Il y a quelques mois, à l’occasion de mon panorama des séries de la télévision publique belge, je me faisais la réflexion que la RTBF démontrait une faculté étonnante à parler de groupes socio-économiques très modestes. Plusieurs de ses séries s’intéressent ainsi à des personnages non pas de la classe moyenne, mais carrément pauvres, n’hésitant pas à démontrer par l’exemple qu’on n’a pas besoin d’envier la condition des protagonistes pour s’intéresser à leurs émotions et aventures ! Baraki, Jacky & Lindsay et FRANGINE$ en sont de beaux exemples. Pourquoi cela me fait forte impression ? Eh bien, résonne encore dans mes oreilles une phrase que j’ai entendue de la bouche d’une scénariste française il y a bien des années : la classe moyenne supérieure est une norme sociale, parler des couches populaires c’est un truc dépassé (pour rappel, je paraphrase). Je ne m’avance pas beaucoup en prédisant que je l’aurai encore en travers de la gorge sur mon lit de mort, celle-là. Voilà, rien que d’en parler je sens ma tension monter, tiens, zut.
Il y a quelques mois, toujours à l’occasion de mon panorama des séries de la télévision publique belge, je vous faisais la promesse qu’on parlerait un jour de Fils de, une production belge lancée au printemps se déroulant à la fois dans une banlieue et dans le monde criminel. Ce jour est arrivé, et voici la review de son premier épisode.
Camille Pistone est un homme torturé qui tente désespérément de mettre sa vie en ordre, mais s’en montre incapable. Après son divorce, son ex-femme a gagné les droits de garde exclusifs de leur fils, Hippolyte ; rien de très étonnant dans cette décision de Justice, puisque Camille n’a pas d’argent, pas de boulot, et qu’il vit dans l’appartement de son pote Selim, un éducateur de rue, au milieu d’une barre HLM. Ce ne sont pas des conditions pour avoir la garde partagée, et Camille en est bien conscient. Dans ce premier épisode, il tente de se faire de l’argent facile en accompagnant l’une de ses connaissances dans une affaire louche en relation avec les trafiquants de drogues locaux. Sauf que pendant la manœuvre, un sac contenant plusieurs kilos de drogue est volé par un motard qui menace Camille et son complice, et les voilà maintenant responsables des pertes engendrées par cette bourde monumentale.
Fils de établit avec intérêt la façon dont Camille se débat dans sa situation, qu’il essaie de corriger mais en faisant de mauvais choix. Toutefois, il n’est pas certain que pour lui, ce soient réellement des choix : Camille Pistone n’est autre que le fils de Franck Pistone, un célèbre braqueur que tout le monde connaît après son célèbre casse qui, il y a plusieurs années, l’a conduit à prendre la fuite. Camille a donc toujours grandi dans un certain milieu, comme le prouvent ses liens avec Wafah, la patronne d’un club de strip tease (évidemment) qui lui sert un peu de marraine la fée quand il a fait une connerie. Et là, pour le coup, Wafah n’est pas convaincue d’avoir une baguette magique à la hauteur de la boulette (sans jeu de mots…).
Bon. On commence par quoi ? Les mauvaises nouvelles d’abord ?
En tant qu’épisode introductif, ce début de Fils de m’a un peu laissée circonspecte par moments. Quand la série commence, on a justement l’impression que c’est Camille le héros de la série. La série adopte sa perspective (même si elle ne s’interdit pas des scènes omniscientes et/ou avec d’autres personnages), s’intéresse à ses tiraillements profonds, explore ses relations souvent fragiles. C’est un homme qui voudrait se construire une vie dont il n’a pas la première idée de comment bâtir les fondations ; il lui manque, certainement, les références adéquates, vu que son père a disparu de sa vie lorsqu’il était encore enfant. Pourtant il est prisonnier de son nom et de sa réputation, et parce qu’il n’a pas vraiment d’appuis hors du monde de la nuit et du crime, il n’a pas de meilleure idée que de se lancer dans un peu de trafic. Pour lui, la situation semble bouchée. En quoi c’est dommage ? Eh bien, le problème c’est surtout que le premier épisode de Fils de ne maintient pas ce cap. Plus l’épisode introductif avance, présentant des enjeux venant s’empiler à ceux que je viens de citer, plus la série semble s’intéresser à la vie intérieure d’autres personnages. En soi, décider d’être une série chorale n’est pas un tort ; c’est la transition d’un angle à l’autre qui ne fonctionne pas. Peut-être qu’un équilibre est trouvé au fil de la saison, mais pour le moment on a l’impression d’une perte de repères, et surtout que le personnage de Camille se retrouve finalement évincé de sa propre histoire.
