Tout peut s’oublier

25 juin 2022 à 22:01

Sylvestre Bork n’a pas toujours été aussi épanoui qu’aujourd’hui. Sa vie à Paris est à présent remplie de succès, aussi bien pour sa réputation de tailleur élégant que dans le milieu du drag où il incarne Loretta, une personnalité reconnue et aimée de toutes. Cette vie-là n’aurait pas été possible s’il n’avait pas quitté sa Pologne natale pour la France… sauf que pour cela, il a abandonné sa famille, laissant derrière lui une fille. Depuis, les décennies ont passé sans qu’il n’échange aucun mot avec elle, restée dans sa ville natale polonaise.
Du moins, jusqu’à ce qu’il reçoive à son atelier parisien une lettre de sa petite-fille.

Królowa est une mini-série polonaise de Netflix dont je ne savais pas trop ce qu’il fallait attendre. Disons pour l’essentiel que c’est une charmante surprise, bien que largement imparfaite.

Sylvestre Bork (né Borkowski) est un homme gay qui commence à prendre de l’âge. Lorsque la série commence, il se prépare même à partir en retraite, fermant son atelier plutôt que de le céder, et se préparant à un spectacle d’adieu pour Loretta, la star de cabaret qui lui a apporté reconnaissance dans la capitale. Avec son chien Laika, Sylvestre s’apprête à partir pour le Sud de la France, un ultime changement de vie, loin de tout et de toutes. Mais la lettre de sa petite-fille Izabela (ou juste Iza) vient tout bouleverser : la jeune femme lui apprend… eh bien, déjà, son existence, et surtout que sa mère Wioletta (ou Wiola) a besoin d’une greffe de rein. Il est le seul qui puisse lui sauver la vie, et elle l’enjoint à venir en Pologne pour vérifier s’il est compatible. Le premier instinct de Sylvestre, que la nouvelle bouleverse, est de se maintenir à distance ; mais son meilleur ami Corentin lui vole dans les plumes si bien que, très vite, le vieil homme change d’avis et part pour la Pologne malgré ses craintes.

Il faut dire qu’il n’y a pas mis les pieds depuis des décennies, et n’a eu de contact avec personne depuis. Le voyage ravive des souvenirs, mais surtout lui rappelle combien le fossé s’est creusé au fil des années entre qui il est aujourd’hui et qui il était forcé d’être à l’époque. Dans sa petite ville minière d’origine, Sylvestre était en effet forcé de vivre dans le placard.
Królowa ne perd pas de temps (elle n’en a pas à perdre, vu qu’elle ne dure que 4 épisodes !) et une grande partie de son efficacité tient dans la bonne humeur radicale d’Iza, qui l’accueille à bras ouvert sans lui reprocher son absence ni son silence. La jeune femme est d’une désarmante jovialité, si bien que très vite, malgré le choc culturel (Sylvestre est habitué à un certain train de vie de la capitale parisienne, et certainement pas au quotidien très modeste de ce petit patelin périclitant), Sylvestre s’installe le temps de vérifier qu’il est bien un donneur pour Wiola. Bon, il y a quand même un tout petit problème : celle-ci ne savait pas qu’il venait pour lui faire don d’un rein, et d’ailleurs, elle n’en veut pas ! Mais ça, on s’en doutait un peu, sinon il n’y aurait pas de série…

L’intrigue va se dérouler à peu près comme vous l’imaginez, l’hostilité compréhensible de Wiola se poursuivant après la greffe le temps que le père et la fille récupèrent de l’opération ; c’est assez prévisible… pendant un temps. Et puis, Królowa décide que ce n’était pas assez original, et commence à ajouter des intrigues totalement inattendues. Par exemple on découvrira qu’Iza est enceinte, mais que, des deux jeunes hommes qu’elle fréquente, elle ne sait pas qui est le père et ne l’a donc annoncé à personne à part sa meilleure amie. Puis c’est un accident dans la mine qui portera la fin de la mini-série jusqu’à sa conclusion
Cela ne veut pas dire que la relation entre Sylvestre et Wiola (ou même Sylvestre et Iza) est écartée. C’est juste qu’au lieu de simplement confronter les protagonistes les unes aux autres, Królowa s’est dit qu’il fallait un peu de spectacle grand public. Les émotions deviennent alors moins complexes, et les bons sentiments prédominent.

