins d’épisodes par saison.

Alors aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, on va parler flicaille en reviewant le premier épisode (…vous allez voir que la nomenclature est d’importance) de cette institution de la télévision japonaise. Le moment est d’autant plus symbolique que, alors que sa saison 21 démarre dans quelques jours, Aibou s’apprête à attaquer sa troisième décennie de diffusion.

Aibou (soit « Partenaires ») n’avait pas vraiment été destinée à un sort aussi exceptionnel. La série a démarré de façon plus humble, sous la forme de 3 téléfilms diffusés dans Douyou Wide Gekijou, une case horaire dédiée au policier et au thriller, occupant le prime time du samedi soir.
Douyou Wide Gekijou est, selon la perspective, une collection anthologique de divers projets indépendants les uns des autres, ou le tremplin de quelques « backdoor pilots » (un terme à employer avec précaution, vu que la commande de pilotes n’existe absolument pas au Japon, mais qui parlera sûrement à nombre d’entre vous) de fictions qui pourraient, par la suite, devenir des séries. En tout cas, si les conditions sont réunies, dont les audiences. Ce n’est toutefois pas son objet principal, et Douyou Wide Gekijou est avant tout une façon pour TV Asahi, comme souvent à la télévision nippone, de créer une marque autour d’une case horaire, et ainsi fidéliser le public alors que, concrètement, ces fictions ont peu voire rien en commun si ce n’est leur genre d’appartenance, et le fait qu’elles soient généralement produites en in-house.
Or, il s’avère que pour Aibou, les affaires ont plutôt bien marché : le premier téléfilm, diffusé en juin 2000, a obtenu plus de 17% des parts de marché (à une époque où, certes, cela ne relevait pas encore du miracle), ce qui a conduit TV Asahi à commander un deuxième puis un troisième téléfilms, lesquels ont été diffusés l’année suivante dans la même case. L’enthousiasme des spectatrices n’ayant pas bougé d’un iota, TV Asahi a pris la douloureuse décision… nan j’déconne, ya sûrement eu du champagne au bureau ce jour-là… de transformer le coup d’essai en une véritable série hebdomadaire. La saison 1 d’Aibou a donc débarqué sur la chaîne le 9 octobre 2002 (happy birthday to youuuu), soit un mercredi soir à 21h ; un joli primetime histoire de capitaliser au maximum sur la popularité du produit. Résultat ? Eh bah résultat, 20 ans plus tard, on regarde toujours Aibou à la télévision japonaise, conservant sa case horaire devenue un rendez-vous pour 6 mois par an. Ce qui est absolument rarissime à la télévision nippone où les séries ont tendance à n’exister que le temps d’un trimestre par an en moyenne, même quand elles se trouvent renouvelées.

…Le problème c’est que ces trois téléfilms initiaux sont, à ma connaissance, impossibles à trouver avec des sous-titres. La première saison d’Aibou n’a d’ailleurs commencé à être fansubbée qu’en 2009… et n’est, à ce jour, pas finie (j’ai même l’impression qu’elle a été abandonnée ?). Inutile de vous dire que pour se faire une intégrale de la série, ce n’est pas gagné. Mais puisque le premier épisode de la première saison, celui-là même qui a été diffusé le 9 octobre 2002, a bel et bien des sous-titres, c’est de lui qu’on va causer aujourd’hui.
Veuillez noter simplement qu’en aucun cas il ne remplit tous les offices d’un épisode introductif, de nombreux éléments ayant d’abord été fournis dans les 3 téléfilms l’ayant précédé. Fort heureusement, dans une série essentiellement procédurale, on s’en remet très bien.