Hélas, j’ai une nouvelle encore plus désolante. Car il s’avère que Fils de est une série belge avec des dialogues de série française.
Ne faites pas l’innocente. Vous savez très bien ce que je veux dire par là. Ces dialogues raides, pas souvent naturels, trop écrits, gérant mal les silences parce que sans compréhension du non-dit, et délivrés à mi-chemin entre la fadeur et l’hystérie collective… Soit on dirait que la distribution n’y croit pas, soit on dirait que tout le monde est trop investi émotionnellement, et même parfois, par quelque tragique miracle, les deux en même temps. Ce mal si français qui, heureusement, ne touche pas nécessairement d’autres séries francophones (et encore plus heureusement, ne touche pas toujours les séries françaises, même si on rame encore trop souvent), porte vraiment préjudice à cet épisode d’exposition. Là, malheureusement, on est en plein dedans, et ça n’aide pas à avoir foi dans l’intelligence de l’écriture, qui pourtant n’est pas absente quand on en cherche d’autres manifestations. C’est rassurant de constater que ce n’est pas comme ça à longueur d’épisode ; pour autant cela donne à plusieurs reprises des scènes qui manquent d’authenticité à en faire frémir les plus permissives parmi nous, et brise l’immersion.
Or je dirais que s’il y a bien un milieu dans lequel l’authenticité est nécessaire… c’est précisément celui des classes populaires. Des gens riches et super éduqués qui parlent comme un dictionnaire et qui articulent chaque syllabe, quelque part, ça fait sens ; des gens pauvres qui en font autant, plus du tout. Non pas qu’un type comme Camille soit forcément inculte, mais ça n’est pas le reflet du monde dans lequel il a grandi, et dans lequel il évolue à l’âge adulte. Et hélas ça s’étend à de nombreuses personnes de son entourage (et vraiment, je veux pas tirer sur l’ambulance, mais Béatrice Dalle met à côté dans au moins la moitié de ses répliques).
Pourtant Fils de ne renâcle pas, sur d’autres plans comme la réalisation notamment, à essayer d’adopter une approche fluide du monde que la série veut dépeindre. Le melting pot de la série, par exemple, est intéressant, entre le HLM, le salon de coiffure afro, le bar… Je trouve formidable la façon dont Fils de trouve naturel d’intégrer des échanges partiellement en arabe, plutôt que d’en rajouter dans les clichés du vocabulaire « de cité » comme d’autres séries le font. Il y a des petites scènes qui rendent ce monde vivant, comme lorsqu’on voit des jeunes en bas d’un immeuble saluer un petit vieux du quartier ; certains détails fonctionnent bien, et la série capture ces instants avec intérêt parce qu’elle vise justement cette forme d’authenticité, loin de la caricature. Son intention d’humaniser ses personnages et le milieu dans lequel elles évoluent est palpable. Mais rien à faire, les dialogues, c’est pas ça.
Au fil de ces mauvaises nouvelles, je vous en ai donc cité plusieurs autres qui sont foncièrement bonnes. Tout n’est pas à jeter, loin de là, dans l’épisode inaugural de Fils de, et il est même très possible que les évolutions de l’intrigue donnent l’impulsion nécessaire à la série de se dépasser. Car, pendant cet épisode, qui revient en Belgique ? Nul autre que Franck Pistone, qui sort de sa cachette au Maroc pour venir raccrocher les wagons (pardon : les vagons) avec son fils. La dynamique induite par ce retour peut potentiellement raccommoder l’impression de perspective décousue dont je parlais plus tôt ; mais même si ce n’était pas le cas, elle semble en tout cas attirée par la dimension dramatique de son intrigue, et pas juste par les histoire de crime. On ne lui ôtera pas non plus le mérite de s’intéresser sincèrement à ses protagonistes très modestes ; en outre, ce n’est pas mon domaine d’expertise, mais apparemment il y a un vrai savoir-faire en matière de rap dans cette série.
Cependant, et de toute évidence, ce n’est pas le sans faute que j’espérais trouver.
« Car il s’avère que Fils de est une série belge avec des dialogues de série française. » – Ah la boulette. Comme des envies de violence contre ce scénariste cela dit…