Au risque de passer pour encore plus chiante que je ne le suis déjà, je trouve qu’il n’y a pas assez de séries sur le travail social. C’est une conviction qui me tenaille depuis un bout de temps, mais qui ne cesse d’être confirmée par mes quelques visionnages de séries qui, elles, s’intéressent à ce sujet de près ou de loin. J’ai pu par exemple vous chanter les louanges de Sex & Violence par le passé. Je pourrais aussi rappeler à vos bons souvenirs ce que des séries comme Pause-Café, The Guardian, Kiri, ou plus récemment Sunshine Eyes (les reviews sont accessibles via les tags ci-dessous) tentent ou ont tenté des intrigues touchant à ce registre.
Idéalement, en 2020, lorsqu’il y avait un bref mais véritable intérêt collectif pour la question du définancement de la police afin de réinvestir dans les services sociaux, suite aux manifestations mondiales contre la violence policière, la télévision aurait dû s’interroger sur ses choix de toujours mettre en scène les flics (dont le métier, dans le meilleur des cas, consiste à intervenir en bout de chaîne d’un certain nombre de mécanismes socio-économiques) plutôt que les assistantes sociales, les médiatrices, les conseillères en réinsertion, les éducatrices spécialisées, les auxiliaires de vie… Un choix qui en induit un autre sur la façon dont on perçoit le crime, et dont on perçoit la victime. Un choix qui consiste à placer les flics comme intervenants dans toutes les intrigues, même celles supposées êtres des drames sociaux où pourtant d’autres professionnelles seraient plus à leur place. Un choix qui souvent consiste à perpétuer des idées erronées sur ce qu’est le travail policier, et participer à ce que beaucoup surnomment copaganda (propagande policière). Un choix qui méritait d’être remis à plat, pour consciemment mettre en route de nouveaux projets avec des orientations différentes ; au moins quelques uns. Or, deux ans après, on n’aura pas trop vu les effets de cette remise en question chez la plupart des diffuseurs de la planète ; et à un moment l’excuse de la pandémie n’est plus tenable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai arrêté de parler de quasiment toutes les séries policières, à de très très rares exceptions : faut tout faire soi-même.
Le déclic n’a pas eu lieu. Il n’y a toujours quasiment aucune représentation à la télévision des alternatives à la police. Pendant que continuent de pulluler les séries policières (beaucoup issues du le même moule), les fictions sur le travail social restent un sous-genre dramatique (ou peut-être humoristique, pourquoi pas, si c’est bien fait ?) qui reste largement inexploité. Il y aurait pourtant beaucoup de choses à dire, faire, ou simplement tenter. Des angles inédits à aborder. Des formules à imaginer. Des genres à croiser. Une anthologie ou une fiction feuilletonnante ? Une série avec un point de vue unique, ou bien une série chorale ? Quelle profession ? Quels usagères ? Quasiment tout est possible, parce que quasiment rien n’a été fait.
Quasiment rien, mais pas rien. Et aujourd’hui, je vais vous parler d’un exemple dont j’ai réalisé que j’avais un épisode dans mes archives fournies : la série Écrivain public. Elle n’est pas toute récente : produite pour TV5 unis (la branche québécoise de la chaîne francophone), elle a été proposée en 2016, et semble avoir depuis trouvé sa place, sporadiquement, dans la programmation de TV5 Monde. Je suppose que c’est comme ça qu’initialement je lui avais mis le grappin dessus, quoique, hélas, je n’ai que le premier épisode en ma possession.
Écrivain public commence alors que Mathieu Martineau, sans emploi, passe un entretien pour rejoindre un centre communautaire de Montréal ; il s’agit d’une création de poste d’écrivain public, donc. Au moment où il arrive à son rendez-vous, nous en savons déjà un petit peu sur lui : nous l’avons vu râcler les fonds de tiroir pour trouver quelques pièces lui permettant d’acheter un ticket de bus pour se rendre au centre… mais, n’ayant même pas le compte à quelques centimes près, il a fini par devoir marcher. Pourtant, lors de son interview avec le directeur Hautcoeur, la coordinatrice Sophie, et Conrad, un usager régulier du centre, lorsqu’on lui demande ce qu’il connaît de la pauvreté, il répond laconiquement : « pas grand’chose ». Pas si sûr, mais admettons.
Malgré un démarrage un peu maladroit (il faut dire que Hautcoeur n’est pas facile), Mathieu est engagé tout de même, et reçoit un briefing très simple : il doit aider les personnes illettrées en rédigeant gratuitement pour elles leur courriers, emails, formulaires et autres démarches écrites.
Sauf qu’évidemment, il ne s’agit pas que d’écrire, il s’agit là d’un vrai travail social qui va obliger Mathieu à s’intéresser aux histoires personnelles de ces interlocutrices, à écouter leurs difficultés qui ne tiennent pas sur une feuille A4, et à leur apporter du soutien. Ce sont des personnes, pas des lettres, qui sont au centre de ce métier un peu particulier. Mais ça tombe bien, Mathieu est le genre de personne qui sait écouter. Il est le genre de personne qui aime les gens, et vient à eux avec l’esprit ouvert.
Le premier épisode d’Écrivain public est une histoire de tâtonnements. Mathieu n’a jamais tenu cet emploi et il apprend au cours de cet épisode inaugural qu’il ne peut, par exemple, pas rédiger le CV de quelqu’un : c’est le travail du centre d’emploi, pas du centre communautaire ! Le financement chétif du centre communautaire pourrait être menacé avec des plaisanteries pareilles ! Pas facile de s’adapter au travail social quand on n’en a jamais fait, il y a tout un bagage financier et donc politique derrière. D’autant que Hautcoeur ne mâche pas ses mots ; heureusement, Sophie est un peu plus coopérative. Charge revient également à Mathieu de promouvoir ses services dans le quartier (celui de Hochelaga-Maisonneuve, dont on parlait l’an dernier à l’occasion de Je voudrais qu’on m’efface), où il ne connaît personne. La silhouette dégingandée de Mathieu va donc à la rencontre de toutes ces inconnues qui pourraient avoir besoin de lui. Il y a une maladresse tendre dans sa façon de les aborder, d’essayer d’estimer leur besoin, de tenter d’y répondre quand c’est possible. Il y a une tendresse franche lorsqu’il les écoute, à l’instar de cet ouvrier immigré qui essaie d’obtenir le paiement de deux mois de travail par un patron pas réglo.
Le jeune homme va se confronter à des problèmes à tiroir : ce n’est pas juste le paiement de ces heures, c’est les conditions de travail, c’est le conditions de vie, c’est la misère tout entière. Sans misérabilisme, mais avec l’intention de ne pas détourner le regard, Écrivain public accompagne Mathieu pendant qu’il accompagne ces personnes qui ont si peu souvent des séries écrites autour de leurs problèmes.
Comme ça, c’est assorti.