Voilà quelques années maintenant que je vous dis combien j’apprécie ce qui se passe en matière de fiction étasunienne pour la jeunesse, en particulier pour le public préado. Aujourd’hui n’est pas une exception.
Pendant plusieurs décennies, la quasi-hégémonie de Disney et Nickelodeon a conduit à une standardisation des productions (forcément, quand on a un cahier des charges strict… et qu’on fait presque toujours appel aux mêmes producteurs pédophiles). Le désinvestissement progressif des networks généralistes, qui ont progressivement écarté les séries familiales de leur programmation, n’a pas aidé ce fait. Les préados étaient même mises dans une situation compliquée, n’ayant le choix qu’entre des sitcoms tournés au kilomètre et ringardes (pour ne pas dire insultantes), ou à l’inverse des séries pour ados de diffuseurs comme The CW ou Freeform, dont les teen dramas ont tendance à viser également les jeunes adultes (avec ce que cela implique souvent de sexualisation). Avec rien pour combler le gouffre entre les deux, si ce n’est, à l’occasion, un import canadien ou australien (genre Dance Academy, vue sur TeenNick).
Les choses sont donc en train de changer. Désireuses de viser un public peu choyé, les plateformes de streaming ont massivement investi dans la fiction pour les enfants (à défaut de la promouvoir souvent), et ont ainsi permis à toute une jeune génération de spectatrices de complètement ignorer que la télévision linéaire existe. Cela s’est fait avec des projets privilégiant régulièrement le format single camera, par exemple, mais aussi d’aborder des sujets plus variés, et en osant des tons un peu moins humoristiques. Mentionnons comme d’habitude, parce que je l’aime bien et qu’elle le mérite, l’inventive Gortimer Gibbon’s Life on Normal Street ; mais aussi des séries comme la nouvelle version de The Baby-Sitters Club ou l’absolument adorable Puppy Place. Même Disney, qui pourtant a fait preuve d’une incroyable fénéantise dans le domaine à la télévision traditionnelle, a trouvé le moyen de mettre en ligne sur Disney+ une série comme Doogie Kameāloha, M.D. ! Il faut également mentionner les efforts de productions web indépendantes, présentes sur Youtube, comme Brat (dont on parlait pour le thriller musical Stage Fright ou un drama sur le deuil, Zoe Valentine), ou ce mois-ci LOVE XO (qui vient de lancer la série Class Of 1970).
Avoir entre 9 et 13 ans, c’est déjà assez compliqué comme ça. Si en plus il faut se coltiner des séries nulles… mais heureusement, les préados américaines, et avec elles un peu tout le monde, n’ont plus à se retrouver dans cette situation. Elles ont accès à un catalogue grandissant de séries variées, qui prennent au sérieux leur public et ses préoccupations.
Exactement comme le fait Amber Brown, la nouvelle série d’Apple TV+ dont on va parler aujourd’hui !
« I, Amber Brown, DO NOT like change« . C’est dommage parce que, à la veille de son entrée en 6th grade (l’équivalent de la 6e), Amber n’a que ça à gérer, des changements.
D’abord, son meilleur ami Justin, qui était également son voisin, déménage en Alabama… La perspective de devoir affronter un nouvel établissement scolaire sans ami à ses côtés est incroyablement effrayante, même si toutes les deux continuent à garder le contact via leur portable. Mais les changements ont vraiment commencé il y a quelques temps maintenant, lorsque ses parents Sarah et Philip ont divorcé : Amber a continué de vivre avec Sarah, et Philip est parti vivre en France à cause de son travail. La petite fille n’a pas vraiment digéré la situation, et espère que le nouveau petit-ami de sa mère, Max, n’est qu’une « phase » ; c’est en tout cas ce que sa tante et confidente, Pam, lui répète.