Aibou (prononcer « a-ï-bo-o« ) est une série qui, depuis plus de 20 ans qu’elle existe, met en scène deux flics qui, par la force des choses, sont des co-équipiers.
Le premier de ces flics, présent depuis les tous premiers téléfilms, est toujours au générique à l’heure actuelle : c’est Ukyou Sugishita, un lieutenant vieillissant qui a été mis à la tête d’un service du nom de Tokumeigakari (« mission spéciale »). La clause en petits caractères, c’est que ce département de la police métropolitaine créé spécifiquement pour lui est en réalité un placard ! Toutefois, cela ne signifie pas que Sugishita est un incapable, au contraire c’est un enquêteur très logique et attentif, mais il est réputé pour être un désastre au niveau des ressources humaines (le premier épisode n’élabore pas, mais l’un des téléfilms a apparemment établi que plusieurs de ses collègues sont morts pendant une opération qu’il a dirigée, et que depuis il serait réputé porter la poisse). Travailler avec lui conduit généralement ses partenaires à la démission pure et simple… au mieux. Du coup, son service sert à placardiser avec lui toutes sortes de flics qu’on cherche à pousser à la démission. C’est dire si on n’en attend pas grand’chose.
Quand la première saison démarre, son partenaire au sein de Tokumeigakari est un jeune flic désinvolte du nom de Kaoru Kameyama ; le premier épisode nous apprend que ça fait 6 mois qu’il a été muté là, et qu’il ne démissionne toujours pas… ce qui défie toute logique. Mais il tient bon, le bougre, quand bien même il a tendance à tirer au flanc. Kameyama n’est que le premier d’une série de partenaires (tous des hommes jusqu’à présent) qui ont défilé aux côté de Sugishita au cours des deux dernières décennies dans Aibou.

La toute première intrigue d’Aibou en tant que série hebdomadaire (lors d’un double-épisode, rappelant son format initial de téléfilm) semble initialement porter sur une prise d’otage inquiétante, au sein même des bureaux de la police : un homme bardé de bâtons de dynamite se présente et exige de parler au commissaire divisionnaire. Ce qui a l’effet de plutôt lui envoyer les unités et tireurs d’élite… Sauf que, pris dans la tourmente parce qu’il était là au mauvais moment, Kameyama devient son otage, et cela pousse Sugishita à aller directement parlementer avec le terroriste. Pourtant, celui-ci ne veut qu’une chose : avoir une discussion franche (faute d’avoir eu une réponse à ses nombreux courriers) sur la façon dont, à son avis, les services de police sont moins performants et sérieux qu’avant… et vu qu’il est prêt à se faire sauter depuis le bureau du plus haut gradé de la ville, on a du mal à lui donner tort. Grâce à l’intelligence de Sugishita, le pire est finalement évité, mais les deux partenaires se font rabrouer par leurs supérieurs pour avoir été partie prenante d’une tentative d’attentat dont ils auraient dû se tenir à l’écart. Vu qu’ils ne sont pas en odeur de sainteté auprès de leur hiérarchie, rien de très surprenant là-dedans.
Bon, la réalité, c’est que l’affaire en question est bouclée en une quinzaine de minutes, et que c’est surtout l’opportunité pour la série d’établir (ou plutôt de rappeler) qui sont les protagonistes de la série. Parce que ce n’est pas la réelle première affaire de la saison.

A la place, Kameyama (dont la caractéristique principale semble être qu’il se trouve toujours au pire endroit possible lorsqu’il se déroule quelque chose d’important !) croise par accident un homme pressé, Eisuke Miki. Ce dernier laisse derrière lui une sacoche, que Kameyama récupère ; après avoir identifié notre homme et le lieu où il travaille grâce à un badge professionnel laissé dans une poche, il tente de restituer l’objet à son lieu de travail, qu’une secrétaire, Reiko Iwasaki, réceptionne. Celle-ci travaille directement pour le nouveau président de la compagnie, Mr. Hiranuma.
Sauf que quelques heures plus tard, Miki est retrouvé noyé dans la baie de Tokyo, et que par conséquent, Sugishita et Kameyama vont commencer à se poser des questions sur cette fameuse sacoche, quand bien même ils ne sont officiellement pas en charge de l’enquête. De fil en aiguille, il vont découvrir que Miki avait en sa possession des preuves démontrant une affaire de corruption entre Hiranuma et un membre du Kokkai. C’est, sans nul doute, ce qui lui a valu une mort prématurée…
Pour être tout-à-fait honnête, ce premier épisode d’Aibou n’est pas d’une originalité décoiffante d’un point de vue policier. On comprend, au plus tard vers la moitié de cet épisode double, qui est responsable de la mort de Miki, à défaut de tout de suite en comprendre les motivations.