C’est un peu dommage mais, heureusement, la prestation solide d’Andrzej Seweryn sert de liant à tout cela. L’acteur incarne ce vieil homme digne mais un peu perdu avec beaucoup de grâce ; c’est juste dommage qu’avec une saison si courte et tant de revirements, la série ne lui permette pas toujours d’explorer les aspérités de son personnage. Par exemple Wiola et même, à un bref moment, même Iza, lui reprocheront d’avoir été égoïste en plaquant tout pour la France, abandonnant sa famille ; et c’est vrai que même des années après, Sylvestre a beaucoup de mal à voir plus loin que le bout de son nez (le soir de l’accident dans la mine, qui emprisonne plusieurs mineurs dans les décombres dont les deux amants d’Iza, Sylvestre veut parler DE LUI), mais la série ne lui donne pas vraiment le temps de se remettre en question à ce sujet. De la même façon, Sylvestre se définit comme un homme gay faisant du drag, mais le fait qu’il ait « emmené » Loretta dans ses valises et se glisse dans sa personnalité quand il a besoin de se remonter le moral semble suggérer que c’est un peu plus qu’une performance artistique pour lui ; vers la fin de la saison, après qu’il lui ait fait son coming out (en Loretta ! pas comme homme gay) Wiola le lui fera même remarquer, et ç’aurait été génial d’interroger cela, mais non. On n’est pas là pour scruter les imperfections du personnage, juste pour les mentionner puis les corriger.
Au final on ne sait pas trop si c’est juste le manque de temps, ou le manque d’audace, mais toujours est-il que Królowa ne prend pas forcément la peine d’explorer son sujet au-delà de l’aspect feelgood.

Et cet aspect feelgood n’est pas mauvais en soi, d’ailleurs, la série évitant quelques clichés. Le coming out de Sylvestre se passe en définitive plutôt bien, Wiola étant définitivement en colère contre lui mais pas homophobe par exemple. A part quelques hésitations parmi certains mineurs, il est bien reçu en ville y compris lorsqu’il se présente sous l’identité de Loretta. Il y a aussi, tout simplement, quelque chose d’incroyablement soyeux dans le fait que, pour une fois, une série sur un personnage LGBT s’intéresse à un homme âgé (et fasse également apparaître deux autres hommes LGBT en arrière-plan de l’intrigue) plutôt qu’encore et toujours à des protagonistes jeunes. Cela soulève des choses différentes, aussi bien sur un plan thématique qu’émotionnel.
A plusieurs reprises on se prend d’affection pour ces personnages (c’est impossible de résister à Iza), ou on se surprend à sourire devant les développements convenus mais chaleureux de l’intrigue. Si on accepte que c’est tout ce que l’on aura, alors il y a pire moment à passer. Clairement inspirée en partie par The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert et/ou The Full Monty, Królowa n’est pas là pour révolutionner le genre, et même pas vraiment pour bouleverser qui que ce soit.

Peut-être que pour un public polonais conservateur, l’effet est différent. Mais pour les abonnées internationales de Netflix (celles qui auraient regardé la série parce que Antoni Porowski de Queer Eye figure sur l’un des posters promotionnels… alors qu’il a 3 répliques et demies), habituées à bien d’autres choses y compris sur la plateforme elle-même, Królowa semblera manquer parfois d’audace, voire d’intérêt. Je peux en revanche vous garantir qu’elle ne manque pas de cœur et, ma foi, c’est déjà pas si mal.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Oui, j’allais dire que l’effet était sûrement différent en Pologne, d’ailleurs je serais curieuse de savoir si la série a fait parler d’elle, elle est sur Netflix après tout, c’est moins grand public que la télévision classique, ou pas du tout.

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