Dans ma rue

28 juillet 2022 à 17:21

Un de plus tombé au combat : aujourd’hui, pour la toute dernière fois, le soap opera Neighbours était diffusé en Australie . Cette fin n’est pas exactement une surprise : elle avait été annoncée en mars dernier, c’est-à-dire au moment où la série quotidienne célébrait ses 37 ans de diffusion. Presque quatre décennies, soit 8903 épisodes ! Une longévité pareille est en voie d’extinction.

A qui la faute, cette fois ? Eh bien, curieusement, pas exactement au public australien. Au Royaume-Uni, c’est en effet Channel5 qui diffusait la série depuis 2008 ; cette année-là, la jeune chaîne avait repris le contrat de la série après que BBC ait considéré que Neighbours était devenue trop chère pour son antenne. Les droits de diffusion britanniques étaient si élevés qu’ils participaient directement à une part conséquente du budget de production de la série… Sauf que Channel5 a décidé en février dernier de ne plus diffuser la série en Grande-Bretagne, et d’investir à la place dans des fictions originales britanniques. Sans cet apport financier (et en l’absence d’un repreneur), la série australienne était donc incapable de continuer de produire des épisodes, et la décision de fermer Ramsay Street a donc été prise par 10Peach, la chaîne australienne qui proposait Neighbours depuis 2011, où elle avait été déplacée après de longues années sur le network Ten.
Ce n’est donc pas exactement faute d’audiences si la série s’éteint, comme cela a pu être le cas pour beaucoup de soap operas qui se sont éteints ces dernières années ; même si évidemment, le fait que la série ait vécu sa dernière décennie sur de plus petites chaînes qu’auparavant n’était pas vraiment un signe de grande santé. Mais l’événement n’en est pas moins remarqué, et Neighbours se voit offrir des funérailles de première classe, avec un épisode de conclusion de 90 minutes, des émissions spéciales en Australie (y compris sur la chaîne publique ABC !) et une soirée spéciale à attendre demain sur Channel5 au Royaume-Uni.

Pour marquer le coup à mon tour, je vous propose quelque chose d’un peu différent, mais typiquement dans mes cordes : vous emmener en 1985, pour parler du tout premier épisode de la série australienne qui détient, et détiendra pour longtemps encore, un record de longévité.
Ce premier épisode commence de façon surprenante : dans le cauchemar d’un adolescent, Danny Ramsay. Ce n’est apparemment pas la première fois (ni la dernière de l’épisode) que Danny voit en rêve tout le quartier se moquer de lui, juste avant que son frère aîné Shane n’ait un accident. Se souvient-il de ces cauchemars qui le font se réveiller en hurlant ? A sa famille qui l’interroge aussi bien qu’au médecin que ses parents l’ont poussé à consulter pour un check-up, il maintient que non, mais…

C’est une étonnante mise en situation pour n’importe quelle série : voir les visages déformés et terrifiants des personnages (que par définition nous ne connaissons pas encore) dans ce cauchemar pour lequel on n’a aucun contexte, n’est pas exactement la meilleure façon de nous les présenter. Et moins encore de nous les faire apprécier ! Pour un soap opera, c’est un choix encore plus curieux : comme beaucoup de séries quotidiennes (notamment anglophones), il s’agit là d’une série chorale : Neighbours se déroule dans une impasse où coexistent trois maisons, occupées par trois familles différentes qui sont plutôt proches, au moins lorsque commence la série. Pourtant, Neighbours commence en privilégiant une perspective en particulier, on ne sait pas trop pourquoi.
Plus déroutant encore : après cela, l’épisode avance et nous allons progressivement nous désintéresser de Danny, dont l’intrigue passe au second plan, bien que sans disparaître tout-à-fait. La récurrence de ces cauchemars, comme souvent dans la fiction, semble indiquer qu’ils ont quelque chose de prémonitoire…

Il y a donc trois foyers dans ce cul-de-sac de Ramsay Street. Les Ramsay, d’abord (l’épisode ne le dit pas, mais oui, la rue porte le nom d’un aïeul) : Max et Maria, ainsi que leurs fils Shane et Danny. Les Robinson, ensuite : Jim, un veuf, ainsi que sa belle-mère Helen, qui l’aide à élever ses enfants Paul, Julie, Scott et Lucy. Les Clarke, enfin : Des, un jeune homme qui vit avec sa fiancée Lorraine Kingham.
La série commence à la veille du mariage entre Des et Lorraine, et évidemment le pâté de maison tout entier est impliqué. Paul organise pour Des un enterrement de vie de garçon, qui tient éveillé le quartier jusqu’à des heures indues ; une stripteaseuse, Daphne, est même engagée pour l’occasion. Quant à Julie, elle est la meilleure amie de Lorraine, et va passer la nuit chez elle afin de la soutenir dans les heures précédant le grand jour. Comme pour ce genre de séries, et plus encore pour un épisode introductif, les conflits sont simples. Par exemple, le raffut de la soirée irrite Max, qui après avoir essayé de convaincre Jim d’intervenir, finit par aller furieusement interrompre la fête. Ce genre de choses.
Les enjeux sont, à première vue, minimes dans ce genre de situation, mais Neighbours est, ma foi, une série sur des familles voisines, après tout. C’est un genre de conflit normal entre deux maisons voisines ! Neighbours s’inscrit ici dans une tradition du soap opera qui n’est pas tant héritée de ses homologues américaines, que de soaps operas européens, lesquels privilégient une ambiance de proximité se voulant réaliste. Toutefois, la banalité des événements masque au moins une tempête à venir : Julie, qui semble ne pas en être à son coup d’essai, ne peut pas s’empêcher d’insister sur les doutes de Lorraine à la veille du mariage pendant sa soirée pyjama avec son amie. Or, la jeune femme n’a pas simplement le trac à la veille de ce grand événement, mais, comme le révèlera la fin de l’épisode, est vraiment en train de changer d’avis sur le mariage. Nul doute que c’est l’intrigue la plus importante pour les épisodes à venir.

Pour un épisode de moins d’une demi-heure, les choses sont rondement menées. Sans avoir droit à une explication précise de qui est qui, Neighbours donne le ton en montrant surtout les interactions entre les différents foyers. Max et Jim s’appellent dans la nuit pour décider comment réagir au tapage nocturne ; Paul et Des sont amis et font la fête ensemble ; Julie et Lorraine sont meilleures amies et ont organisé une soirée pyjama ; Danny et Scott sont copains aussi… Il y a un naturel assez bien mis en place dans la façon dont ces trois maisons partagent plus qu’un bout de rue : un quotidien.
En fait, c’est l’impression qui ressort de cette entrée en matière : il s’agit moins de décrire des gens, que de décrire des relations. C’est plutôt futé pour une série qui ambitionne de s’installer dans le quotidien des spectatrices pour le long terme ! Les protagonistes d’un soap, pour la plupart, ne resteront pas pendant toute la durée de la série ; les dynamiques de leur microcosme, en revanche, sont la série. Et, même si évidemment avec le recul c’est plus facile à dire, la preuve est que cette approche a fonctionné pendant 37 ans. Sans brader l’individualité de ses personnages (comme en traitant les cauchemars de Danny, ou les antécédents de Julie lorsqu’il s’agit de se mêler des affaires des autres !), Neighbours propose un premier épisode qui invite à avoir une vue d’ensemble de sa petite rue. Le reste se construit sur la longueur… jusqu’à aujourd’hui, en tout cas.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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