Chaque fois que je vois une série indienne géniale, je repense à mon projet de vous présenter une semaine spéciale pour passer en revue plusieurs séries de ce pays, qui hélas n’a pas encore abouti, et je me dis : « bah oui mais je vais quand même pas attendre que ce soit prêt pour parler de cette nouveauté, et puis en plus le programme de la semaine est déjà bouclé ». Je dois dire que lentement mais sûrement, les séries indiennes (principalement celles de plateformes de streaming locales) deviennent de plus en plus nombreuses à m’impressionner. Pourtant je regarde des séries indiennes, bon an mal an, depuis presque quinze ans maintenant. Que cette fascination continue d’évoluer, en parallèle de l’industrie de ce pays, est une belle histoire téléphagique que j’ai bien peur de ne pas souligner assez souvent.
Alors ok, mettons la semaine spéciale de côté pour le moment, et parlons aujourd’hui de Dr. ARORA, lancée par la plateforme SonyLIV à la fin juillet.
Des séries indiennes sexy, ça ne manque pas depuis quelques années : comme j’ai eu l’occasion de vous le dire (par exemple dans cette review), l’essor des webseries et de la SVOD a permis l’émergence de fictions moins conservatrices qu’à la télévision traditionnelle, certaines flirtant carrément avec le genre érotique. Mais des séries indiennes SUR le sexe, ça, à ma connaissance, c’est nouveau, et j’étais donc très curieuse de jeter un oeil à Dr. ARORA. C’est que ce bon Docteur Arora s’avère être un sexologue !
Accessoirement, Dr. ARORA a choisi de se dérouler dans les années 90, pour des raisons qui ne me sont pas apparues clairement mais qui, ma foi, ne peuvent pas nuire. Son héros éponyme est donc un docteur spécialisé en sexologie, qui travaille dans une ville de province où il a, cependant, acquis une notoriété importante pour l’aide fournie à de nombreuses personnes.
La première des choses à dire sur Dr. ARORA (que je dois lutter pour ne pas appeler Dr. ADORA, ça vous donne une idée), c’est que son ton est incroyable. Elle est de toute évidence disposée à aborder son sujet avec humour, et il y a de bons morceaux de dramédie dedans, mais elle ne tourne pas non plus son sujet au ridicule. Les performances sont vraiment impeccables, accompagnant l’oscillation tonale selon les scènes sans trop en rajouter ; il y a bien des personnages secondaires servant uniquement de comic relief, mais leurs apparitions sont sporadiques, et la série privilégie plutôt une certaine sobriété dans l’interprétation, même dans des scènes embarrassantes ou cocasses. En outre, la réalisation est vraiment réussie, l’image est magnifique, et il se dégage même une certaine mélancolie de certains passages, qui terminent de remplir mon cœur d’amour pour la série. Vous dire que je suis charmée est vraiment en-dessous de la vérité.
Ainsi donc, le Dr. Arora (pas trop sûre du pourquoi des majuscules dans le titre, ce doit être une convention que j’ignore vu que le titre original est en hindi) est sexologue, et il tient une clinique qui n’est ouverte que la nuit. Il y a presque toujours une longue attente, pas mal de patientes se présentant dans l’urgence du moment, si vous voyez ce que je veux dire.
Et si vous ne voyez pas trop, prenons pour exemple le patient du premier épisode, Devendar Thakur, un jeune homme qui souffre d’impotence. Nous l’avons appris par une scène inaugurale (dont nous apprendrons en fait qu’il s’agit d’un flashback se déroulant il y a quelques années) lorsqu’il a rencontré une magnifique inconnue lors d’un trajet en bus. En échangeant simplement des regards, il lui a manifesté son intérêt et elle lui a manifesté son désir. Puis, l’air de rien, toujours sans un mot, le couple s’est éclipsé discrètement, avant de se sauter dessus à l’abris des regards ; la montée silencieuse de la passion était suffocante, elle explose tout d’un coup… sauf que Devendar n’arrive pas à avoir une érection. Le moment est « ruiné », d’autant plus que le couple est surpris dans ses ébats, puis chassé par un groupe d’hommes. C’est décevant, bien-sûr, mais pas mortel ; toutefois le problème persiste, et la souffrance commence à gagner notre jeune homme. Quelques temps plus tard, le voilà qui est captivé par une voisine, une femme mariée dont l’époux n’est jamais là, et qui semble lui envoyer des signes assez clairs de son intérêt. Devendar finit par convenir d’un rendez-vous crapuleux, sous couvert de la nuit ; mais le moment venu, bien que s’étant préparé pour une nuit de folie avec l’objet de son affection… il est terrifié. Il ne veut pas la décevoir comme il a déçu la femme du bus, ou une autre femme. Ce qui le ronge, c’est de « ruiner » la nuit dont il a toujours rêvé. Et le voilà donc qui finit, au beau milieu de la nuit, dans le bureau du bon docteur Arora, malgré la honte.
« La raison pour laquelle tu es venu me voir n’est pas une plaisanterie. Ni pour toi ni pour moi. Mon travail est de te soigner. Ton travail est de me faire confiance ».
Le docteur Arora en a clairement vues d’autres. Il est respectueux et à l’écoute, mais il n’est pas tombé de la dernière pluie. Il impose le respect et l’affection immédiatement, quand bien même l’épisode a essentiellement adopté le point de vue de Devendar jusque là.
Dr. ARORA semble, plus que tout, intéressée par l’angle émotionnel de ses problèmes sexuels. Ce qui veut dire, et c’est suprêmement important, aborder la question de la honte. La honte vis-à-vis d’autrui, bien-sûr, mais aussi de soi-même.
Cela passe par la façon dont Arora pose des questions factuelles, écartant ostensiblement tout le bruit autour (par exemple il se contrefout si la jeune femme du bus était la petite amie de son patient ou juste une affaire d’une nuit, et recentre l’entretien dans ce sens) pour vraiment parler de l’aspect physiologique et psychologique. Cela implique des examens physiques inconfortables, mais dénués de charge sociale. Cela veut aussi dire utiliser les vrais termes, même quand son patient bégaie en hésitant à parler de pénis et de vagin. Amies amatrices de langues étrangères, préparez-vous à apprendre du vocabulaire de prime importance !
Je suis encore en train de récupérer les épisodes suivants, donc j’ignore dans quelle mesure la série adopte un format formulaic, ou si nous allons suivre le cas de Devendar sur le long terme. Peut-être un mélange des deux ? Il y a aussi une étrange intrigue secondaire qui pourrait servir de fil rouge en arrière-plan. Mais la fin de cet épisode inaugural est aussi très intentionnelle dans sa façon de replacer son docteur au centre de la série, en faisant appel à ses propres souvenirs, expériences et émotions avec délicatesse.
Encore une fois, souffrez que je vous répète combien ce premier épisode m’a charmée. Que la totalité de son intrigue se déroule de nuit, comme une confidence intime, ne fait qu’ajouter à son attrait. Tout est bien pesé, dans cet épisode, et il me tarde de voir les suivants mais, surtout, de partager cette confidence avec vous. On gagnerait toutes beaucoup à parler de séries indiennes plus souvent.
On ressent bien ton coup de coeur dans cette review et ça donne envie de regarder!