Amber voudrait que tout redevienne comme avant, mais évidemment, ce n’est pas d’actualité. Alors elle passe le plus clair de son temps dans son monde à elle. Amber adore dessiner ; elle a aussi décidé, dans ce premier épisode, d’enregistrer des videos qui lui servent de journal intime (elle parle de « vlog » dans les dialogues, mais il n’est pas question ici de mise en ligne). Son entourage s’inquiète un peu, parfois, pour sa vie sociale…
Les choses changent. Et, ma foi, Amber aussi. Sans s’en rendre compte, vraiment. En fait, elle est aussi frustrée quand les choses ne changent pas (elle n’a pas grandi de tout l’été ! elle n’a toujours pas les oreilles percées ! elle n’a pas de chien !). Elle commence son « vlog », aussi, et l’air de rien c’est un changement. Pendant ce premier épisode, sans même s’en apercevoir, elle va aussi commencer des choses nouvelles… comme avoir un béguin ou se faire une nouvelle amie. Il s’avère qu’en fait, Amber Brown aime le changement, elle ne le sait juste pas encore.
Il y a pas mal d’éléments dans cet épisode de démarrage qui font appel à des tropes assez communs de la littérature enfantine et préado, ici, et sur le papier Amber Brown n’est pas d’une fulgurante originalité. Il ne faut pas s’y fier : la série a trouvé une façon de traiter son sujet avec beaucoup de tact, et un sens élégant de l’équilibre.
On trouve au fil de l’épisode, certes, des moments un peu plus humoristiques (il faut le noter, l’humour de la série est très efficace et pas du tout lourdingue ; j’ai sincèrement ri à voix haute pendant la scène du petit-déjeuner dans la cuisine), mais pour l’essentiel, Amber Brown ambitionne d’entretenir un ton réaliste qui permette à ses spectatrices une identification, si ce n’est à l’intrigue elle-même, au moins à l’héroïne, qui évite merveilleusement bien d’être simpliste ou caricaturale. Amber nous parle de sa vie intérieure en permanence, la série jouant sur pas moins de 3 procédés pour ouvrir les passerelles avec son public : le « vlog », d’abord, mais aussi quelques ruptures du quatrième mur, de temps à autres… et même les dessins que l’héroïne griffonne à longueur d’épisode (une version modernisée et moins comique de ce que faisait Lizzie McGuire, d’une certaine façon). Des scènes souvent douces-amères, des souvenirs… mais aussi l’expression de sentiments enfouis. Jamais la communication avec les jeunes spectatrices n’est rompue, en somme.
Je trouve ces petites séquences animées vraiment réussies. Elles sont jolies, pour commencer ; et c’est un hommage parfait aux origines de la série, qui a commencé comme un livre pour enfants, tout en actualisant l’apparence de la protagoniste (l’actrice choisie pour le rôle étant biraciale).
Mais elles représentent aussi ce que la série réussit de plus surprenant, et à mon sens, d’excitant dans cette série.
Comme très rarement dans des fictions destinées à ce public, Amber Brown utilise et respecte LES SILENCES. Il y a des pauses. Dans les pastilles animées, presque totalement dénuées de paroles, donc. Mais aussi dans les dialogues. Dans les interactions. Dans la narration. Ce n’est même pas une pause « de sitcom » pour laisser le temps aux spectatrices de rire, non. C’est juste le temps d’observer un petit geste, ou une réaction de l’héroïne. Juste le temps de laisser respirer ses protagonistes. Amber Brown accomplit un petit miracle en laissant parfois une scène retomber, reflétant ainsi sans la montrer la vie intérieure d’Amber, pour laisser imaginer ce qu’elle pense.
SANS LA MONTRER ! Dans une série qui a trouvé trois moyens différents de la faire communiquer avec nous ! Est-ce que vous vous rendez compte du changement de paradigme que ça représente pour une série étasunienne pour la jeunesse, que d’accepter que son public ne soit pas distrait en permanence, que son attention ne soit pas perpétuellement captée, que des choses lui soient laissées libres d’interprétation ?
Ah, ça c’est sûr, les choses changent… and I, lady, DO like change.