Sauf que ce n’est pas grave parce que le suspense n’est pas exactement la priorité de la série, comme c’est souvent le cas à la télévision nippone. Sa priorité est de suivre l’investigation, avec ses inévitables preuves glanées au compte-goutte et ses fausses pistes, et de finalement permettre aux enquêteurs de parvenir, de façon logique, à découvrir par eux-mêmes qui est coupable… pour se lancer dans une conversation qui n’a pas pour objet d’obtenir une confession, mais simplement d’élaborer les motifs du meurtre et le cas de conscience éthique que cela pose.
En cela, la série m’a beaucoup rappelé une force de Law & Order, en particulier les premières saisons qui partagent aussi la même ambiance de film noir avec Aibou. C’est l’exploration de la nature humaine qui a le plus d’intérêt, et tout ce qui précède cette longue conversation avec la personne qui a tué Miki est uniquement un préambule. Une façon de nous délivrer des circonstances, des faits, bref des éléments tangibles, avant de passer au plat de résistance : la dimension dramatique, pour ne pas dire tragique, du meurtre.
Si vous me disiez que l’une de ces séries est une adaptation officieuse de l’autre, ça ne m’émeuvrait pas plus que ça, sauf qu’évidemment Aibou n’est pas qu’une pâle copie, entre autres parce qu’elle ne comporte pas de volet juridique. Ou, ma foi, peut-être qu’on l’a, indirectement, via cette séquence incroyable à la fin de l’épisode, ce long échange qui se solde par un commentaire incroyable de la part de Sugishita : « je ne critique pas vos intentions meurtrières, mais je ne peux tolérer que vous les ayez mises à exécution ». Ce qui est quand même fabuleux de la part d’un personnage policier, soit dit en passant ! Mais bien aussi la preuve de la démarche de la série, plus attirée par des exercices de pensée abstraits une fois qu’elle a délivré pour cela des clés plus factuelles. Les premières saisons de Law & Order, dans les années 90, excellaient à ce petit jeu, et Aibou ne semble pas en avoir loupé une miette.

Bon, pour le reste, je ne vous cache pas qu’il y a des choses qui ont vieilli, du format de l’image évidemment (un bon vieux ratio 4/3) à la mise en scène, en passant par euh… les étonnants passages qui nous montrent Kameyama se disputer avec sa petite amie, une journaliste qui a failli avoir sa propre intrigue dans cet épisode, sauf que non. On ne sait pas trop pourquoi c’est important (ni pourquoi Sugishita n’a pas droit à un équivalent ; tout ce qu’on sait de lui, c’est son gimmick de boire du thé, on a vu plus fou-fou). Il faut espérer que les épisodes suivants soient plus intéressés par cet aspect.
Par plusieurs de ses aspects, Aibou est quand même essentiellement une série policière à la papa, destinée à un public essentiellement âgé et conservateur. Ses quelques qualités ne font pas oublier qu’elle n’est pas supposée être innovante, c’est de la télévision aussi mainstream que possible (comic relief inclus), ce qui induit les exigences qui vont avec. Bref, une série qui aurait toute sa place sur CBS aux Etats-Unis (du moins, si on n’y était pas puissamment raciste) ou TFHein en France (…idem), et d’ailleurs comme ces diffuseurs TV Asahi est la chaîne de son pays qui propose le plus de séries policières. Cela signifie précisément qu’Aibou serait parfaitement le type de série japonaise qu’il n’y aurait aucune difficulté à exporter, si les chaînes occidentales étaient ouvertes à ce genre d’acquisitions. Ne serait-ce que pour nous délivrer des fansubs incomplètes ? Nan mais, ça coûte rien de demander, quoi.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila dit :

    J’ai lu tout cela avec intérêt, merci 🙂 Aibou est une série dont il est impossible d’ignorer l’existence quand on s’intéresse aux Jdramas, forcément, et j’avais d’ailleurs regardé une saison entière, même si j’avais été moins logique que toi, vu que la saison que j’ai regardée est la……. 11 ? je crois ? ou 12. En tout cas une avec Hiroki Narimiya, parce que c’est précisément pour ça que je l’avais regardée. Les séries policières « un cas une enquête » c’est pas trop-trop mon truc, et du reste je ne m’en souviens que très peu. Du coup, c’était sympa de te voir revenir à l’origine du drama (presque, puisque les téléfilms sont introuvables), donc merci… et joyeux anniversaire à lui, du coup !

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