Deux hommes, morts dans un accident de voiture. Deux hommes qui en apparence n’ont rien en commun. Deux hommes dont on ne sait pas comment ils en sont arrivés là.
C’est le point de départ de la série québécoise Fragile, dont je m’apprête à vous parler du premier épisode aujourd’hui. Mise en ligne en 2019 sur la plateforme ICI TOUT.TV, qui dépend de l’audiovisuel public, elle pourrait être une série policière : sur le papier, son sujet colle à l’idée qu’on se fait d’une enquête. Mais, si on y trouve bien une enquête, celle-ci semble complètement secondaire à ce qui fait vraiment l’intérêt de la série, c’est-à-dire sa dimension dramatique.
Dominic Couture et Félix Bachand n’étaient pas voués à se rencontrer. Ils n’avaient, pour commencer, pas évolué dans les mêmes cercles.
Félix a grandi dans une riche famille. Lorsque l’intrigue de Fragile démarre (sur un retour en arrière, bien avant l’accident de voiture), sa mère Mireille Pépin-Lanthier s’apprête même à se présenter à des élections, et occuper ainsi un rôle majeur dans la vie politique des environs. En grandissant dans des circonstances privilégiées, Félix aurait dû, comme son demi-frère Emmanuel, tout réussir dans la vie : une carrière solide, une belle maison, une vie de famille enrichissante. Malheureusement Félix n’a réussi qu’à décevoir sa famille, ce qui n’a fait qu’empirer son estime de lui-même. Au contraire il s’est trouvé pris dans une spirale de consommation de drogues, et il y a quelques années, il a même, alors qu’il était sous l’effet de ces substances, tué quelqu’un dans un homicide involontaire, à bord de son véhicule. Depuis, Félix a fait de la prison, puis est sorti ; il vit dans une annexe de la maison de Mireille et son époux Jean-Charles (qui est le beau-père de Félix), il ne travaille pas, et il ne conduit plus, dépendant pour ses trajets de Bazou, l’homme de main de la famille. Sa vie semble en stase, et il est perdu.
A l’inverse Dominic sait très bien qui il est : il possède un garage auto qu’il fait tourner alors qu’il est parti de rien, et passe la majeure partie de son temps libre avec sa mère Cynthia, son oncle Bazou, sa tante Nancy et son amie d’enfance, Kim. Un cercle multigénérationnel qui semble toujours tout faire ensemble, même aller danser. En particulier, il est très proche de sa mère, en particulier, que dans ce premier épisode il va encourager à reprendre une vie amoureuse après des années de célibat.
Même si rien n’aurait dû les amener à se rencontrer, vous aurez pourtant remarqué que tous les deux connaissent Bazou, et c’est par son entremise bien involontaire que les deux hommes se croisent un jour, par hasard, dans le garage de Dom. Mais la rencontre est fugace et personne n’y prête attention.
Puis vient une seconde rencontre, à un moment plus vulnérable cette fois. Puis une troisième…
Evidemment le premier épisode de Fragile ne veut pas tout de suite nous dire de quoi il retourne. C’est un épisode d’exposition, et puisque la série est plus intéressée par sa dimension émotionnelle que par le mystère de l’accident, il y a donc beaucoup à dire de ses personnages et de leurs parcours individuels. On ne peut pas être partout et il y a des priorités dans la vie. Toutefois, c’est justement ce qui fait que cette introduction est si prenante : en adoptant un discours éloigné du genre policier (les flics n’y apparaissent qu’en tout début et toute fin d’épisode), on ne se pose pas tant la question de « pourquoi » ou de « comment ». C’est le « qui » qui prévaut. C’est parfaitement assumé par Fragile qui n’essaie pas d’entretenir de suspense, et ne traite pas ses enjeux dramatiques comme une façon de gagner du temps. On sent que les portraits et les dynamiques méritent notre attention, au lieu de faire diversion. Les liens qui se tissent lentement entre Félix et Dom sont ténus, mais le témoin d’une relation fragile, et d’existences qui le sont tout autant. On se prend d’affection pour certaines protagonistes, on en regarde d’autres d’un oeil prudent (dans certains cas, on commence à découvrir qu’on a raison), non pour le rôle qu’elles pourraient jouer dans la mort des deux hommes, mais pour le rôle qu’elles jouent dans leurs vies. Croyez-moi, ça fait une énorme différence.
Résultat je voulais juste jeter un oeil à une série qui dormait dans mes archives depuis des années, et me voilà à me dire qu’il va falloir maintenant regarder toute la saison. Je déteste/j’adore quand ça arrive.
J’adore tellement quand je finis enfin par regarder une série qui me faisait de l’œil depuis des années sans jamais sauter le pas et qui est une belle surprise quand enfin je m’y mets. Ça me rend joie de savoir que j’ai bien fait de ne pas l’oublier et d’appuyer sur Lecture en fin de compte. (Par exemple A Very English Scandal qui me fait de l’œil depuis sa sortie et qui est disponible sur SVT Play depuis janvier et que j’ai enfin regardé hier. Et j’en suis ravie parce que la série est vraiment bien et j’aime vraiment beaucoup Ben Whishaw (et Hugh Grant fait vraiment du très bon boulot aussi d’ailleurs).)