Ça ne s’oublie pas quand c’est la première fois

17 juin 2022 à 23:06

C’est vraiment parce que je vous aime bien que je fais l’effort de regarder, et reviewer, une série avec des vampires. Ce n’est, certes, pas la première fois que je fais des tentatives (en témoigne la petite thématique Suckers en fin d’année dernière, avec des séries venant de Russie (Vampiry Sredney Polosy), du Japon (Aoki Vampire no Nayami) ou des USA (What We Do in the Shadows)… cela dit, pour l’essentiel, je garde mes distances avec les canines pointues. J’ai mes raisons. C’est idiot, hein, mais j’aime ne pas avoir de cauchemars la nuit ! Or, il s’avère que je suis une froussarde…

Toutefois, First Kill commençait à pas mal faire parler d’elle ; son lancement pendant le mois de juin n’y étaint pas étranger. Sur le papier, il s’agit d’un teen drama fantastique racontant la romance entre deux ados, l’une d’entre elles étant un vampire. Bon. Mais il s’avère que derrière ce sujet pas franchement inédit, une mini-controverse est née, entre d’un côté plusieurs critiques estimant qu’il s’agissait d’une resucée (pardon) de thèmes cent fois déjà explorés, et de l’autre des spectatrices défendant l’existence de cette série apportant du sang frais (désolée) dans le panorama télévisuel. Où se trouve la vérité ?
N’aimant particulièrement ni les vampires, ni les séries adolescentes, ni les romances, je pense avoir l’expertise parfaite pour trancher objectivement !

Pas de suspense, mon verdict est simple à la vue du premier épisode de First Kill : je ne m’attendais à rien et je suis quand même agréablement surprise. Comme quoi tout arrive.

Ce premier épisode est, certes, plombé par deux obstacles majeurs : d’une part, on y accumule les clichés de séries adolescentes, et d’autre part, c’est un premier épisode qui n’a pas toujours trouvé le moyen de porter son exposition (quoique, et j’y reviens dans un instant, il y ait quand même de bonnes idées).
First Kill est une série de Netflix, et elle emprunte les mêmes chemins que beaucoup de ses séries ou même films destinées à un public adolescent : voix-off omniprésente, une chanson différente toutes les 3 minutes, et une collection de stéréotypes sur la vie lycéenne étasunienne. La série est tellement conventionnelles qu’on est presque surprise d’apprendre que la ville de déroule à Savannah, tant tout ressemble à n’importe quelle autre série californienne du même acabit. En outre, Juliette, la protagoniste avec laquelle nous passons les premières minutes de la série, guidées par le ton de sa voix dans son quotidien, répond parfaitement au cahier des charges de toutes les autres fictions du genre : comme absolument toutes les autres adolescentes au cœur de ce genre de fiction, Juliette n’est « pas comme les autres ».
Bref je comprends qu’on pique un peu du nez devant cet enfilage de perles : les premières minutes de cet épisode introductif se déroulent exactement comme si on ne savait pas qu’on a affaire à une série fantastique (on vient pourtant de voir le très sympathique générique qui n’en fait aucun mystère), faisant d’autant plus de place à tous les lieux communs du teen drama possibles et imaginables.

Progressivement, en tendant l’oreille et en prenant garde aux détails, on peut toutefois sentir que First Kill veut mettre en place quelque chose de légèrement plus raffiné. Les indices se succèdent, qui tendent à prouver que Juliette n’est, effectivement, « pas comme les autres », ce qui apparaît quasiment comme un twist (c’en serait vraiment un sans le générique, mais j’avoue trop aimer le générique pour vouloir sa disparition). Peut-être pas au sens où la série le laissait entendre initialement, avec sa litanie d’idées arrêtées sur ce qu’une adolescente normale devrait être, mais « pas comme les autres » quand même. Et « pas comme les autres » malgré ses parents, qui semblent l’encourager à sa différence, ce qui la contrarie tant elle voudrait se conformer. Se pose alors la question de déterminer dans quelle mesure elle est consciente de la nature de cette différence… ce à quoi, là encore, la série répond après un mini-revirement d’angle.
C’est là que ça commence à être intéressant : la banalité des premières minutes cède du terrain au propos de la série, mais cette même banalité lui donne une lecture complémentaire. Pendant que Juliette coule des yeux de merlan frit à son béguin du moment, on comprend à quel point First Kill a fait sien cet héritage de Buffy consistant à utiliser le fantastique comme métaphore de l’adolescence. Ce n’est, par définition, pas inédit ; par contre c’est plus subtil que ça n’en a l’air, et ça fait formidablement bien le genre.

Mieux encore, First Kill introduit un nouvel ingrédient vers la moitié de cet épisode inaugural, en basculant son point de vue. La deuxième partie reprend la même journée que nous avons vu s’écouler pour Juliette, mais cette fois… du point de vue de son crush, Calliope. Et cette fois, la série peut prendre des raccourcis : il lui sont autorisés par l’effet de miroir.
Calliope aussi est « pas comme les autres », mais au lieu d’en souffrir, elle en est fière. Sa différence, elle la cultive, même si elle n’en ignore pas le prix. Elle est dans les starting blocks et n’attend que d’être encore plus différente, si seulement sa famille la laissait ; sauf que sa famille insiste pour que sa vie ait une dose minimum de normalité. Le parallèle avec l’introduction de Juliette permet aussi, rapidement, de poser la question des sentiments de Calliope. Là encore, First Kill y répond par paliers, d’abord en s’assurant que la jeune fille a détecté les signes de l’attraction de Juliette, puis en poussant Calliope et Juliette à interagir, puis…

Avec tous ses mini-twists, First Kill pourrait signer ici un épisode d’exposition fatigant, à la limite du gimmick. Mais c’est tout le contraire. Chaque réajustement de la perspective de la narratrice (Juliette ou Calliope) permet d’obtenir non seulement une nouvelle compréhension de la protagoniste dont il est question, mais aussi une idée différente des enjeux de la série… Et, à travers eux, de son symbolisme.
La « différence » des deux jeunes filles les renvoie l’une à l’autre, mais est aussi le témoignage de deux passages très différents à l’âge adulte. La métaphore vampirique, si souvent sexuelle, qui se met en place au fil de l’épisode souligne bien cela, en filigrane du discours sur la normalité : Juliette est terrifiée par les changements de son corps, la sexualité qu’elle n’ignore pas mais n’a jamais laissée s’exprimer par crainte d’elle-même ; Calliope embrasse pleinement ce qu’elle est et ce qu’elle veut, se heurtant au contraire à la contrariété quand le mode de vie de sa famille l’empêche de se lancer aussi vite qu’elle le voudrait, peu importe les risques.
Juliette comme Calliope, toutefois, s’apprêtent à la fois à se confronter l’une à l’autre, et à un rite majeur de leur passage à l’âge adulte. First Kill laisse pressentir qu’un choix devra se faire… mais lequel, et pourquoi, et avec quelles conséquences ?

Alors, est-ce que c’est révolutionnaire, non, bien-sûr. First Kill bâtit sur de l’existant. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne fait que répéter bêtement ce qui a été fait avant elle. First Kill joue de ses registres avec pas mal d’intelligence, à défaut d’une folle originalité. Plus encore, son intention de confronter ses deux héroïnes témoigne d’un désir d’utiliser les tropes pour raconter une histoire coming-of-age forte de plusieurs lectures, à la fois sur le passage à l’âge adulte et la sexualité queer. Le cocktail de genres de First Kill n’est pas accidentel, ni purement racoleur.
…Et au final, preuve est faite de sa nécessité si tant de spectatrices s’insurgent dents et ongles contre l’inutilité que certaines critiques lui assignent. La réalité c’est que beaucoup de ces jeunes spectatrices n’ont connu Buffy que par ricochets (si elles l’ont connue), tout comme une grande partie de la fiction vampirique saphique. Pour elles aussi, c’est la première fois.
Laissons aussi aux jeunes générations leurs propres séries à partir desquelles se forger.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    J’ai vu beaucoup de débats sur la série, mais je n’y ai pas encore jeté un œil. Ce que tu dis me rassure et me fait me dire que j’irai sûrement y jeter un coup d’œil à l’occasion.

    « Laissons aussi aux jeunes générations leurs propres séries à partir desquelles se forger. » – C’est exactement ça. Parfois on ne réinvente pas la roue comme dirait l’autre, mais on en présente son fonctionnement avec quelques mises à jour pour des plus jeunes.

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